Chapitre 12

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Je suis debout. Autour de moi, il n’y a que du blanc. Du blanc à perte de vue.

Je ne suis pas debout sur un sol, je suis debout au milieu de ce blanc infini. Je ne sens pas de gravité. Je ne bouge pas.

Je m’observe et vois que je suis nu. Mais je ne vois personne d’autre donc cela ne me gène pas.

Je regarde vers le bas, en tout cas en-dessous de mes jambes, et je distingue un point qui s’approche peu à peu.

Je ne sais pas ce que c’est. La chose s’approche peu à peu. Alors, je vois qu’elle représente un chiffre.

Un autre approche par au-dessus, accompagné du signe « - ». Les deux chiffres commencent à tourner autour de moi.

En voilà quatre autres, certains négatifs. Ils tournent à leur tour autour de moi.

D’autres arrivent, puis encore d’autres. De plus en plus. Ils sont des dizaines, puis des centaines. Et il en arrive encore, formant autour de moi une sphère.

Alors, je remarque qu’ils se rapprochent de plus en plus. Que la sphère se rétrécit. Elle devient de plus en plus sombre, tandis que d’autres chiffres, comme une suite sans fin, la rejoignent.

Je commence à paniquer, mais la sphère rétrécit encore. Elle m’enveloppe et je crie. Je me débats, impuissant, tandis que les chiffres m’emprisonnent. Je hurle à m’en décrocher la voix, mais les nombres m’enferment de plus belle.

Je me réveille en sursaut.

_

Le dimanche, je passe une bonne partie de la journée à me remettre en ordre sur les cours de Marc. Quand enfin j’ai fini, j’enfile à la hâte ma veste d’hiver et sors dans le froid.

Impatient, je me dirige vers la maison d’Anha en courant presque. Je n’ai pas pu venir depuis longtemps à cause de ma grippe, mais il n’est pas le genre de personne à s’en inquiéter.

J’arrive devant chez lui et notre rituel habituel se déroule : je sonne à la porte, il me fait entrer et je m’installe dans mon siège blanc tandis que lui prend place dans son fauteuil noir.

Cette fois, pourtant, il reste debout. Je me relève pour être debout également. Nous sommes séparés d’une distance d’environ deux mètres et demi. Il me fixe longuement en silence avant de prendre la parole, en me regardant dans les yeux comme pour me scruter de l’intérieur.

- Timéo, commence-il.

Dans ses yeux brûle une flamme étrange.

- J’ai eu l’occasion d’observer les autres élèves de ta classe.

Je hoche la tête.

- Et qu’en avez-vous conclu ?

- Des choses sombres.

Il ferme un instant les yeux, les rouvre.

- Je me suis rendu compte, reprend-il, que tous sont promis à une vie parsemée de punitions, qui vont aller en s’intensifiant. Elles seront…terribles. Tes amis, Marc et Georges, en font partie.

Je m’arrête de respirer. J’ai l’impression qu’un poids vient de tomber lourdement dans mon estomac.

- Vous…vous en êtes sûr ?

Il acquiesce.

- Puis-je les sauver ?, je demande.

- Oui, Timéo, tu peux les sauver.

Ma poitrine se relâche et le poids dans mon ventre disparait. J’attends qu’il me donne plus d’explications mais il continue à me fixer insensiblement.

- Comment ?, je demande sans pouvoir m’en empêcher.

Il détourne les yeux un court moment puis les repose sur moi.

- Leurs punitions sont si terribles qu’elles ne peuvent pas être remplacées par quelque chose d’intensément douloureux, mais court.

Ce qu’il vient de me dire met un moment à filtrer jusqu’à mon cerveau.

- Vous, vous voulez dire que…, je commence d’une voix à la fois affolée et perdue.

- Oui Timéo, me coupe-t-il, tu dois mettre fin à leur vie actuelle.

- Non !

J’ai lancé ce dernier mot en criant avec désespoir. Mes jambes lâchent et je tombe dans le siège.

- Je ne peux pas faire ça, je dis, les larmes me montant aux yeux.

- Si, Timéo, tu le peux. Tu es assez fort pour cela, j’en suis sûr.

- Mais la mort ne peut remplacer des punitions non-mortelles !

- Oui Timéo. Mais tu peux leur donner une nouvelle chance ! Tue-les, et ils seront réincarnés avant demain, avec à la clé des récompenses et une belle vie à recommencer. Ils n’auront pas pu vivre longtemps, et recevront des compensations !

La flamme dans ses yeux brille de plus belle et je ne peux m’en détacher.

- Comment pouvez-vous être sûr de cela ?

- Je le sais. J’en suis sûr. Je t’ai fait confiance, Timéo. À toi de me faire confiance en retour.

_

Lentement, mon maître pose ses mains sur mes épaules.

- Timéo, dit-il doucement.

Je relève la tête et essuie mes larmes d’un geste rageur.

- Écoute au fond de ton cœur. Dois-tu me faire confiance ?

Je clos mes paupières et respire lentement.

- Oui, je réponds faiblement, les yeux toujours fermés.

Je le vois hocher la tête à travers mes paupières.

Le contact de ses mains sur mes épaules est apaisant. Je rouvre lentement les yeux. Je sais pertinemment bien ce que je dois faire.

- Timéo, ce qui te préoccupe, ce sont Marc et Georges, n’est-ce pas ?

- Oui, mais vous avez raison.

Nouveau hochement de tête de sa part.

Il retire une main de mon épaule gauche et sort de sa poche des pains de plastic ainsi qu’une grenade. Des objets dont je connaissais l’existence, mais que je n’avais jamais vus auparavant.

- Tu vas mettre le plastic à différents endroits de ta classe. Au moment J, tu lanceras la grenade. Le détonateur se trouve à l’intérieur. Quand elle explosera, le plastic explosera aussi, dit-il d’une voix calme. Tu as compris ?

- Oui, Maître, j’ai compris.

C’est la première fois que je l’appelle ainsi. Il me fixe avec étonnement, mais fait aucun commentaire.

J’ai réussi. J’ai réussi.

- Je n’ai rien d’autre à te dire. Tu recevras sûrement une grande récompense pour l’acte que tu vas accomplir.

- Quand devrais-je le faire ?

- Quand tu sentiras que c’est le moment. Ne reviens pas avant.

- D’accord. Merci, mon Maître.

Je suis dans un endroit sombre. Une cellule de prison.

Je suis attaché par des chaînes glacées au mur.

Arrivent des individus cagoulés. Ils portent des couteaux et des massues.

Ils lèvent leurs armes et commencent à frapper. Je veux crier mais j’en suis incapable. Je veux bouger mais j’en suis incapable. Je suis juste capable de ressentir la douleur des coups qui me sont portés, de ma peau qui se déchire. Du sang qui coule à flots.

Enfin ils repartent. Ils referment la porte derrière eux.

J’observe la cellule. Juste des murs sombres et des barreaux à des fenêtres qui n’apportent pas de lumière.

Alors seulement je remarque tous les chiffres écrits sur les murs, les uns après les autres. Tous des chiffres représentant les suites de nombres, et qui m’enferment.

Je hurle.

Je me réveille en sursaut.

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