Après avoir continué nos jeux dans quasiment toutes les pièces de l’appartement jusqu’au petit matin, nous nous endormons enlacés, entièrement nus.

Au bout de quelques heures de sommeil seulement, nous devons nous mettre en mouvement pour retrouver Louis, un ami d’Olivia, de passage à Montréal. Il doit nous conduire à Joliette, où Olivia habite avec son compagnon et où je dois retrouver un ami de longue date. Il pleut ce jour-là, nous attendons devant la station Fabre en partageant un parapluie. Louis, accompagné d’une fille, arrive à notre hauteur avec sa vieille Honda, nous embarquons. Ce moment est un peu intimidant pour moi car je ne connais Olivia que depuis très peu de temps, je ne sais pas à quel point ses amis sont familiers avec sa vie privée. Ils connaissent très certainement J-C, mais moi, comment dois-je me présenter ? Peut-être aurions-nous du en parler avant ? Mes craintes sont mises au repos trois secondes à peine après être entré dans la voiture. Olivia fait les présentations : “Louis, Alice, je vous présente James, mon amant pas du tout secret mais néanmoins citoyen de sa majesté. James je te présente Louis, le meilleur ami de J-C et Alice, son ex“. Voilà une façon de briser la glace qui a le mérite d’être aussi efficace que drôle. Louis et Alice paraissent parfaitement à l’aise avec cette présentation, je suis rassuré. Évidemment je me fais charrier pour parler anglais et leur donner à entendre mon accent. Nous passons le trajet à discuter art et culture sur un fond de musique folk québécoise. Ils étaient justement à Montréal pour participer à une vente en gros de costumes d’opéra. Ils ont l’air excités d’avoir déniché des pièces intéressantes pour des prix modiques et imaginent déjà comment ils vont pouvoir les customiser. Les deux sont de grands amateurs de jeux de rôles grandeur nature. Nous arrivons à Joliette après une quarantaine de minutes, ils me déposent sur une place au centre de la ville. Olivia sort de la voiture, m’embrasse puis me glisse à l’oreille : “Ne tarde pas à m’appeler, je suis déjà excitée pour notre prochaine rencontre“.

J’appelle Rafaël, avec qui j’ai rendez-vous, pour lui indiquer que je viens d’arriver. J’ai désormais une bonne demie heure à tuer. Je décide d’aller me fournir en cannabis à la SQDC avant d’acheter deux bonnes bouteilles de vin à partager avec Raf à la SAQ. Même si la plupart des français hurleraient en entendant pareille hérésie, le Québec produit d’excellents vins, des blancs fruités très équilibrés notamment.

Je suis impatient de voir Raf. Ça fait au moins cinq ans qu’on ne s’est pas vus. C'est aussi la première fois que je vais rencontrer Lise, qu'il a épousé. Raf est parti vivre au Québec il y a près de dix ans maintenant et y a longtemps été clandestin. Je suis heureux pour lui qu’il soit désormais régularisé grâce à ce mariage. Les visas, tout comme les lois d’immigration, sont autant de folies qui bafouent l’une des libertés les plus fondamentales de l’humain, celle de circuler.

Le voilà qui arrive avec sa Hyundai grise. Lui comme moi avons le sourire accroché aux oreilles, nous nous prenons dans les bras. Il fait une halte rapide à la SQDC puis nous prenons la route. Lise et Raf habitent dans un petit village à une trentaine de minutes de Joliette, en pleine nature. Sur le chemin les questions fusent. Je veux tout savoir de sa vie depuis que nous ne nous sommes pas vus, il m’interroge aussi sur la mienne, me demande des nouvelles de tous nos amis restés en France. Il me dit que c’est parfait que je sois venu ce week-end puisque c’est Roch Hachana, qu’on va pouvoir cuisiner et partager un super repas. Je lui explique que je n’ai jamais célébré une fête religieuse, il en profite pour m’expliquer la signification ainsi que tous les symboles de celle-ci. Je n’avais jamais connu Raf très religieux, même s’il s’est toujours intéressé à la spiritualité, mais je suis heureux de le voir visiblement si épanoui, passionné même, par cette étude. J’ai pour ma part toujours eu une relation très compliquée avec la religion ou la foi. Une relation d’amour-haine. La spiritualité m’intéresse énormément et je sens clairement un appel mystique en moi qui ne demande qu’à trouver sa voie mais les religions du livre ont contre elles des siècles de petits arrangements avec la morale, de dérives fondamentalistes, de conflits armés fanatiques. Pourtant, j’ai bientôt quarante ans et je sens que mon rapport à la religion est en train de s’apaiser. Le judaïsme, aussi bien spirituellement que culturellement, me fascine particulièrement. Après tout il s’agit de la spiritualité monothéiste originelle et l’apport de la culture juive au monde est inestimable dans tous les domaines. Je suis donc aussi curieux qu'excité de fêter Roch Hachana avec mon ami.

Arrivés chez lui je fais la connaissance de Lise, punk, féministe, soudeuse, massothérapeute et le cœur sur la main. Je rencontre aussi Ulysse, Claudio et Choucroute, leurs deux carlins et la chatte de la maison. Avec Raf, nouss attaquons tout de suite les préparatifs pour Roch Hachana, Lise, elle, préfère ne pas se mêler de la spiritualité de Raf. Je sens qu’ils n’ont pas terminé d’explorer le débat ensemble.

Nous préparons les différents plats ainsi que la Hallah. Ils sont tous les deux végétaliens donc pour une fois la nourriture ne sera pas un sujet problématique.

Le soir venu, à la fin du repas, nous nous installons tous les trois dehors autour du brasero, sur des chaises longues avec un plaid et un verre d’alcool. Là nous admirons les étoiles, écoutons les cris des meutes de loups des alentours en parlant de spiritualité et de philosophie jusqu’à tard dans la nuit.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas passé quelques jours aussi sereins, reposants. Au milieu de la nature splendide du Québec, entouré de forêts, de lacs, sans réseau 4G, juste à lire et échanger sur des sujets philosophiques, sociaux ou spirituels passionnants. Une bulle de bien-être, de bienveillance, avant de retourner à la vie urbaine.