VIII. Papier à lettres

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Nicolas ouvrit les yeux, et, il sentit son estomac se nouer lorsqu’il entendit l’agitation qui animait le rez-de-chaussée. C'était le jour. Celui qu’il redoutait tant. Un frisson parcourut son corps encore fatigué : il était allongé sur les draps et la fraîcheur du petit matin se glissait par la fenêtre. Il voulut s’étirer mais sa main heurta une masse. Il tourna la tête et remarqua Louis à ses côtés. Encore endormi, il était recroquevillé sur lui-même, les cheveux ébouriffés par les draps et ne semblait pas remarquer la nuit qui s’estompait.

Dans un soupir, Nicolas se leva et attrapa un sweat qui traînait sur sa chaise de bureau. Il le déposa sur le jeune homme endormi dans son lit puis contempla son visage apaisé comme pour se rappeler de chaque courbe, chaque aspérité qui le constituaient.

Puis, il sortit de sa chambre et descendit les escaliers lentement. Au rez-de-chaussée, les parents de Louis s’activaient à charger leur voiture et à ranger leurs dernières affaires.

- Bonjour Nicolas, le salua Caroline en passant.

- Bonjour.

Devant lui, valises et sacs passaient pour aller finalement s’empiler dans le coffre de la petite voiture noire et poussiéreuse.

Avec la vente de la maison, Nicolas avait peur que plus jamais leurs deux familles ne passent de vacances ensemble. Peur que ce soit la dernière fois. Qu’ils ne se revoient plus, que le livre se referme pour de bon.

Alors qu’il se perdait dans ses pensées, son attention fut attirée vers les escaliers : Louis descendait les marches en se frottant les yeux. Lorsque leurs regards se croisèrent, ils ne firent rien d’autres que se regarder.

Tous deux savaient ce que ce jour impliquait. Ils avaient vécu cette fois-ci des vacances hors du commun, fortes en émotions, en questionnements, en ressentis. Ils avaient oublié leur préjugés, tendu une main pour mieux en attraper une autre. Et ils avaient été amis. Pour la première fois.

Alors, ils se regardaient. Comme pour demander à l’autre de quoi allaient être fait leurs au revoir, leurs adieux.

Nicolas avait toujours été le plus optimiste des deux. Pourtant, tandis que Louis entretenait l’espoir qu’ils se reverraient l’année suivante, se disant qu’ils pourraient tout de même garder contact en attendant, le plus vieux voyait déjà la fin. Leur fin. Même si Louis revenait, il était persuadé qu’ils ne pourraient se satisfaire d’une relation à distance. Pas après ce qu’ils avaient vécu ici. Pas après les baignades dans le lac, les virées en bateau et les glaces sur le port. Pas après les confidences sous les étoiles, les randonnées dans les garrigues, les après-midis dans la piscine et les discussions du dîner.

Pas après l’orage.

Nicolas tenta un sourire mais celui-ci se transforma en grimace. Alors, il passa une main dans ses cheveux en pagaille et se racla la gorge :

- Tu as besoin d’aide pour tes affaires ?

- Non, merci mais ça va aller, j’ai pas grand-chose, répondit-il dans un bâillement.

Puis, tous deux descendirent prendre leur petit déjeuner. Ils ne parlèrent pas, trop concentrés sur les nombreux souvenirs qui leur revenaient en mémoire.

Alors que Louis se préparait à remonter pour rassembler ses affaires, Nicolas le retint par le poignet puis, il lui demanda de l’attendre quelques secondes. Lorsqu’il revint, il tenait entre ses mains une feuille de papier canson. Les joues rougies et le cœur affolé, il déposa la feuille sous les yeux de Louis qui ne put s’empêcher de sourire. C'était un dessin. Il les représentait tous les deux, assis sur le pont du voilier, le visage neutre mais paisible.

- C'est très beau.

Nicolas sourit également puis il lui tendit un bouquet de plantes aromatiques.

- Je les ai cueillies sur le chemin qui mène à la cascade où on a été la dernière fois.

Louis ne savait que dire. Il appréciait grandement ces cadeaux qui lui laissait une certaine nostalgie dans la tête mais il n’aimait pas le sentiment d’adieu qui s’emparait alors de lui. Il avait l’impression que jamais il ne reviendrait ici, que jamais il ne reverrait Nicolas, que jamais il ne revivrait des vacances pareilles. Que tout était bel et bien fini, comme un retour à la réalité, la fermeture d’une parenthèse, une dernière lettre. Comme un épilogue.

« Merci » fut alors tout ce que le jeune Louis trouva à répondre.

Lui aussi avait quelque chose pour Nicolas. Sans un mot, il s’éloigna lentement tout en ne brisant pas le lien visuel qu’ils entretenaient. Et, c'était comme si le plus vieux comprenait que Louis lui demandait de le suivre. Silencieusement, ils montèrent les vieux escaliers et entrèrent dans la pièce qui avait servie de chambre au jeune homme. Alors, celui-ci fouilla sous son matelas et en sorti un petit objet sphérique.

La pomme de touline.

Nicolas parut d’abord confus, comme s’il ne savait pas ce que c'était et qu’il en comprenait pas ce que cela représentait. Il n’eut cependant pas le temps d’ouvrir la bouche que Louis murmura :

- Désolé, je l’avais prise sur un coup de colère. Je voulais quand même te la rendre.

Sans un mot, le plus vieux attrapa l‘objet entre ses doigts et le fit passer d’une main à l’autre. Louis ne pouvait cependant s’empêcher de se sentir un peu mal. Il avait honte de son comportement, de ce qu’il avait fait. Et puis, maintenant que tout avait changé, il regrettait d’autant plus son acte. Il regardait Nicolas, se demandant s’il était déçu, s’il lui en voulait, s’il avait cherché son nœud tout ce temps. Mais, alors qu’il ne s’attendait à rien, une réponse vint :

- Garde-le, tu me le rendras quand on se reverra.

Et alors, ils sourirent.

***

Louis passait ses doigts dans les lavandes. Un infime sourire sur les lèvres, il marchait dans le jardin de Judith et Marcel et repensa à cet été. À ce qu’il n’avait pas eu le temps ou le courage de faire, à ce qu’il avait manqué, ce qui lui avait manqué. À ses peines, ses ennuis, ses questionnements incessants, ses doutes et ses peurs. Mais aussi à tout ce qu’il a pu essayer, découvrir, écrire et écouter. Il repensa aux rires et aux belles paroles, à la lune givrée et au soleil brûlant. Il repensa à tout. Tout ce qu’il avait appris à aimer comme à détester.

Cette année était son dernier été ici. Tout a une fin. Il le savait. Il ne pensait juste pas que cela faisait si mal. Tous ces fragments de souvenirs éparpillés dans un lieu voué à disparaître. Et puis, ces vacances de rêve passées avec Nicolas. Inoubliables.

Comment supporter le quotidien après avoir vécu quelque chose d’aussi fort ? Louis se le demandait bien. Parce que durant ces deux semaines, il s’était un peu perdu mais surtout, il s’était retrouvé.

- Louis !

Le jeune homme sursauta et se vit obligé de rejoindre ses parents qui l’appelaient. Il était temps.

Alors, il remonta les escaliers en pierre et traversa le jardin avant d’arriver sur la terrasse de devant. Tous étaient là. Angelina discutait avec les deux hommes tandis que Judith parlait avec son fils. La mère de Louis finissant de charger la voiture. Selon le jeune homme, faire des au revoir si ce ne sont des adieux était une des choses qui demandait le plus de force, le plus de courage en ce monde.

Pourquoi ce passage était-il inévitable ?

La vie n’était faite que de rencontres et de séparations. Pourquoi ?

À quoi bon passer notre vie à rencontrer des personnes que nous devrons souvent abandonner quelques années plus tard ? Pourquoi apprendre à aimer ce qui finira par nous laisser ?

Alors qu’un sentiment de tristesse infinie s’emparait de Louis, Nicolas apparut à ses côtés. Ils se regardèrent et le plus vieux poussa un long soupir.

- On y est.

Louis voulut répondre mais sa gorge était si serrée qu’il se demandait comment l’air passait dans ses poumons. Il contemplait les yeux fragmentés de différentes nuances de bleu de Nicolas qui semblait sérieusement se retenir de laisser libre cours à ses larmes.

Le silence qui les unissait surpassait tout. Il cachait les rires francs de leurs parents, le bruissement léger du vent dans les branches et surtout, il cachait le chant des cigales. Comme un mauvais présage pour Nicolas qui ne comptait que sur cette mélodie régulière lui permettant de conserver son habituelle positivité.

Alors, le plus jeune esquissa un fin sourire crispé puis, s’avança lentement vers Nicolas. Tous deux s’enlacèrent silencieusement en faisant tout de même preuve d’une certaine réserve mais pourtant, ils se serrèrent si fort que ce fut comme si leurs corps se fondaient l’un dans l’autre. Ils s’accrochèrent de toutes leurs forces à un ami, un souvenir, un été, un moment de joie, un orage, une chanson, une cigale, un voilier mais surtout, ils s’agrippaient à une promesse de lendemain. La promesse qu’ils se reverraient.

Parce que c'était bien trop effrayant de penser qu’on ne reverrait plus quelqu’un qui nous avait aidé à peindre un des plus beaux tableaux de notre vie. Maintenant, Louis n’avait plus qu’une envie : passer toute sa vie ici, avec Nicolas. Ne rien faire d’autre que prendre la mer sur son voilier, l’écouter raconter des légendes et des histoires magiques, manger des glaces sur le port, profiter de la plage le soir, quand il ne restait plus grand monde. Louis voulait continuer de se promener dans les garrigues sous le soleil brûlant, il voulait slalomer entre les pins, grimper sur les rochers, sauter dans la piscine et nager dans le lac. Il avait ce sentiment de ne pas avoir assez profiter, de ne pas avoir assez vécu ces vacances dont il était encore assoiffé. Il voulait quitter cet endroit seulement quand il serait rassasié de soleil et de cigales, de poisson grillé et de repas sous la lanterne.

Alors, toujours aussi silencieusement, les deux garçons se séparèrent, le cœur au bord des lèvres, les larmes au bord des yeux. C'était comme s’il n’y avait plus qu’eux. Les parents n’étaient plus là. Seulement eux et les cigales.

Les prunelles vertes de Louis étaient plongées dans les océans de Nicolas et plus ils se regardaient, plus ils comprenaient. Ils comprenaient que c'était maintenant. Qu’ils ne pourraient plus repousser l’instant et que c'était bel et bien la fin de cette bulle de bonheur qu’ils avaient construit. Mais, le jeune homme savait que plus il attendait, que plus ils attendaient, plus le départ serait dur.

Il murmura alors :

- Au revoir Nicolas.

Ce à quoi le concerné répondit sur le même ton :

- Au revoir Louis.

Puis, le plus jeune lui offrit un petit sourire crispé mais sincère avant de saluer Judith et Marcel. Et, dans un dernier regard vers celui avec qui il avait vécu des moments si forts, il s’installa lentement à l’arrière de la voiture. Appuyant le front sur la vitre, il laissa une unique larme couler tandis qu’il sortait ses écouteurs de sa poche. À peine une minute plus tard, ses parents entrèrent dans l’habitacle et le moteur s’enclencha. Le véhicule recula lentement puis accéléra un peu avant d’enfin se caler sur une vitesse constante. Louis se fit violence pour ne pas se retourner et voir la silhouette de Nicolas. Alors, il appuya sur le bouton de lecture et la musique débuta.

***

La voiture s’éloignait et Nicolas ne voyait que lui. Sa tête le faisait souffrir et il ressentait des vertiges. Il avait vraiment du mal à accepter cette fin. Mais parfois, il le faut…

Se mordant la lèvre jusqu’au sang pour retenir ses larmes devant ses parents, il rentra finalement dans la maison et grimpa les escaliers à toute allure. Il ferma la porte de sa chambre et se sentit soudainement vide. Il n’allait plus réfléchir à une sortie qui pourrait lui plaire. Il n’entendrait plus le parquet de la chambre d’amis craquer sous ses pas. Et là, alors qu’il lançait un vieux vinyle de son grand-père, il ne pourrait pas partager cette chanson avec lui, même s’il en faisait partie d’une manière ou d’une autre.

Ne me quitte pas

Il faut oublier

Tout peut s’oublier

Qui s’enfuit déjà

Oublier le temps

Des malentendus

Et le temps perdu

À savoir comment

Oublier ces heures

Qui tuaient parfois

À coups de pourquoi

Le cœur du bonheur

Ne me quitte pas

Ne me quitte pas

Ne me quitte pas

Ne me quitte pas

Sans attendre le reste, le jeune homme se recroquevilla et fondit en larmes. Tout seul dans sa petite chambre étouffée par les photos et les posters. Tout seul dans le vide que formait son corps. Après avoir compris que Louis s’était trompé sur lui autant que lui s’était trompé sur le jeune homme, il n’avait eu qu’une envie : rattraper le temps perdu.

Mais comment rattraper des années entières en une dizaine de jours ?

***

Une lettre attendait sur le bureau du jeune homme. Celui-ci ne l’avait pas encore vue. Il faudra attendre quelques heures, quand il se décidera à ranger le sweat qui trainait sur le bord du lit pour qu’il remarque enfin ce bout de papier argenté posé soigneusement devant son ordinateur portable.

Alors, il le dépliera et commencera sa lecture.

Nicolas,

Parfois je me dis que tu es un peu comme une étoile lointaine. Une étoile dont on ne voit pas le scintillement, la puissance, la valeur. Du moins, pas à l’œil nu, de là où nous sommes. Mais, depuis ce jour, dans cette grotte, sous cet orage, j’ai utilisé un télescope. Et alors je t’ai vu. Je t’ai vraiment vu. Et je tenais à te dire que te regarder à travers cet instrument d’optique est la plus belle chose que je n’ai jamais faite.

Tu crois au coup de foudre toi ? Parce que je pense que nous deux, c'était comme un coup de foudre. Un coup de foudre sous un orage. C'est comme ça. C'est juste nous.

Mais cet été n’était que le premier. Nous nous reverrons un jour où l’autre. Souviens-toi de la chanson.

« L’absence n’est-elle pas pour qui aime la plus certaine, la plus efficace, la plus vivace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences ? »

Pour finir, je te propose quelque chose. J’ai commencé avec cette lettre. À toi de m’envoyer la suivante à laquelle je ne manquerai pas de répondre. Je t’ai laissé un petit cadeau dans le tiroir gauche de ton bureau (celui qui grince). J’espère que cela te plaira.

Tu me manques déjà, profite de la mer pour moi et surtout, entend le chant des cigales pour le graver dans ton cœur. J’écouterai « Rocket Man » en pensant à nous.

Louis.

Rendu muet par l’émotion, Nicolas relira la lettre. Deux fois. Puis, il tirera le tiroir gauche de son bureau, celui qui grince.

Alors, Nicolas sourira en découvrant ce que lui avait laissé Louis. Quelque chose qui les réconforterait lorsque les cigales cesseront de chanter. Quelque chose qui ne marquait pas une fin mais plutôt un début.

Du papier à lettres.

FIN

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