Chapitre 5

6 minutes de lecture

La matinée du vendredi se passe calmement. L’après-midi, je me dirige, aux côtés de Georges et Marc, vers la classe d’espagnol.

- Bonjour à tous, dit Mrs Jones. Je sais que c’est vendredi pour tout le monde, mais je souhaite que vous soyez silencieux durant cette heure de cours. Je n’ai pas eu une matinée facile, donc par pitié, installez-vous dans le calme.

Tout le monde obéit.

- Ok, je vais vous distribuer les interros que vous avez passées lundi. Je dois dire que les résultats sont très décevants, par rapport à ce que vous donnez comme travail d’habitude. Il s’agit très clairement d’un manque d’étude et si vous voulez rattraper votre moyenne, je conseille à certains de bosser très sérieusement sur l’interro de lundi prochain, sinon vous risquez d’avoir de gros soucis.

Elle envoie Maxima distribuer les tests corrigés. Elle me donne le mien sans me regarder puis donne le sien à Marc avec un sourire charmeur.

J’adresse un coup de coude à mon voisin en ricanant intérieurement puis baisse les yeux vers ma feuille.

La prof a barré tout l’exercice un. J’ai mal lu la consigne. Puis je vois la note.

Un sur vingt.

_

Sans grand enthousiasme, je me dirige, Marc à mes côtés, vers la rue où se fait le ramassage scolaire. Je vais devoir montrer aux éducateurs du centre ma piètre note.

Soudain, alors que je tourne au coin de la rue, je sens des mains me plaquer violement contre le mur. Je reçois un coup sur la tempe et regarde les deux garçons qui me maitrisent. Je vois Marc courir vers le minibus, cinquante mètres plus loin.

Mes agresseurs, qui me dominent de deux têtes, fouillent sans ménagement mes poches, à la recherche d’objets de valeur.

Soudain, l’un d’eux montre du doigt Nelly, qui arrive en courant. L’autre saisit mon gsm et mon portefeuille, arrache ma montre puis me cogne la tête violemment sur le mur. Je m’effondre tandis qu’ils détalent en courant.

v

- Timéo, Timéo !

La voix de Nelly me réveille. Je me suis évanoui quelques secondes. Je suis allongé sur l’asphalte. Je sens le sang battre dans mes tempes. Je ne peux plus bouger tellement j’ai mal.

Les autres sont debout autour de moi. Marc me tend sa bouteille d’eau. Je me redresse péniblement et bois.

- Ça va ? Où t’ont-ils frappé ?, demande Nelly.

Je désigne ma tête puis essaye de me relever.

- Non, reste assis. Repose-toi quelques minutes, ensuite, on rentrera au centre et on appellera le médecin. Il faut vérifier que tu n’as pas de grave commotion. Tu as mal autre part ?

- Non.

- Ok, ça va, maintenant ? Tu pense que tu peux te relever.

- Oui, je crois.

- Joey, aide-moi.

Nelly et Joey, un garçon de dix-sept ans, passent chacun un bras sous une de mes aisselles puis m’aident à me mettre debout puis à marcher vers le minibus. Ils m’y installent et les autres s’asseyent à mes côtés. Nelly démarre.

- Tu as pu voir qui c’était ?, demande Joey.

- Non, je sais juste qu’ils étaient très grands et que l’un d’eux avait une mèche colorée en rouge.

- Moi, j’ai pu prendre une photo, mais elle est floue, dit Kenza, une fille du centre.

- Fais voir.

Elle tend son GSM à Joey. Je regarde par au-dessus du siège. On distingue vaguement deux adolescents qui s’enfuient.

- On ira demain au commissariat déposer plainte. Tu es d’accord, Timéo ?, demande Nelly.

Je hoche la tête. Le minibus franchit les grilles du parc et se gare dans le parking. Joey m’aide à descendre puis garde un bras autour de mon dos pour s’assurer que je ne tombe pas tandis que je marche jusqu’au centre.

Quand je traverse le couloir, soutenu par Joey. Liam, l’éducateur qui m’a donné le téléphone avant-hier matin, quand j’ai appris l’état de santé de ma mère, étouffe un cri et demande :

- Que s’est-il passé ?

Nelly lui explique la situation tandis que Joey et Marc me mènent à ma chambre. Je m’allonge sur mon lit.

v

Ont défilé dans ma chambre tous les éducateurs et la directrice. Elle m’a demandé si j’allais bien et je lui ai répondu que ça allait mieux.

Le médecin est également venu et a conclu qu’il n’y avait qu’une légère commotion et que je devais rester au repos au moins jusqu’à mardi.

Quand enfin on me laisse seul, je me demande si ce qui m’est arrivé est une preuve de la conception d’Anha. Pourquoi c’est moi qui me suis fait agresser, et pourquoi pas quelqu’un d’autre, Pourquoi est-ce que c’est Marc qui a réussi à courir jusqu’au minibus ?

Pourquoi c’est moi qui vis les malheurs ?

v

Quand je vais au poste de police, le samedi, accompagné de Nelly, Liam ainsi que Joey, Kenza et Marc à titre de témoins, je suis réellement déçu.

Après une demi-heure à patienter dans la salle d’attente, nous entrons dans un bureau où nous accueille un policier aux traits sévères.

Nelly lui explique brièvement la situation et le policier écoute avec moins d’attention que je ne l’espérais. Il me demande ce que j’ai vu de mes agresseurs puis interroge les autres.

Enfin, il remplit des formulaires et nous dit que nous recevrons un appel dans quelques jours.

Et c’est tout.

v

Le vendredi suivant, en me rendant au cours d’histoire, je ne pense même plus à l’agression que j’ai subie une semaine auparavant. Il fait beau et j’ai prévu d’aller chez Loran après l’école.

M. Alferes nous fait asseoir puis noter l’intitulé du cours au journal de classe : « Thème 1, approche 4 : Néron, entre cruauté et pouvoir ».

Il nous distribue des feuilles. Sur la première, on peut voir l’image du buste en pierre d’un homme au large cou et aux cheveux ondulés. M. Goz projette un Powerpoint et commence son cours.

- Néron, de son vrai nom Lucius Domitius Ahenobarbus, fut empereur de Rome de 54 à 68. C’était un poète et un musicien. Il est connu pour avoir été accusé d’avoir causé le grand incendie de Rome, incendie qui dévasté la cité le 19 juillet 64. Le feu brûla pendant 6 jours et laissa une ville ravagée, démolie.

Il change de slide et apparait une image de flammes. Je baisse les yeux, j’ai toujours eu une grande phobie du feu. Alferes continue :

- Néron, lui, est à l’étranger et rentre précipitamment. Beaucoup de témoignages ont affirmé l’avoir vu joué de la lyre, du haut du Quirinal, pendent que le feu détruisait les habitations. Il fit part de ses projets de reconstruction de Rome peu après la fin de l’incendie, souhaitant reconstruire la ville dans un style monumental. Nombreux furent là pour l’accuser d’être à l’origine du sinistre, mais personne n’a jamais pu prouver sa culpabilité. Il accusa les chrétiens et les fit dévorer dans l’arène, crucifier ou brûler vifs. Lisez maintenant le texte page deux. Il s’agit d’un témoignage de Tacite.

Je commence à lire :

«... Aucun moyen humain, ni largesses impériales, ni cérémonies expiatoires ne faisaient taire le cri public qui accusait Néron d'avoir ordonné l'incendie. Pour apaiser ces rumeurs, il offrit d'autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d'hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens [...] On saisit d'abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d'autres, qui furent bien moins convaincus d'incendie que de haine pour le genre humain. On fit de leurs supplices un divertissement [...] Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle, et donnait en même temps des jeux au Cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher, et tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les cœurs s'ouvraient à la compassion, en pensant que ce n'était pas au bien public, mais à la cruauté d'un seul, qu'ils étaient immolés...»

Je ne sais pourquoi mais j’ai la tête qui tourne. Alferes reprend :

- Il était à la fois l’arrière-arrière-petit-fils et le petit-neveu de d’Octave, alias Auguste, dont nous avons parlé la semaine dernière. Il est également l’arrière-arrière-petit-fils de Marc Antoine, le neveu de Caligula, le petit-neveu de Claude et l’arrière-petit-neveu de Tibère ainsi que l’arrière-arrière-arrière-petit-neveu de Jules César. Sa mère a convaincu son mari, l’empereur Claude, de l’adopter. Elle obligea également Néron à épouser Octavie, la fille de son époux. Mais Néron, peu satisfait, divorça soi-disant pour cause d’infertilité. Octavie se suicida quelques temps plus tard et on dit que c’est Néron qui l’aurait poussée à s’ouvrir les veines. Il épousa ensuite sa maîtresse, Poppée. Il la tua d’un coup de pied dans le ventre, alors qu’elle était enceinte et qu’il lui vouait une intense passion.

Discrètement, je saisis ma bouteille d’eau et bois quelques longues gorgées. Je pose la main sur mon front : il est brûlant. Je ne comprends pas pourquoi je vais aussi mal.

- Je vous demande maintenant de lire le deuxième texte, qui parle du célèbre précepteur de Néron, le stoïcien Sénèque.

Je m’apprête à lever la main pour demander de sortir quand soudain mes pensées se bousculent.

Quelqu’un de cruel. Quelqu’un qui a tué des milliers d’innocents.

Mais aussi un poète. L’élève de Sénèque.

J’étais lui. J’étais Néron.

Annotations

Vous aimez lire Lucie Writer ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0