Chapitre 13

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Cher journal,

Depuis qu’il est rentré, hier, Timéo a un regard étrange. Quand il me regarde, il regarde le néant. J’ai peur pour lui, et j’ai peur pour moi. J’ai un mauvais pressentiment.

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La cloche sonne : c’est l’heure de la pause. Je regarde les autres sortir de la classe, accompagnés du professeur qui court droit vers les toilettes.

Calmement, je prends mon sac kaki et le pose sur mon bureau. J’en sors les cinq pains de plastic. Je me dirige vers le bureau du prof et en colle un en-dessous. Je place le deuxième sous le bureau de Maxima et les autres sous d’autres bancs. Je les choisis par intuition, et non par mon degré de proximité avec les autres élèves.

Quand j’ai fini, je prends mon sac et me dirige vers la porte. Je me retourne une dernière fois quand je suis sur le seuil et observe la classe qui ressemble à telle qu’elle est tous les jours. Sauf qu’elle est truffée d’explosifs.

Je suis serein. Je fais ce qu’il faut. Le professeur sera lui aussi victime de l’explosion, mais il le faut si je veux aider ceux de la classe. Il recevra certainement une grande récompense en compensation dans sa vie suivante.

Je me retourne et me dirige vers la cour, en croisant au passage le professeur qui revient des toilettes.

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Je referme la porte d’une cabine de toilettes derrière moi et respire à fond. J’ai la nausée, et je ne sais pas pourquoi. Je sors de mon sac la grenade et l’observe. Alors, je remarque un trou à l’extrémité. C’est là que se trouve le détonateur. On en voit un morceau dépasser.

J’observe cette partie visible du détonateur. Il y a dessus un petit bouton, avec quelque chose indiqué sur ce bouton.

Je sors mon GSM et en allume la lampe. Je l’approche de la grenade et parviens à déchiffrer l’inscription « pour désamorcer ».

Donc, si l’on appuie sur ce bouton, je suppose que le détonateur sera désamorcé, et donc ne pourra faire exploser les pains de plastic.

Je n’aurais pas du découvrir ce bouton. Il me fait douter.

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La cloche sonne à nouveau. Nous rentrons dans la même classe que celle dans laquelle nous avons eu cours avant.

Nous nous asseyons.

J’ai l’impression qu’un cri intérieur me vrille les tympans.

- Mettez-vous par groupe de travail pour continuer la préparation de votre exposé, annonce le prof.

Tous les élèves se lève et se dirigent vers les autres membres de leur groupe.

C’est le moment, je ne peux plus attendre. Je dois profiter du brouhaha que font les autres en se déplaçant.

Je pense à Anha. Et je pense à la femme qui m’a dit que j’étais sous son emprise. Je ferme les yeux et demande à ce que l’on ne remarque pas ce que je vais faire.

Dans un état second, et tandis que Marc et Georges, qui font partie de mon groupe, sont déjà installés, je saisis la grenade dans mon sac.

Au moment du contact avec le métal froid, je perds soudain conscience du bruit dans la classe. Je vois les autres remuer les lèvres, mais je ne les entends plus. Le temps ralentit.

Je me dirige vers la fenêtre, avec dans ma main l’objet qui va décider du destin de mes camarades. Un objet maudit, mais qui va être au final positif pour eux.

La distance que je parcoure me semble infinie. Tout est flou autour de moi, excepté la fenêtre.

Enfin je touche la vitre. Je saisis la poignée de la fenêtre et l’ouvre en grand.

Je passe une jambe par-dessus le rebord et m’assied dessus. Le cri dans ma tête s’est éteint et tout n’est que silence.

Je lève la grenade devant mes yeux et tends ma deuxième main vers elle pour la dégoupiller. Alors, j’entends la voix venant de la rue.

Je sursaute et baisse les yeux vers l’extérieur. Une bourrasque de vent me rabat les cheveux vers l’arrière. Et je la vois.

- Ne fais pas ça, crie-elle.

Elle me regarde d’un œil coupable. Je ne sais pas pourquoi. Mais je sais qu’elle me connait, et qu’elle connait mon maître. Je sais qu’elle connait mes raisons.

- Je ne peux pas revenir en arrière, je lui réponds d’une voix de colère et de tristesse. C’est trop tard !

J’ai hurlé cette dernière phrase. Je n’en peux plus. Je sens les larmes me mouiller les joues et le vent qui les sèche. En un instant, je prends conscience de ce que je suis devenu.

- Timéo, crie la femme, il n’est jamais trop tard.

Si, il est trop tard. Je n’ai plus le choix. Je me mets debout sur l’appui de fenêtre et regarde la grenade. Je pourrai, si je le veux, la faire exploser dans mes mains.

Et je prends une décision.

Je le fais vite, pour ne pas changer d’avis. Tout se passe en une fraction de secondes.

J’appuie sur le bouton pour désamorcer, je dégoupille la grenade et la lance dans la classe.

Je vois avec horreur le visage de Marc, trop surpris pour esquisser un geste, me regarder avec des yeux d’incompréhension. Je vois les autres aussi.

Et je saute de la fenêtre.

J’atterris au sol lourdement et me met à courir. Alors, j’entends l’explosion.

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Je cours plus vite que je n’en suis capable. Les larmes ne sèchent plus, à présent. Je ne sais pas qui la grenade et le destin ont frappé.

Je suis peut-être devenu un tueur, en un instant. Que penseraient mes parents ?

Je dois mettre fin à mon supplice, et pour cela, je dois le voir.

Je sais que je ne devrais pas, je sais que c’est une erreur.

Mais malgré qu’il m’embobinera une fois de plus, il me fera me sentir mieux. Je me fiche de me dire que ce ne sera qu’une fausse sensation de bien-être. Je veux juste aller mieux.

J’atteins enfin la maison. Il m’attend sur le seuil.

J’entre en trombe dans la pièce dans laquelle je suis si souvent allé.

Il entre à son tour.

Alors, en voyant son visage froid, impassible, une bouffée de colère me saisit. Je me précipite vers lui pour le tuer. Pour mettre fin à cette personne insaisissable.

Mais d’un seul geste, il me projette à terre. Je sens le gout du sang dans ma bouche mais me relève. Je suis de nouveau précipité à terre. Cette fois, il pose une de ses chaussures sur mon ventre, m’empêchant de respirer.

- Ne refais plus cela, dit-il, calmement.

- Vous m’avez détruit !, je dis, le souffle me manquant.

- Non, Timéo, c’est toi qui t’es détruit.

Alors, je remarque que lui aussi à l’air au bord des larmes. Je sens la vie s’échapper peu à peu, tandis qu’il me coupe la respiration. Je rassemble le peu d’énergie qui me reste pour lui dire :

- Vous n’allez quand même pas me tuer, Anha ? Vous n’êtes… Vous n’êtes quand même pas tombé aussi bas ?

- J’en suis capable ! Je ne suis pas tombé, je suis monté, au contraire, et quoi que l’on t’ai dit, lance-il.

- Alors, Anha, laissez-moi vous dire que vous n’êtes pas fort.

Je sens la sérénité. Je sais que je n’en n’ai plus pour longtemps. Et enfin je me rends compte de la souffrance de cet homme. Je ne me débats pas.

- Anha !

La pression sur mon ventre disparait soudain. Je prends une grande inspiration et regarde la femme qui vient d’entrer et de crier ce nom. C’est celle que j’ai vue au supermarché, et qui il y a quelques minutes était dans la rue avec moi. Elle est belle, avec de longs cheveux noirs. D’une beauté qui a été noire. Mais qui ne l’est plus.

- Spéh.

C’est Anha qui a parlé. À présent, plus aucune trace de son impassibilité. Il montre ouvertement à quel point il souffre, ou peut-être que c’est moi qui, enfin, l’aperçoit.

- Tu ne peux tuer ce garçon. Je t’en supplie. Je sais qu’il te reste assez d’humanité pour cela.

- Va-t-en !

- Non, Anha ! Ecoute-moi, je t’en supplie !

- Tu m’avais juré !

- J’ai changé, Anha, je sais ce qui est vrai, et ce n’est pas ce que je t’ai dit.

Je vois la main de celui que j’ai considéré comme un maître s’agripper au dossier de son fauteuil, cherchant un soutien.

Je me lève lentement, mais personne ne semble s’en apercevoir. Je n’ai jamais eu aussi mal, physiquement comme mentalement.

Spéh s’approche d’Anha.

- Je t’en supplie, écoute-moi !

Elle pose une main sur son épaule.

- Tu sais que tu dois m’écouter.

Alors, Anha lève une main tremblante et caresse la joue de Spéh. Son regard est sourd, et lourd de souvenirs. Son esprit est à la fois rempli de passion et de haine. Mais pour l’instant, c’est la passion qui domine.

- Tu m’avais juré de rester. Tu m’as menti.

- Je suis responsable de ce que tu es devenu, Anha. Je suis désolée d’avoir fait cela.

- Tu m’avais juré, reprend-il d’une voix lente. Et tu es partie. Alors moi, je suis resté seul là-bas des années durant, et j’ai médité sur ce que tu m’avais appris.

Elle hoche la tête.

- Je me suis construit sur ta conception. Sur ce que tu m’avais dit quand j’étais ta victime. C’est ce qui me permet de vivre. Et puis après, moi aussi j’ai trouvé une victime, un jeune garçon.

Soudain, son regard se durcit. Il se met à hurler :

- Et toi, Spéh, tu m’annonce que tout cela n’est rien. C’est la deuxième fois que tu me détruis !

Soudain la haine domine la passion. Il arrête sa caresse et frappe la femme en pleine poitrine. Elle s’écroule au sol.

- Anha, je t’en supplie !, crie-elle. Si tu m’aimes encore, alors écoute-moi !

Il la fixe avec horreur. Puis, saisit de folie et de haine, lui saisit la gorge et la serre de ses mains. Spéh ne dit rien, mais se débat vainement.

Malgré mon état de faiblesse, je me déplace jusqu’à eux pour lui porter secours. Je saisis Anha par l’épaule et tire vers l’arrière.

Il se retourne brusquement et tente de m’atteindre, mais je l’esquive et essaye de lui faire lâcher sa prise sur Spéh.

D’un cri de rage, il la lâche et se relève d’un bond. Je le frappe à l’abdomen et il recule, plié en deux.

Je me précipite au chevet de Spéh. Ses yeux sont clos et son torse se soulèvent de plus en plus lentement.

Alors, une main me saisit par l’épaule et me relève avec une force inouïe. Anha a retrouvé sa froideur. Il me frappe et je titube vers la porte, tandis qu’il me frappe encore.

Nous nous retrouvons dans le hall d’entrée. Je ne peux lui porter de coups. Il a vaincu Spéh, et est plus fort que jamais. Plus fort qu’il ne l’a jamais été, maintenant qu’il est libéré. Une force sombre, qui l’aide autant qu’elle le torture.

Je reçois un ultime coup et suis projeté à l’extérieur, sur le trottoir. Du sang coule de ma bouche et de mon nez. Je ne sens plus mes muscles. J’atterris lourdement sur l’asphalte et le dernier son que j’entends est celui d’une porte que l’on claque.

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- Timéo, Timéo !

La voix de Marc. J’ouvre lentement les yeux.

Je suis couché sur le ventre sur le trottoir. Il me retourne brusquement sur le dos.

Il est agenouillé à mes côtés.

- Marc, je dis faiblement.

- Timéo, tu es vivant !

Il me redresse.

- Je n’en peux plus, Marc, laisse-moi ici.

- Non Timéo, tu vas venir avec moi.

- Ce n’est pas… de ma faute.

- Je sais, Timéo.

Il passe un bras sous mes aisselles et me relève. J’aimerais l’aider mais mes muscles ne me répondent plus. Je remarque une brûlure à sa joue, qui me rappelle que j’ai fait exploser une grenade, il y a quelques minutes qui me paraissent à présent une éternité.

- Où est Anha ?, je lui demande.

- Il est parti, Timéo.

Je m’accroche à sa veste et le regarde dans les yeux.

- Marc, est-ce que la réincarnation existe ?

- Je ne sais pas, Timéo, répond-il, mais tu es dans un tel état ! On va rentrer au centre, et tu vas te reposer. Appuie-toi sur moi.

Je parviens à aligner quelques pas et m’accroche à lui. Lentement, nous progressons. Soudain, il s’arrête.

- Malgré tout, j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer, dit-il.

- Quoi ?, je demande.

Un large sourire éclaire son visage.

- Ta mère est sauvée.

FIN

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