Je cours maladroitement, bouscule quelques clients sur mon passage, des larmes incontrôlables ruisselle sur mes joues et Lucas m'aperçois me diriger en trombe vers les vestiaires, le seul refuge calme et frais. J'entre et tente de claquer la porte avec force quand mon patron s'infiltre rapidement avant que le bruit désagréable ne retentisse. Je n'arrive pas à m'enlever de la tête qu'il était peut-être au courant de sa venue, que tout le monde l'était, que c'était un complot pour me faire craquer. Face au mur, je n'ose pas me retourner. Une boule d'angoisse inexprimable se forme soudain dans ma gorge et aucun son ne sort. Tout à coup prise de tremblement et de vertige, je me tourne enfin et m'assois sur le banc. Lucas s'approche de moi, je lui fais immédiatement signe de rester à bonne distance de moi en brandissant ma main.

• Ok, d'accord, je reste là, peux tu juste me dire ce qui t'arrive ? Dit-il d'une voix pleine d'inquiétude.
  

Il était au courant ou il ne l'était pas ? Je ne maîtrise plus mes penser et rien d'autre ne sort de ma bouche que cela :

• Je démissionne...
  
• QUOI ?! S'esclaffe-t-il d'un coup, les yeux ronds comme des billes.
  

Oui, moi aussi, je n'arrive pas à croire que j'ai pu dit ça sans que ma voix chevrote. Ai-je vraiment envie de quitter l'unique famille et source de revenu qu'il me reste ? Possible.

• Shanae, mais... Qu'est-ce qui te fait dire une telle chose ? Shanae, mais...
  
• Et pourquoi pas ?! Quand la seule personne en qui j'ai le plus confiance complote dans mon dos pour je ne sait quelle raison ! Comment ?! Pourquoi ?!
  

Je m'interromps en me levant. Il tente de parler, mais je lui en prive en continue tout en me dirigent vers lui :

• Qu'attends-tu de moi ?! Qu'ai-je fait pour mériter cette soudaine cruauté venant de toi ?! Putain Lucas !!
  

Il ne bouge pas, d'un calme à peine croyable. Tout à coup, sans aucun contrôle de mon membre, mon bras se lève et ma main se tend pour lui asséner une gifle d'une force provenant du fin fond de mon être. Il attrape mon poignet en plein vol et le plaque aussitôt dans mon dos, m'immobilisant. Trop proche de l'un de l'autre, nos corps se touche, son parfum parvient à mon nez et, aussi incroyable puisse paraître, je me calme instantanément et m'effondre sur lui. Je hurle de rage. Il lâche mon poignet et m'accueille dans ces bras. Me réconforte et demande calmement :

• Raconte moi... Je t'en surplis, dit moi ce que, d'après toi, je t'aurai fait de mal et ce qui s'est passé là-haut.
  
• Liam... Répondis-je en soufflant.
  

Je sens immédiatement ces muscles se crisper, sa respiration s'accélérer. Tout porte à croire qu'il n'était pas au courant et apprend à l'instant sa présence ici.

• Je n'étais pas au courant de sa venue, je te le jure sur tout ce que j'ai de plus précieux sur terre. En aucun cas, je n'oserais te faire plus du mal, surtout pas à toi...
  
• Je sais Lucas, le coupais-je en me décalant de lui.
  

Il dispose délicatement ces mains de par et d'autre de mon visage et me regarde dans les yeux. Ces pupilles dilatés, cette lueur qui en sort font craquer mon cœur. Il approche et dépose ces lèvres sur les miennes que j'entrouvre pour accueillir sa langue. Suis-je choqué de cette soudaine prise de contrôle par mon jeune patron ou par l'audace de son geste alors que l'événement vécu il y a quelques minutes m'a mise dans un état de choc ? Pas le temps de répondre à cette question quand un bruit de verre brisé parvient à nos oreilles. Nous nous séparons sans nous regarder, Lucas se retourne et c'est d'un pas déterminé qu'il sort des vestiaires en refermant la porte derrière lui.

Davantage perdu, entre ma colère, mon calme soudain puis le baiser, je ne sais plus quoi dire ou quoi faire. Je m'apprête à me diriger vers la porte des livraisons pour respirer un peu d'air frais, quand soudain, celle du vestiaire s'ouvre dans un fracas assourdissant. Je sursaute et Liam apparaît, introduisant ses mains dans les poches de son pantalon de costume noir puis s'appuie contre l'embrasure de la porte.

• J'ai besoin de te parler... Dit Liam en s'approchant peu à peu.
  
• Tu as besoin ?! Et moi, de quoi ai-je besoin à ton avis ?! Tu es toujours la même pourriture égoïste !
  
• Égoïste ?! Moi ?! C'est vrai que tu ne sais pas ce que j'ai enduré pendant ces trois ans et que t'en a rien à foutre !
  
• Figure-toi que je demande qu'à connaître la raison de ton départ !
  

La tension monte entre nous et les larmes menacent à nouveau de couler, mais la colère est plus forte. Il est plus près de moi, son parfum me parvient à mon nez.

• Arrête de t'approcher de moi ! Dis-je en hurlant de plus belle.
  
• Et toi arrêtes de me fuir ! Arrête de faire ta fragile et montre-moi que tu es en colère contre moi ! Où est passée Shaï qui me tenait tête ? Dit-il en hurlant davantage plus fort que moi.
  
• Shaï est morte quand tu es partie sans laisser la moindre explication !
  
• Non, elle est cachée ! Elle a peur !
  
• Mais qu'est-ce qui ne va pas bien chez toi... Dis-je d'une voix plus conciliante en abaissant la tête, intimidée par son regard sur moi.
  
• REGARDE-MOI PUTAIN !
  

Je relève la tête, ses sourcils froncés et ses yeux bleus glacés sondent mon âme. Il est en colère contre moi, mais qu'ai-je fait pour mériter ça ? C'est moi qui devrais le sermonner et être en colère de la sorte, mais rien ne me vient, au contraire, je suis prise de frissons et de nausée. Je plaque ma main sur ma bouche comme pour m'empêcher de vomir. J'essaie de bouger lorsqu'un vertige se fait ressentir. Sentant que je vais tomber, instinctivement, je cherche un appui sur lequel me stabiliser, mais il n'y en a pas. Je commence à perdre l'équilibre, Liam me rattrape et instantanément. Je fonds en larmes encore une fois.

• Qu'est-ce qui t'arrive Shaï ?
  
• Je suis épuisée... Fatiguée de me battre contre moi-même, fatiguée de me priver de tout à cause de toi. J'ai passé trois ans dans un autre monde, vécu des choses horribles, j'ai dû apprendre à m'auto-protéger, mais aujourd'hui ça ne marche plus. Je n'arrive pas à me préserver de toi Liam.
  
• Je suis revenu pour tout t'expliquer, ne rien te cacher, arrêter de te mentir, dit-il en me portant dans ses bras quand il ajoute :
  
• Je te ramène chez toi. On s'accordera du temps pour parler.
  

J'acquiesce de la tête, incapable de faire le moindre mouvement où de dire quoi que ce soit. Il attrape difficilement mon sac et se dirige vers la sortie quand j'aperçois Lucas. Il détourne le regard aussitôt.

Je lui donne les clés de ma voiture. Il m'installe, attache ma ceinture et vient se placer à côté de moi le tout dans un silence démoralisant. Il démarre et agrippe le volant comme s'il s'apprêtait à conduire à vive allure puis inspire fortement avant de rompre le silence.

• Ton adresse. Dit-il froidement.
  
• North Beach, l'immeuble à l'angle. Entre dans le parking souterrain. Place de stationnement numéro treize, répondis-je sur le même ton.
  

Il veut s'adonner à ce jeu-là ? Alors la partie ne fait que commencer. Oh Liam si tu savais ce que j'ai enduré après ton départ... Il n'en saura rien.

***

Arrivée au parking, il insiste pour me porter jusqu'à mon appartement, mais je refuse. Dans l'ascenseur, je sens son regard sur moi, je n'ose pas lever la tête. Je déverrouille maladroitement la porte d'entrée. Il me suit sans formuler un mot et referme la porte derrière lui. Nous nous dévisageons un instant, nos yeux se parlent. Son silence est déconcertant. Je cède la première.

• Merci de m'avoir raccompagné, exprimé-je sur un ton calme.
  
• C'était le moins que je puisse faire... Shanae... Il faut réellement que je te parle.
  
• Ce n'est pas le moment, il est tard, je suis davantage troublée par ton retour. Laisse-moi me reposer ce soir et remettre mes idées en place.
  
• Je ne voulais pas te faire autant de mal... Je ne sais pas ce qui m'a pris de partir comme ça.
  
• Sérieusement Liam ?! Tu me dis ça trois ans après ?! Tu n'as pas l'impression qu'il est trop tard ? Je ne suis plus celle que tu as rencontré et aimée !
  

Il me dévisage comme s'il ne comprend pas ce que je lui dis et pourtant, ce n'est pas si compliqué. Mon aller/retour en enfer m'a permis d'ouvrir les yeux sur la vie et je ne compte pas commettre les mêmes erreurs.

• Tu peux t'en aller, on poursuivra notre discussion demain.
  
• Shaï...
  
• Non arrête. À demain. Bonne nuit Liam.
  

Il incline la tête, revient sur ses pas et s'en va en fermant délicatement la porte derrière lui, me laissant avec mes pensées qui vont dans tous les sens. Il n'est pas venu me voir pour rien. Il a besoin de moi, enfin de Shaï, la pilote de voiture de course. Je ne suis plus celle-ci. Je ne veux plus être cette femme-là. Plus jamais ! Je me change précipitamment et grimpe sur mon lit. Le sommeil vient sans se faire prier. Je me laisse porter par cette légèreté, ce bien-être en faisant abstraction à tous mes problèmes.