Une rencontre renversante

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Comme je vous le disais précédemment, c'est Nicolas qui a déclaré la guerre.

C'est arrivé fin juin. L'école était bientôt terminée, les vacances allaient commencer. Comme chaque année, nous partions pour trois semaines dans le sud de la France où piscine et mer seraient les maîtres mots.

Mais il fallait encore patienter quelques jours. Pour l'heure, j'étais en short, torse nu, laissant le soleil hâler ma peau blafarde de bon nordiste que j'étais.

Je faisais du vélo avec ma sœur, dans la rue en cul-de-sac où nous habitions depuis huit ans. J’en avais neuf, elle sept.

Nous nous amusions à faire la course, pour une fois sans nous chamailler.

Soudain, Nicolas a jailli de derrière un buisson. Il a lancé un gros bâton dans la roue avant de mon bicycle. Je vous laisse imaginer le vol plané. J’ai volé tel un magnifique moineau, avant de m’écraser sur le chemin de fins gravillons comme une grosse merde. Puis je glissai jusqu’au fossé où la rosée du matin ne s’était pas encore évaporée.

Mes mains, mes genoux, ma hanche gauche n’ont pas réchappé au carnage. Je pissais le sang et les larmes.

Notre nouveau voisin s’est approché de moi, s’est penché au-dessus de moi. Il avait à peine sept ans. Normalement, à cet âge, on a un visage poupin, avenant, mignon. Lui avait tout du démon. Son regard était noir, ses lèvres quasi-inexistantes, son menton déjà auréolé d'une cicatrice et ses joues creusées.

— A compter d’aujourd’hui, c’est moi qui commande, a-t-il craché.

— Ouais, c’est mon frère le chef ici, maintenant, a confirmé sa sœur.

Elle avait mon âge. Par contre, pas du tout mon gabarit. Moi, j’étais rachitique. Elle, elle avait abusé à outrance des pâtisseries, saucisses et autres nourritures chargées de graisse. Elle avait enfilé une robe de princesse à frou-frous. Mais elle ne ressemblait en rien à une princesse, plutôt à un bibendum en jupette. Quoique, avec ses oreilles décollées et son nez proéminent, elle aurait pu passer pour la fille du Prince Charles.

Leur mère est arrivée. La réincarnation de Harriet Oleson dans la petite maison dans la prairie. Son visage flapi trahissait son manque évident de sommeil. Elle portait dans ses bras un bébé de quelques mois à peine qui braillait à vous percer les tympans. Derrière des jumeaux observaient la scène de leurs grands yeux globuleux.

Vous vous dites, cinq gosses, bonjour le boulot. Mais la ribambelle ne s’arrêtait pas là : la famille comptait encore deux adolescentes, un chien, quatre chats et un rat.

— C’est ton œuvre, ça, Nicolas ? a demandé la mère.

— Elle est réussie, hein, maman ! s’est enthousiasmé le gamin.

La mère m’a regardé avec des yeux chargés de désespoir.

— Je suis vraiment désolée, a-t-elle assuré.

Pourtant, elle n’a rien fait pour m’aider. Elle a ordonné à sa marmaille de rentrer. Puis elle les a suivis.

Quant à ma soeur, elle n'a rien fait. En fait, si. Elle a regardé le vaurien me mettre une pâtée sans broncher. Puis elle m'a laissé me dépatouiller dans le fossé. Elle devait me trouver pitoyable, moi qui chialait comme un gosse. Mais d'un, à neuf ans, on est encore un gosse. Et deux : ça fait un putain de mal de loger des gravillons sous sa peau. En plus, ils y avaient élu domicile sans rien me demander, des squatteurs d'épiderme en quelque sorte !

Je me suis levé tant bien que mal. Je suis rentré chez moi où ma mère m'a soigné.

Résultats des courses : primo, mes vacances étaient fichues, le médecin m'ayant interdit de me baigner dans la mer ou dans la piscine pendant trois semaines le temps que je guérisse ; deuxio, la guerre était déclarée. Et elle allait être... non pas sanglante - on n'était que des gosses ! - mais salissante et parfois vexante.

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