Chapitre 9

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Je cours sous la pluie. Il est 9 heures du matin. Je suis trempé jusqu’aux os mais n’y prête aucune attention. Je manque plusieurs fois de déraper sur le sol humide mais conserve mon équilibre et cours de plus belle.

Enfin j’arrive. La porte s’ouvre à la volée. Je crie à l’homme qui se tient sur le seuil :

- Je l’ai tué !

Il prend soudain un air affolé:

- Que s’est-il passé ?, demande-il sèchement.

- J’ai fait ce que vous avez dit !

- Il est mort ?

J’entre et le saisit par le bras.

- Presque. Vous m’avez menti ! C’est à cause de moi qu’il va mourir, à cause de vous !

Il claque la porte et serre mon bras. Il me tire de force dans la pièce à côté. Je me débats, mais il est plus fort que moi. Il me fait asseoir sur un siège blanc. J’essaye de me relever mais il me maintient assis. Il saisit mon cou et se met à serrer. J’essaye d’inspirer mais ses doigts bloquent mes arrivées d’air comme un étau.

- Tu va te tenir tranquille, Timéo !

Je commence à avoir la tête qui tourne. Je hoche difficilement la tête. Aussitôt, il me lâche et s’éloigne. J’aspire une pleine bouffée d’air. La colère m’a quittée. J’éprouve un sentiment de vide.

Anha revient et s’accroupit, son visage à la hauteur du mien.

- Maintenant, Timéo, je veux que tu m’expliques très précisément ce qui s’est produit.

Sa voix est calme. Alors, je me détends. Je déglutis puis commence à parler.

- Je l’ai reconnu tout de suite. J’ai vu que c’était lui. Je lui ai fait mal, je lui ai pris son argent et je l’ai humilié. Il pleurait quand je suis parti.

Il m’a fui le restant de la journée. Quand le cache-cache dans le noir a commencé, j’ai vu qu’il s’est précipité dans la direction opposée à la mienne, droit vers la route. Je l’ai suivi de loin. J’ai vu la voiture le percuter. Il est à l’hôpital, en soins intensifs, et ses chances de survie sont maigres.

Les larmes me montent aux yeux et j’ajoute, d’une voix tremblante :

- Il ne saura jamais. Il ne saura jamais que c’est pour lui que j’ai fait ça.

_

Marc et moi marchons le long du couloir. Nous revenons du club de tir à l’arc. Nous portons nos sacs en bandoulière.

Nous croisons alors Liam. Marc lui demande aussitôt :

- Comment va Ryu ?

Il se préoccupe beaucoup de lui. Il le connaissait depuis longtemps, car ils sont tous deux dans le centre depuis des années.

- Il est toujours dans le coma complet, répond Liam. Il a subi trois opérations hier. Son état est grave, mais stable. Je n’en sais pas plus.

L’éducateur pose une main sur l’épaule de Marc.

- Je sais que c’est difficile, mais il ne faut pas perdre espoir.

Je pourrais dire à Marc que Ryu ne mourra sans doute pas mais je m’en abstiens. Hier, Anha m’a remis les idées au clair. Je ne suis pas responsable de l’accident de Ryu, mais il sera sans doute sauvé grâce à moi. J’ai fait ce que je devais. Ryu me doit la vie. Si je n’avais pas été là, il aurait probablement été tué directement. Même si ce n’est pas sûr à cent pour cent qu’il se remette, je lui aurais au moins permis de vivre quelques jours de plus.

_

- Eh, toi !

Je m’arrête devant la porte de la cuisine. Le cuistot en chef, Johnny, me regarde.

- Qu’y a-t-il ?, je demande.

- Tu pourrais aller à la supérette vite fait ? Il manque un kilo de farine.

- Euh, oui.

- Tiens. Merci beaucoup. Tu peux te prendre aussi un Bounty ou autre chose, si tu veux.

Il me tend un billet de cinq euros. Je l’empoche puis fais demi-tour.

Je sors du bâtiment et remonte la tirette de mon sweat-shirt. Puis je me dirige vers la supérette, deux cents mètres plus loin.

En fait, c’est plutôt un petit supermarché qu’une supérette. Malgré que l’on n’y trouve pas de tout, il y a beaucoup de rayons.

Je jette un coup d’œil aux panneaux accrochés au dessus de chacun des rayons et me dirige vers l’allée « Pâtes, farine, riz, féculents ».

Je regarde les différentes marques de farine, ne sachant laquelle choisir. Finalement, je saisis un paquet d’un kilo au hasard.

Je me retourne pour me diriger vers les caisses, mais je bouscule sans le vouloir une femme d’une trentaine d’années.

- Excusez-moi, je dis.

C’est alors que je croise son regard. Je vois ses yeux s’écarquiller et elle porte une main à sa bouche, l’air épouvanté.

- Non, dit-elle. Oh non !

Puis elle s’éloigne rapidement vers un autre rayon.

Je ne comprends rien. Pourquoi lui ai-je fait peur ? La réponse me vient presque aussitôt. Elle a sans doute la phobie des Québécois, et il s’agit d’une punition d’un acte accompli dans une vie antérieure…

Rassuré, je vais vers les caisses. Mais malgré tout, cette femme avait un regard étrange. Et je ne peux chasser cette impression de danger que j’ai ressenti lorsque j’ai croisé son regard.

En me dirigeant vers le centre, j’ouvre le paquet de mon Snickers et mords dedans. La semaine prochaine, tous les résidents du centre feront un stage. Moi et Marc avons choisi un stage d’initiation aux arts martiaux. D’ici là, j’aurais le temps de passer chaque jour plusieurs heures chez Anha.

_

Le lendemain, nous assistons au départ de Kenza. Elle part en famille d’accueil pour environ six mois. Il s’agit d’un couple de musiciens d’une cinquantaine d’années. Ils ont l’air sympathiques et attentionnés.

Je vois sur le visage de Marc qu’il l’envie. Il a fait trois familles d’accueil et la dernière lui manque beaucoup. Je vois qu’il se demande pourquoi ce n’est pas lui qui y va.

Moi, maintenant, j’ai compris. J’ai compris que ma séparation avec mon pays et mes parents était une des punitions de ma vie d’empereur de Rome. Et sans doute aussi une punition pour eux, d’un acte qu’ils auraient commis dans une autre vie.

Je ne veux pas partir en famille d’accueil, loin d’ici. Je veux garder la possibilité d’aller chez mon maître et d’aider les gens d’ici qui sont promis à des punitions graves. Je le sens, je sens qu’il y en a beaucoup. Et je veux les aider, et m’aider moi-même.

La vie est comme un jeu d’action vérité.

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