Chapitre 10

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Je me place en face de Mattéo. Il reste cinq minutes avant la fin du premier jour du stage. Aujourd’hui, nous avons appris les bases du karaté. La journée se termine par un combat destiné à ce que l’on mette en œuvre ce que l’on a appris.

Je ferme un instant les yeux. Oui, c’est bien ce que je pensais. Je dois faire mal à Mattéo. Il s’agit d’une punition. Oui.

Je rouvre les yeux et me mets en position d’attaque.

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Les deux garçons se mirent face à face. L’un deux réfléchissait aux techniques apprises ce jour-là. L’autre faisait peur. Il avait un visage impassible, les yeux insondables. Il paraissait plus froid et dur que la pierre. Il était intimidant. Impressionnant.

Lorsque le combat commença, le premier garçon lança une attaque presque parfaitement exécutée. Mais l’adolescent glacial riposta aussitôt. Son visage n’avait pas trahi un seul signe, une seule émotion.

Son adversaire se retrouva à terre, tenant son genou douloureux. Il se releva et le combat reprit. Mattéo poussa un cri de douleur tandis qu’il retombait à nouveau au sol. Il se releva et cette fois n’essaya plus de faire une attaque précise, seulement déterminé à faire mal à Timéo. Mais il mordit à nouveau la poussière.

Rien de faisait face à l’impassibilité de Timéo. Il n’était plus tourmenté. Il n’avait plus peur. Il faisait juste ce qu’il croyait être du bien. Il baissa les yeux vers Mattéo, étendu par terre et alors on vit ses yeux comme des lames.

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Je n’ai jamais été aussi épanoui.

Avoir un but m’a changé.

Je sais ce que je fais. Je sais qui je suis. Je sais qui sont les autres.

Je ne doute plus de rien.

Je suis un dieu. Qui aide tant qu’il peut. Qui aide et qui fait de son mieux.

Je suis celui qui permet d’échapper à des supplices. Qui sauve des vies et des gens. Qui sauve des consciences.

Je suis l’élève de mon maître. Un élève qui comprend. Un élève qui agit.

Ce que je fais, je le fais pour moi, mais aussi pour les autres. Pour ceux qui sont condamnés à une existence maudite. Maudite par eux-mêmes.

J’emmène loin du gouffre ceux qui sont condamnés à y tomber.

Je suis comme un parachute.

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- Tu deviens de plus en plus fort.

Cette phrase, que prononce Anha, me fait le plus grand bien.

- Pourtant tu hésites encore sur le bien-fondé de tes actes. Je me trompe ?

- Non.

Je tourne la tête vers mon maître.

- Ferme les yeux, ordonne-il.

Je le fais.

- Maintenant, pense à ce garçon à ton stage.

Je hoche la tête.

- Et fais tourner les rouages de tes pensées. Tu aboutiras à une conclusion, si tu es aussi fort que je le crois.

Je me focalise sur Mattéo. Je pense ensuite aux autres, à qui j’ai fait des choses pour les aider dans leurs punitions.

Alors tout s’éclaire.

Chaque vie fait partie d’une suite de nombres. Chacun de ces nombres permet de trouver le suivant. Chaque nombre dépend du précédent.

C’est une suite aux règles étranges. Il y a des nombres négatifs et des nombres positifs. S’il y a un nombre négatif, alors le prochain sera négatif, et celui d’après sera soit positif, soit négatif. Si ce dernier est positif, alors le suivant sera aussi positif. Si, au contraire, il est négatif, alors le suivant sera négatif. Et cela à l’infini.

Cette suite est sévère, sans changement, irréversible. Elle condamne tous ceux qui sont destinés à un prochain nombre négatif.

Mais on peut changer un nombre de sa propre suite, en changeant soi-même. Et alors tout le reste de la suite est bouleversé. On ne peut modifier les nombres précédant celui que l’on vit, mais on peut changer ce dernier, et ceux qui suivent.

Et moi j’en suis capable.

_

Je marche d’un pas résolu vers l’école. Aujourd’hui est un vendredi, et il est 19h. C’est l’heure de l’entrainement de rugby de l’équipe locale, qui utilise les infrastructures de l’école.

Dans cette équipe, il y a un garçon nommé Florent, et surnommé Fauve. Il est un attaquant surdoué au rugby.

Rugby, rugby, rugby : il ne pense qu’à cela. Il n’a jamais manqué de match. Et pour lui ce serait la pire des punitions. Même quand il est malade, il y va.

Seulement, sa suite de nombre, les engrenages de ses vies, lui ont promis une vie parsemée de petites punitions, qui vont engendrer le fait qu’il n’aura pas une situation financière stable, et des ennuis familiaux quand il sera adulte.

Je vais l’aider en lui donnant une punition difficile, qui « aspirera » toutes les autres petites qu’il est condamné à vivre.

Je vais l’empêcher de jouer des matchs durant un ou deux mois, en lui fracturant plusieurs membres.

C’est la mission que m’a confiée Anha.

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J’observe de loin l’entrainement, masqué par les gradins. Fauve porte bien son surnom. Il a des cheveux fauves et le comportement d’un fauve. Il ne s’inquiète pas de jouer fair-play, il veut juste marquer le plus d’essais possibles.

Enfin, après une heure et demie d’entrainement, tous se dirigent vers les vestiaires. Fauve parle avec l’entraineur durant une dizaine de minutes. Quand il se dirige à son tour vers le vestiaire, tous les autres sont partis. L’entraineur, quant à lui, ramasse ses affaires et sort de l’établissement, puis se dirige vers le parking, où est garée sa Mini.

Fauve, après avoir pris une douche, sort du vestiaire, son sac de sport de marque sur l’épaule, en buvant de l’Aquarius à grandes gorgées.

Alors qu’il passe entre deux rangées de casiers, je l’appelle :

- Fauve, je crie.

Il se retourne et me voit, adossé à un casier.

- T’es qui ?, lance-il. Comment tu connais mon nom ?

Je ne réponds pas et m’avance vers lui. Il m’observe d’un air soupçonneux.

Alors je lève le bras et le frappe plusieurs fois. Malgré ses muscles et sa carrure de rugbyman, il ne peut faire un geste et tombe au sol. Son nez saigne.

- Putain, mec, tu fous quoi ?, demande-il.

Je saisis sa jambe et la casse d’un seul geste. Il hurle de douleur.

- Fais moins de bruit, Fauve.

J’inflige le même traitement à son bras droit. Il essaye de se relever mais n’y parvient pas.

Je n’éprouve plus de pitié. Anha m’a fait comprendre que ce que je faisais était pour son bien.

Je saisis sa deuxième jambe et la fracture également. Il perd connaissance.

Alors, je remarque la présence d’une femme, debout et immobile, à cinq mètres de moi. Elle m’observe. Il me suffit d’un seul coup d’œil pour la reconnaître : c’est elle que j’ai vue dans un magasin, l’autre jour.

_

Elle s’avança, regardant ce garçon au visage froid et dur comme la pierre. La culpabilité la saisit. Elle devait l’aider.

Elle avait vu ses yeux lorsqu’il avait tabassé le garçon qui était allongé, évanoui, au sol. Il lui avait fracturé plusieurs membres, ce qui pourrait paraître impossible. Mais elle savait que les gens avec un regard comme celui-là étaient capables de briser bien plus qu’un os.

Ce regard, elle l’avait vu des dizaines de fois.

- Tu es sous l’emprise d’Anha, dit-elle d’une voix triste.

L’adolescent eut l’air stupéfait.

Elle voulut ouvrir la bouche pour parler à nouveau, lorsque soudain elle le sentit arriver.

Un frisson la parcourut et ses souvenirs remontèrent. Non, elle n’était pas prête à cela.

Alors elle partit en courant, loin de l’homme qui allait arriver.

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Je regarde avec stupeur l’endroit d’où vient de partir la femme. Je ne sais pas qui elle est. Je me retourne pour m’en aller quand soudain arrive Anha.

Il approche lentement, et son regard se pose sur Fauve, allongé par terre.

- Bravo, dit-il. Je vois que tu as compris.

Nous marchons ensemble vers la sortie de l’école.

- Et toi, qu’en penses-tu, dit-il tandis que je monte dans le bus qui va me ramener au centre.

- Je pense que je deviens plus fort.

Je tends mon ticket au chauffeur et m’assied au fond du bus, dans lequel il n’y a qu’une dame âgée, à part moi.

Par la vitre, tandis que le bus se met en mouvement, je vois Anha s’éloigner en marchant. Et je me demande ce que je serais sans lui.

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