Instant suspendu

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Les quelques jours suivants, nos échanges de messages s’intensifient. Nous discutons toute la journée au point qu'Olivia prend du retard sur son travail. Le soir, elle m’envoie aussi des photos en noir et blanc, suggestives mais toujours artistiques. On se remercie mutuellement pour cet après-midi hors du temps passé à se découvrir. Elle me dit qu’elle doit revenir à Montréal trois jours plus tard pour récupérer quelques œuvres qu’elle a exposées dans une galerie du Village, le quartier gay de la ville. Pour que nous ayons plus de temps, je lui propose de rester dormir chez moi le soir en lui disant que nous pourrons repartir ensemble le lendemain car je dois me rendre chez un ami qui habite à proximité de chez elle. Olivia veut d’abord vérifier avec son compagnon, JC, si ça ne lui pose pas de problème. Mon attente est anxieuse. Le lendemain, elle m'annonce que tout est réglé et que, nous disponsons de deux jours entiers rien que pour nous.

Rendez-vous est fixé, le jour dit, dans le square Saint Louis, entre la rue Sherbrooke et le boulevard St Laurent. C’est aussi le jour de la grande manifestation mondiale pour la planète et le climat et nous voulons absolument voir ce qui se trame à Montréal. Le square St Louis est un tout petit parc très étonnant en plein cœur de la ville. Refuge de sérénité et de calme coincé entre d’immenses avenues commerciales très passantes. C’est aussi un terrain de jeu hilarant pour la trentaine d’écureuils qui y habite. Courses poursuites, bagarres, love stories, toute leur vie se déroule, impudique, devant nos yeux.

Ce jour-là, Montréal vibre d’une énergie que je n’ai encore jamais vue. Les métros sont bondés, des milliers de manifestant(e)s ont pris d’assaut les rues, avec leurs pancartes, leurs banderoles et convergent tous vers le Mont Royal. La ville est comme en état de siège, des rues fermées partout, des hélicoptères qui vrombissent inlassablement dans le ciel mais au sol, la présence policière est plus discrète. Je me rends au lieu de rendez-vous pour y découvrir un square St Louis noir de monde, à mille lieux de sa quiétude habituelle. Des jeunes, en nombre, ont pris possession du minuscule parc, ils l’animent de leurs chants, de leurs cris et slogans. L’ambiance est aussi festive que revendicative. Des familles entières, avec poussettes, sont aussi de la partie. Je me pose sur un banc pour attendre Olivia tout en continuant à observer cette foule bigarrée, bruyante, joyeuse.

Deux mains se posent sur mes yeux, par derrière, puis un baiser atterrit dans mon cou. Olivia est radieuse, elle semble sautiller sur place tellement son énergie est communicative. Elle porte un slim noir, un chemisier cintré, largement déboutonné, un immense chapeau noir à bords larges et des lunettes de soleil. Je me lève, la prends dans mes bras puis l’embrasse pendant de longues secondes. Nous sommes tous les deux enlacés, immobiles, au milieu de la foule qui bouge en tous sens. Statues de bois et de sensualité en plein cœur d’un tumulte qui paraît étranger. Ces petits moments suspendus, paradoxaux, à contre sens, ont toujours eu le don de m’émerveiller. Comme s’il était possible de tisser un cocon de magie, de s’isoler n’importe où, n’importe quand. Certain(e)s les appellent des “moments de grâce“, je les appelle des moments de ré-enchantement. Ré-enchanter le quotidien, je crois fermement que c’est l’une des aspirations les plus universelles de l’humain à travers toute la planète. Que ce soit à travers l’amour, l’art ou la spiritualité, nous courrons toutes et tous après ces mêmes moments suspendus, pourtant si fugaces.

Nous partons main dans la main, parcourir les avenues pour remonter le cortège. Ce sont des centaines de milliers de manifestant(e)s qui sont dans les rues, du rarement vu à Montréal. La foule chante, crie et l’énergie qui s’en dégage est résolument déterminée, joyeuse, créative. De quoi apaiser quelques temps ma misanthropie latente.

La galerie dans laquelle Olivia doit récupérer ses œuvres se trouve dans le Village, nous décidons donc de nous y rendre à pied malgré la distance. Nous aimons tous les deux marcher, ça nous donnera donc l’occasion de voir une bonne partie du cortège. Déambuler dans les grandes villes, prendre le temps de sentir les ambiances, les atmosphères, les lumières et les odeurs, est un plaisir que nous partageons. Ces pérégrinations sont l’occasion de grandes discussions sur l’art, sur l’amour ou le sexe. L’opportunité aussi d’apprendre à mieux nous connaître, à nous livrer par petits bouts. Nous nous sommes découverts en jouissant et en marchant.

Les rues et les avenues défilent, toutes envahies par la même foule aussi dense qu'animée. Nous traversons des boulevards en coupant le cortège sans jamais se perdre de main. Deux gamins malicieux qui se faufilent en riant au milieu des foules, escaladent des barrières de sécurité à la barbe des policemen, se perdent dans des raccourcis improbables, se dévorent des yeux au moindre regard et s’embrassent à chaque pause.

Après une bonne heure de vadrouille, nous arrivons dans le village, Olivia récupère ses œuvres dans la petite galerie coincée entre deux immenses sex-shops. Nous nous attablons à l’intérieur du Saloon Bar pour siroter des margaritas. Les heures défilent, nous en sommes à notre quatrième cocktail. Les yeux pétillent, les mains se font baladeuses sous la table et Olivia ne tient pas en place sur sa chaise. Assis côte à côte, j’ai déboutonné son slim et plongé ma main à l’intérieur. Je la regarde dans les yeux et lui dit que son nouveau défi consiste à jouir sans que personne dans le café ne s’en rende compte. Elle esquisse un sourire puis baisse la tête en signe d’acceptation. Mes doigts continuent à l’explorer, j’observe, amusé et excité, ses petits spasmes, ses lèvres qui se tordent, ses seins qui se durcissent sous son chemisier noir, son bassin qui va et vient sur ma main. Nous tentons de maintenir un semblant de conversation mais ses mots ne sont plus que chuchotés, à demi-perceptibles au milieu d’un souffle chaud de plaisir qui la submerge entièrement. Ses deux mains se posent sur la table, sa respiration est lourde, ses bras se tendent. Elle tourne soudain la tête et me regarde intensément en se mordant la lèvre inférieure. Je sens tout son corps se tendre puis son sexe enserrer puissamment mes doigts pendant quelques secondes. Une vibration la parcourt mais elle ne lâche pas mon regard. Ses muscles se relâchent alors et elle expire un peu plus bruyamment. Je retire ma main luisante, suce tous mes doigts en même temps sans la quitter des yeux. Je saisis ensuite son visage à deux mains pour l’embrasser avec gourmandise. Nous réglons les boissons, quittons le Saloon et nous engouffrons dans la station de métro Beaudry qui est encore noire de monde.

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