Chapitre 4

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Le lendemain matin, alors que je m’habille, on frappe à ma porte. J’enfile mes vêtements puis vais ouvrir. C’est Liam, un éducateur du centre. Il tient un téléphone contre son oreille.

- Le voilà, dit-il avant de me tendre le combiné.

Je le saisis, surpris :

- Allô ?

- Timéo.

Je sens mes jambes trembler et je m’assieds sur mon lit.

- Ma….maman ?

- Oui Timéo, c’est bien moi.

- Qu…Qu…

- Timéo, mon ange, je sais bien que je ne peux normalement pas te joindre, mais je dois te dire quelque chose d’important.

- Quoi ?

- Écoute, voilà, les médecins m’ont découvert un cancer.

_

Quand je raccroche, je soulève le portable et le tends à l’homme devant moi. Ma tête tourne. Je l’entends dire :

- Tu peux rester ici, aujourd’hui, si tu veux.

Ne me voyant pas réagir, il s’accroupit, le visage en face du mien.

- Timéo, regarde-moi.

Je lève la tête.

- C’est dur, ce que tu viens d’apprendre, n’est-ce pas ?

Je hoche la tête.

- Tu veux m’en parler ?

Je ne réagis pas, puis inspire et dis :

- Je pourrais parler à mon père ?

_

Après avoir composé le numéro, j’entends la sonnerie retentir au bout du fil et se déroulent deux interminables secondes.

- Allô.

- Papa, c’est toi ?

- Timéo ! Je suis heureux de t’entendre.

- Moi aussi, papa.

- Comment vas-tu, Tim ?

- Je ne sais plus…

- Je sais, Timéo, mais crois-moi…

- Est-ce qu’elle va mourir ? Est-ce que maman va mourir ?

Il y a un silence.

- Écoute, je ne sais pas. Cela dépend. Une opération serait risquée maintenant. Elle va suivre un traitement, et on l’opérera dans un ou deux mois, si c’est possible.

Les larmes me montent aux yeux et je ne peux retenir un sanglot.

- Timéo, je sais que c’est dur, pour moi et pour ta mère aussi, c’est dur. Mais je t’en prie, ne rumine pas d’idées noires.

- Je ne sais pas co…comment faire. Vous me manquer tellement…. Je… je n’en peux plus.

- Tim, à nous aussi tu manques mais je t’en supplie, essaye d’être heureux. Rien que ça, et nous aussi serions heureux.

_

Quand il rentre de l’école, Marc vient me voir. Il frappe légèrement à la porte, ouvre et me trouve allongé sur mon lit, tourné vers la porte.

- Je suis désolé, dit-il.

- Merci, je réponds.

- Je ne sais pas quoi dire.

- Ne dis rien.

- Mais je…

- Non, ne dis rien. Je te remercie d’être désolé. Tu n’as pas besoin d’en dire plus.

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Il y a des moments où je ne pense plus à ça du tout, où je réfléchis à mes profs, mon école, mon club de tir à l’arc, et des choses de ce genre-là.

Puis, il ya des moments d’espoir, où je me dis que rien n’est encore perdu, que les traitements chimio marchent très bien, de nos jours.

Enfin, il y a souvent des vagues de détresse, où la réalité me submerge, où j’ai l’impression de rater plusieurs marches de l’escalier de la vie, ou de tomber en chute libre. Alors, je me roule en boule et pleure, ou je crie à l’injustice, et mes cris de fureur et de détresse résonnent dans tout le bâtiment. Dans ces moments-là, je me fiche que l’on remette en doute ma santé mentale.

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Je regarde la maison de briques qui se dresse devant moi. Mes mains tremblent à cause de froid et les gouttes de pluie font baver l’encre du papier que mes poings tiennent fermement. Je jette un coup d’œil au numéro de l’habitation, puis je fixe intensément le papier. C’est bien ce numéro-là qui est indiqué. Oui, pas de doute. Je rentre les mains dans les poches de ma veste, y enfonçant le papier qu’enfin je lâche. Je mets un pied devant, puis avance l’autre. Je regarde à nouveau la bâtisse, et, pris d’un élan de témérité, je fais trois pas et sonne.

Je suis allé à l’école, cette après-midi. Tout le monde a manifesté son soutien. J’étais touché. J’ai retrouvé le papier au fond de ma garde-robe. Je ne sais plus si je suis allé le chercher exprès ou si je suis tombé dessus par hasard. En tous cas, il m’a donné un but : atteindre l’adresse inscrite dessus.

_

La porte s’ouvre lentement sur un homme qui parait tout sauf humain, et que j’espérais ne plus jamais revoir. Ou au contraire, revoir.

Son visage est lisse. Ses cheveux noirs ondulés retombent sur ses épaules plutôt larges, recouvertes par une veste de cuir noire. C’est un bel homme. Impressionnant. Il me fixe de ses yeux d’un noir que l’on ne saurait jamais reproduire. Il esquisse un petit sourire :

- Timéo, te voilà donc. Entre.

Je le suis dans son petit hall d’entrée, qui ressemble à tout autre hall d’entrée, puis dans une autre pièce meublée de sièges de cuir blanc et peinte de modèles géométriques noirs et blancs.

Il s’assied dans un fauteuil noir, situé au fond de la pièce et tend la main sur un des sièges blancs, où je m’installe.

- Je savais que tu viendrais. Tu as un esprit tellement prévisible, dit-il en me dévisageant.

- Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?, je demande.

Je me sens détendu, malgré cet homme. Enfin, je crois.

Il éclate d’un petit rire.

- Pourquoi ? Disons, beaucoup de soucis, beaucoup de questions qui t’obsèdent, beaucoup de convictions et beaucoup de peurs. Tout ça dans ta tête.

Il est très à l’aise. Ses mains sont posées sur ses cuisses croisées.

- Dis-moi, que penses-tu de ta vie, en général ?

- Je…

La question est étrange, mais si je veux des explications, il faut que j’y réponde.

- Pourquoi es-tu si anxieux ? Je t’impressionne ?

- C’est une question ?

- Non. Non, je ne pense pas. Tes pensées filtrent très vite.

- Vous lisez mes pensées ?

- Non, bien sûr, rassure-toi. C’est pourquoi je voudrais que tu me dises ce que tu penses de ta vie.

Ma gorge se serre.

- Je vois, reprend-il, me fixant de ses yeux plus noirs que le noir. Il y a un blocage. Quelque chose de récent, qui te bloque, qui t’étouffe. Je sens ça. Je sens cette douleur. Et je peux t’aider à la contrôler, si tu le veux. Oui, c’est vrai, je peux t’empêcher de souffrir.

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- Donc, en résumé, dit l’homme, plusieurs minutes plus tard, tu es né de parents toxicomanes mais responsables. Tu as été arraché à eux et à ton pays. Tes pensées te font souffrir, tu ne sais pas quoi faire pour ne plus ressentir la détresse d’une perte. Et maintenant, tu as appris que ta mère va très certainement mourir d’un cancer. Tu as des périodes de joie, mais elles ne durent pas longtemps et tôt ou tard, sont ternies par une mauvaise chose, si bien qu’à présent tu a peur d’être bien, car tu sais que si c’est le cas, un évènement tragique va survenir.

Je hoche la tête, puis dis :

- Je ne sais pas quoi faire pour ne plus subir ce que j’ai subi. Et je ne comprends pas pourquoi tout ça m’arrive à moi et pas aux autres.

Je ne me suis jamais senti aussi calme. Le siège est confortable. Je tourne la tête vers l’homme et il plonge son regard dans le mien.

- Mais moi je peux t’assurer que tu connais la réponse. Elle est juste là, au fond de toi, mais tu n’ose pas y penser.

Je commence à comprendre et soudain tout en moi s’éclaire, ou s’éteint, je ne sais plus bien. La tête me tourne tandis que je pense à ce qu’il m’a dit le jour de la rentrée. Je murmure :

- J’ai été quelqu’un de mal. J’ai fais des choses males. Des choses horribles.

Il hoche lentement la tête. Cette fois, je n’ai plus la force de parler.

- Cette solution te fait peur et à la fois, elle te soulage. Tu as une réponse mais tu te dis que si tu as été quelqu’un de mal, alors tu payeras tes actes dans cette vie, n’est-ce pas ?

Les pensées tourbillonnent à présent en moi plus vite que la lumière. Il reprend :

- Tu ne sais pas comment empêcher cela. Non, non, enlève cette pensée de ton esprit.

- Vous lisez mes pensées.

- Non, mais les émotions se ressentent sur ton visage. Ce à quoi tu viens de penser plus que les autres. Sache que tu ne dois pas te suicider pour échapper aux malheurs, cela n’est jamais une solution.

- Mais alors comment faire ?

Il se lève soudain et se dirige vers la porte. Il l’ouvre et me fait signe de sortir. Je me lève à mon tour et quand je passe devant lui, il dit :

- Œuvre pour le bien.

Il ouvre la porte d’entrée et je sors.

- De quelle notion du bien parlez-vous ?

- À toi de le découvrir. Essaye, cherche, puis reviens me voir. Et si tu ne me crois pas encore, alors cherche des preuves logiques. À présent, rentre.

- Merci, je dis simplement.

Il me jauge du regard et ne réponds rien. J’avance de quelques pas puis, le sentant toujours sur le pas de sa porte, me retourne et lui demande :

- Je dois vous appeler comment ?

- Appelle-moi Anha, lance-t-il après un regard étrange.

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Dans mon lit, je repense à ce qu’Anha m’a dit quelques heures auparavant. Je ne le crois qu’à moitié, ou plutôt aux trois quarts. Et il le sait. Il sait que c’est dur à croire, à avaler, quand l’on nous dit une chose pareille. Comme il l’a dit, j’ai besoin de preuves.

C’est ce que je vais faire. Attendre des preuves. Mais je ne sais ni combien de temps ça prendra, ni de quelle manière je vais les recevoir. Il faut que je me donne un délai. À la fin de ce délai, si aucune preuve n’est arrivée, je considérerais que ce qu’il m’a dit était faux.

Pourtant, pourtant, je pense que c’est vrai. Plus je pense à sa conception et moins j’y trouve de failles. Et il a dit que je pouvais échapper à une vie de malheurs en œuvrant pour le bien. Mais qu’est-ce que le bien, au juste ? Est-ce que œuvrer pour le bien signifie soutenir la charité, ou être gentil avec tout le monde ? Ou encore se faire du bien à soi-même ?

Je me souviens soudain de ce que mon père m’a dit. Que pour qu’ils aillent bien, je devais aller bien aussi. Donc, il faut que je me fasse du bien. Mais pourquoi me faire du bien alors que je dois payer mes actes d’une vie antérieure ?

Je n’en sais rien.

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