Tout commence donc par l'une de ces fameuses applications, sulfureuses hier, devenues la norme aujourd’hui. L’envie n’y est pas, le geste est mécanique, froid, empli de désillusion. Je viens de connaître une déception amoureuse majeure, j’ai mal et décide de me replier en mode zombie, gentil consommateur, de rentrer dans le moule et de ne pas faire de vagues en attendant de ressentir à nouveau un pouls.

Je suis à Montréal, ce mois de septembre est clément, chaud même, suffisamment en tout cas pour ne pas rester enfermé. Même si l’envie n’y est pas, je lis quand même les profils, ces quelques mots jetés dérisoirement sur l’écran pour tenter de cerner mes semblables.

Le profil d’Olivia couche sur l’écran des mots qui créent une vibration en moi. Poly-amoureuse, anarchiste émotionnelle. Son sourire est à l’unisson avec ses yeux, remplis de malice. On y lit aussi une certaine curiosité. Sa peau est diaphane, ornée de bijoux, ses cheveux ont la couleur de l’interdit. Pour la première fois depuis longtemps, mon index “swipe“ à droite. Quelques jours passent, la notification tombe, c’est un “match“. Nous parlons par messages interposés et la discussion prend aussitôt une tournure inattendue mais salvatrice. Olivia est passionnée d’art, elle en a même fait son métier, médiatrice culturelle. Elle conçoit et mène des projets artistiques en lien avec des publics cibles. Elle a aussi une pratique artistique propre, petits formats érotiques mêlant photographie, peinture, collages. Nous discutons d’Orlan, du body art, de photographie, d’art inuit. Sa culture artistique est impressionnante, à chaque message je note au moins une référence pour m’en souvenir. Les échanges fusent et sont transparents dès le départ.

Olivia me parle de son compagnon, JC. Ils sont ensemble depuis plus de dix ans et ont décidé de vivre une sexualité ouverte, non exclusive. Les deux explorent aussi des terrains en dehors des sentiers battus, pratiques BDSM, fétichisme, hypnose érotique etc. Ma précédente relation suivie était une TDS, nous avions donc exploré certains de ces territoires ensemble, dans le cadre de notre couple, et je n’ai pas de tabou même si je sais que certaines pratiques ne correspondent pas à ce que je suis. Je n’ai, par exemple, aucune attirance, et disons le franchement, même une répugnance pour toutes les pratiques d’humiliation, soient-elles consenties ou même réclamées. Ça peut paraître étrange, même contradictoire pour certains esprits étroits, mais pour moi l’une des composantes les plus importantes et sensuelles du BDSM est la bienveillance. Je ne peux explorer les rivages du sadisme qu’avec un regard empli de tendresse et une attention décuplée au plaisir de ma partenaire. C’est un échange intense basé sur une confiance absolue dans la bienveillance de l’autre. Comment pourrais-je faire claquer un paddle ou une cravache en n’étant pas totalement certain qu’il va déclencher une vague de plaisir, des râles de désir ? La communication est primordiale, à chaque instant. Rester attentif aux bruits et râles de son ou sa partenaire, à son langage corporel, à ses paroles, à son regard. Un lien ininterrompu, souvent silencieux, doit se tisser du début à la fin de cet échange si troublant et excitant.

Olivia me dit également qu’elle n’apprécie pas les clichés liés au fétichisme, elle ne participe quasiment pas à la “scène“. Je suis en accord total avec cette vision, je déteste les ghettos que l’on recrée pour échapper au modèle dominant. Je comprends l’intention et les codes mais ils ont le don d’éteindre tout effet de surprise,  toute volonté de sortir des sentiers banalisés, de nouvelles normes en somme, un nouveau carcan. Les esprits les plus libres n’échappent ni à l’instinct grégaire ni au besoin de validation.