Chapitre 7

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Les jours passent et je vais presque quotidiennement chez Anha. Je m’endors à 20h et me lève à 7h15 mais malgré ça, je suis dans un état de fatigue permanent.

L’école est souvent ennuyeuse et les cours de tirs à l’arc répétitifs. En fait, je passe le plus clair de mon temps à ne penser à rien, en me reposant l’esprit.

Mais au moins, je ne suis plus déprimé. Anha m’a donné un but, un sens. La récompense est là, juste là, mais il faut la mériter. Outre le fait que je dois essayer d’échapper à une vie de malheurs, je dois aider ceux qui, comme moi, doivent être punis.

Et je suis généreux. Je le sais, Anha me l’a dit. Je suis généreux et grâce à ça je vais pouvoir aider les autres.

Parfois, pour les aider, il faudra leur faire vivre un malheur intense, mais court. Ce sera dur pour eux mais au moins ils échapperont à une vie remplie de petits malheurs, une vie gâchée. Ce sera vite fait bien fait, et si ce malheur est trop intense, alors ils seront récompensés. J’écourterai ainsi leur peine.

Anha me dit tout, ne me cache rien, sur la vie. Il connait tout et je suis fier d’être son élève. Je pense l’avoir mérité.

Parfois, je me dis que j’aimerais connaître son histoire, mais il ne parle jamais de lui, pas même en passant. Je voudrais qu’il me donne le secret de son savoir, d’où il l’a eu.

Jamais je n’ai rencontré quelqu’un de pareil. Il est froid, dur, mais plus fascinant que les étoiles, et plus impassible que la nuit. Il donne des raisons de faire, des raisons de vivre. Il est tel que j’ai parfois l’impression qu’il n’est pas réel.

Il me réapprend le bien et le mal. Ce sont comme des charges électriques qui s’attirent et se repoussent, mais ces charges peuvent changer de signe à tout moment, se modifier par le temps. Et si l’une change, toutes les autres changent aussi. Toutes les charges sont positives et négatives, mais un signe domine l’autre, et pas toujours le même.

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- Je pense que tu es prêt, dit Anha.

- Prêt à quoi ?

En ce dimanche après-midi, je suis chez lui, assis dans le siège blanc que je considère à présent comme le mien. Le soir tombe et la seule source de luminosité va bientôt être la petite lampe à LED blanche posée dans un coin, sur un des seuls meubles de la pièce.

Anha ne répond pas à la question. Il lui arrive régulièrement de faire ça et je ne m’en soucie plus. Il reprend, après plusieurs secondes :

- Je vais te confier une mission.

Je ne dis rien mais je sens une onde de joie me parcourir. Je ne pose pas de question et attends qu’il reprenne la parole.

- Il y a, dans ta classe, une fille enjouée qui a des cheveux longs, clairs et mats.

- Maxima ?

Dans l’obscurité, je le vois hocher légèrement la tête. Je me demande ce qu’il lui veut et comment il se rappelle d’elle alors qu’il ne l’a vue qu’un jour. Il reprend :

- Elle ne voit son père qu’une fois par mois, car il voyage beaucoup pour son travail, et elle ne s’entend pas beaucoup avec sa mère. De plus, son beau-père la bat.

- Elle vit une vie de punitions ?, je demande.

- Je le crois.

Je suis sous le choc. J’ai toujours vu en Maxima quelqu’un de joyeux. Comme quoi il ne faut jamais se fier aux apparences.

- Elle porte toujours avec elle un pendentif que lui a offert son père. Il s’agit d’une simple corde fine au bout de laquelle est accrochée un crystal blanc rosé taillé en cœur. Il le lui a ramené d’un de ses voyages en Amérique du Sud.

À présent, la nuit est totalement tombée. Je me cale plus confortablement dans le siège, malgré que je sois très tendu.

- Chaque fois qu’elle se sent mal, elle le serre dans sa main. Il est pour elle symbole d’espoir et de l’amour de son père.

Il se redresse soudain et me regarde à travers le noir qui règne.

- Bientôt va survenir une ultime punition, une punition qui va peut-être l’anéantir totalement. Tu dois l’aider. Et pour cela, tu dois lui arracher son pendentif.

- Mais pourquoi ?

- Elle reçoit des punitions car elle n’était pas assez sûre d’elle dans sa vie précédente, et cela l’a conduit à faire des choses horribles. Mais ce caractère persiste dans cette vie. Si tu lui arrache ce qui lui permet de rester confiante, alors cela aura deux impacts positifs sur elle. Tout d’abord, elle deviendra plus forte car elle devra surmonter l’absence de son objet précieux et évitera de refaire ce qu’elle a fait dans sa vie précédente, et de recevoir donc des punitions. Ensuite, cela remplacera l’acte ultime qu’elle est condamnée à subir bientôt car son pendentif est pour elle une des choses les plus précieuses.

- Maxima a l’air très sûre d’elle, j’affirme.

- Avoir l’air ne signifie pas être. Plus on a l’air sûr de soi et plus on souffre au fond de nous.

Je prends quelques minutes pour réfléchir et prendre conscience de ce qu’Anha me demande.

- Je dois lui enlever ce qui lui permet de tenir le coup tous les jours ?

- Et enlever cette peine qu’elle vivra si tu ne le fais pas, tout en la rendant plus sûre d’elle.

Je déglutis.

- Je n’ai rien à t’exiger. Mais je sais que tu le feras car tu es généreux et que cela te permettra d’échapper à la vie de malheurs à laquelle tu es promis.

C’est le cours de math. Mme Sato-Ito a envoyé Georges distribuer les objectifs du chapitres suivant. Devant nous sont assises Maxima et son amie Mila. Elles s’arrangent toujours pour être près de Marc. Tandis que la prof parle à un élève, Maxima se retourne vers nous, ou plutôt vers Marc.

- C’est cool, il parait que M. Wil n’est pas là. On pourra sortir plus tôt.

Marc acquiesce de la tête et Maxima lui repose une question auquel il répond vaguement. J’observe la jeune fille. Alors qu’elle se penche un peu plus vers mon ami, je vois se balancer, accrochée à son cou, une pierre rosée. Mon cœur se serre.

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- Peut-être que je t’ai surestimé.

Je suis assis chez Anha. Son ton est glacial et cinglant.

- Je suis désolé. Je l’ai vue le serrer dans sa main. Elle y tient plus que tout, je dis, ma voix tremblant un peu.

- Ainsi, tu es désolé de l’avoir condamnée à un affreux supplice ! Tu es désolé de lui avoir fait du mal ?!

- Je lui ferais du mal en lui enlevant cette pierre.

- Alors tu n’as rien compris. Tu n’as absolument rien compris !

Il s’est levé et me fusille du regard. Il est terrifiant. Il marche autour de mon siège. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi fâché. J’ai l’impression que, dans sa colère, il est prêt à tout détruire. Et les mots qu’il dit ensuite me déchirent de part en part.

- Peut-être que tu n’es pas assez fort. Peut-être que je ne devrais pas t’aider.

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Allongé dans mon lit, je souffre. La colère d’Anha est pour moi pire que tout. Je n’en peux plus. J’ai l’impression d’exploser. Je ne sais plus ce qui est bien et ce qui est mal.

Au pire de mon supplice, je comprends qu’il a raison. Je ne suis pas assez fort. Pas assez fort pour aider les autres en m’aidant moi-même. Je suis un faible. Qui inflige des souffrances aux autres. Si je continue, alors ma prochaine vie sera truffée de punitions, de supplices. Il est peut-être déjà trop tard.

Mais non, il n’est jamais trop tard. Je veux me racheter. Je veux prouver à Anha ma valeur. Et demain, je prendrai le pendentif. Je le ferai sans réfléchir.

Je me regarde dans le miroir et vois un garçon qui ne sais plus où il en est. Mais qui malgré tout sait ce qu’il a à faire.

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C’est la pause de midi. L’après-midi, au programme : éducation physique.

Pour ce cours, le groupe des garçons court autour de la cour, dans le froid de novembre, tandis que les filles se rendent à la piscine.

Georges a insisté pour que l’on se pose non loin de Mila, dans la cour. Elle est évidemment accompagnée de Maxima. Elles sont occupées à enlever leurs bijoux pour les mettre dans leur casier le temps du cours de natation.

- J’ose pas lui parler, mais j’aimerais bien, dit Georges.

- Tu veux qu’un de nous y aille, demande Marc.

- Oui peut-être mais je ne sais pas trop.

J’ai soudain un tilt en voyant briller quelque chose que Maxima met dans son casier.

- J’y vais, fais-moi confiance, je dis à Georges.

Je ne lui laisse pas le temps de répliquer et m’avance vers les filles.

- Qu’est-ce qu’il y a ?, demande Maxima.

Je vois le pendentif posé dans son casier.

- Mila, qu’est-ce que tu penses de Georges ?

- Qu…quoi ?, dit-elle, prise au dépourvu.

Je m’adosse au casier. Maxima et Mila me regardent.

- Ben, ça te dirait d’aller au ciné avec lui, jeudi ?

- Euh. Aller au ciné ?

Je tends la main vers le casier et tâte à l’intérieur, cherchant une corde ou une pierre.

- Oui, jeudi, je confirme à Mila. Alors, c’est d’accord ?

Mes doigts se referment sur le pendentif.

- Euh, oui, peut-être. Il faut que je voie avec mes parents.

- Si ce n’est pas jeudi, ça peut être un autre jour.

Je ramène ma main et la glisse dans ma poche, le bijou fermement serré entre mes doigts.

- Écoute, pourquoi pas. Mais je demanderai à mes parents quel jour je peux y aller, répond Mila.

- Ok, je lui dirai. À tantôt ou demain.

- Oui.

Je m’éloigne et les entends rigoler en commentant ce qu’elles viennent d’entendre. J’éprouve un mélange de culpabilité et de joie sauvage. Je passe devant la vitre d’une classe et mon reflet me surprend. J’ai un visage dur, impassible. Enfin je vais lui prouver ma vraie valeur. Il verra que je suis fort et il sera fier de moi. Je souris.

Je rejoins donc mes amis qui paraissent estomaqués par le fait que je viens d’aller parler à Mila de la part de Georges, et qui n’ont pas remarqué ce que j’ai pris dans le casier de Maxima.

- T’as dis quoi ?, demande Georges, l’air mécontent.

- Peu importe. Écoute, tu as RDV avec Mila au cinéma cette semaine ou la semaine prochaine, en fonction de quand ses parents veulent bien.

Georges parait ne pas en revenir. Puis, un air victorieux se dessine sur son visage.

- Ya-hou !!!! Merci mec, merci !!

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- On a un peu débordé sur le temps, dit mon prof de gym, un colosse antipathique et psychopathe en voyant les filles, leurs cheveux humides détachés, rentrer de la piscine. Grouillez-vous pour vous rhabiller, je pars et je ferme le vestiaire dans cinq minutes, peut importe s’il en reste dedans.

Nous rentrons, fatigués, dans le vestiaire. Je retire mon short et mon t-shirt règlementaires et enfile mon jean et mon polo après une giclée de déodorant. Ensuite, je prends ma veste et mon sac et sors en trombe :

- Je t’attends dehors, je lance à Marc.

Je marche vers les casiers. Je m’appuie nonchalamment sur l’un d’eux et sors mon GSM. Près de moi, Mila attend Maxima qui récupère ses dernières affaires dans son casier.

Elle fouille à l’intérieur, l’air un peu inquiète.

- Tu cherche quoi ?, lui demande son amie.

- Le collier de mon père, avec la pierre rose. Tu ne l’aurais pas vu ?

- Non, tu l’as peut-être oublié à la piscine.

- Je pensais l’avoir laissé dans mon casier. Tu peux vérifier si je ne l’ai pas mis accidentellement dans le tien.

Mila soupire, sort une clé et la glisse dans la serrure d’un casier un mètre plus loin que celui de son amie.

- Bon, ok. Mais on va finir par rater le bus.

Elle ouvre la porte du casier, complètement vide.

Maxima se met à trembler.

- Je ne sais pas où je l’ai mis.

Elle fouille son sac de piscine et d’école.

- On doit y aller, maintenant, Max, dit Mila.

Mais des larmes commencent à couler sur le visage de son amie. Elle dit d’une voix agitée de sanglots :

- Je…je ne peux pas le perdre. C’est mon p…père qui me l’a donné. Je…j’y tiens plus que tout.

Quand je sonne à la porte, j’ai l’impression que mon estomac pèse trois tonnes.

La porte s’ouvre et il apparait sur le seuil. Grand. Impressionnant.

Je déglutis en tendant devant moi ma main ouverte, dans laquelle est posé le pendentif.

Il le fixe intensément puis tend sa main et ses doigts se referment autour de la pierre. Il la prend.

Alors, ses lèvres forment un sourire et il dit :

- Finalement, tu es fort.

Une cascade de bonheur déferle dans mes veines et je le suis dans la pièce habituelle.

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Ce soir, je suis dans mon lit. Je repense à ce que j’ai fait. Ai-je commis un vol ?

Non, un vol, ce n’est qu’à son bénéfice personnel. Les voleurs ne pensent pas aux volés. Ils se contentent de leur prendre leurs biens.

Moi j’ai fait ça pour œuvrer pour le bien afin d’échapper à la vie de punitions qui m’est promise si je ne le fait pas. Mais j’ai aussi fait ça pour elle, pour Maxima. Je ne ressens aucun sentiment particulier à son égard. J’aurais fait ça pour n’importe qui, si ça peut l’aider. Grâce à moi, Maxima ne vivra pas le supplice qui lui était destiné au départ. Je lui ai sans doute sauvé la vie. Elle me doit une éternelle reconnaissance.

Plus j’y pense et plus je me dis que son pendentif était un objet malsain, maudit. Il lui empêchait d’avoir confiance en elle, d’avoir du courage qui venait d’elle-même.

Je suis heureux de ce que j’ai fait. J’ai œuvré pour le bien. J’ai aidé Maxima. Je me suis aussi aidé moi-même.

Et, surtout, j’ai regagné la confiance de mon maître. J’ai fait mes preuves aux yeux d’Anha.

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