ÉPILOGUE : Lorsque les cigales chantent

7 minutes de lecture

Le 11.12.2020

Nicolas,

Je pense que le cadeau que tu veux faire pour ta mère est une très bonne idée. Si tu connais bien ses goûts littéraires, elle devrait être contente. Tu lui souhaiteras un joyeux anniversaire de ma part !

Je viens tout juste de sortir d’une semaine affreuse de concours blanc. Tout le monde, cahier ouvert, dans les couloirs dès 8 heures du matin ! Affolant ! Sinon, je vais assez bien, je n’ai toujours pas réussi à me faire de véritables amis, seulement des camarades de galère…

Mais, quand mes heures sont plus sombres, je pense aux vacances, à l’odeur des plantes et du soleil. Au goût de la glace au citron et de l’eau du lac. Je repense à toi, à nous, à la grotte, notre grotte. Toi aussi tu me manques, le sud me manque, les cigales me manquent. Mais le manque n’est qu’une overdose de vide. Alors, il suffit de le combler avec de belles choses ! C'est pourquoi je te propose d’écouter cette très belle chanson que j’ai découvert récemment :

Les vacances au bord de la mer – Michel Jonasz

Je te souhaite une bonne journée et attends avec impatience ta prochaine lettre !

Louis

26.12.2020

C'était la dernière lettre de Louis que Nicolas avait reçue. Depuis, plus rien.

Les deux garçons s’étaient envoyé des lettres chaque semaine depuis leur séparation. Ils se partageaient toutes sortes de choses : des musiques, des films, des livres, des informations diverses et variées. Ils se racontaient leurs vies, leurs joies et leurs peines. Tous deux avaient trouvé leur routine. Ils réussissaient à conserver un rythme hebdomadaire pour ne pas perdre contact. Mais, alors que la fin de l’année arrivait à grand pas, Nicolas attendait toujours une réponse de Louis à sa dernière lettre. Ils n’avaient pas échangé leurs numéros de téléphone, ni leur adresse mails. Ils passaient si peu de temps sur leurs téléphones que leur temps de réponse n’en aurait pas été plus court. Et puis, ils aimaient les choses simples, authentiques. Un SMS ne remplacera jamais l’encre noircissant le grain du papier à lettre qu’ils utilisaient toujours.

Alors, aujourd’hui, le jeune homme s’était décidé à appeler les parents de Louis, pour s’assurer que tout allait bien. Il avait demandé leur numéro à sa propre mère et avait téléphoné. Mais, tout ce qu’il avait appris sur Louis, c'était qu’il allait bien et qu’il n’était pas là, qu’il ne pouvait pas lui parler. Déçu, il avait raccroché.

Il était désormais 16 : 12 et l’horizon s’assombrissait déjà au loin. Nicolas venait d’amarrer son fidèle voilier, épuisé par sa journée. Le jeune homme avait organisé un tour des côtes pour les touristes afin de se faire un peu d’argent. Il vendait aussi des photos qui deviendraient plus tard des cartes postales, il avait également accepté de prêter sa voix à un petit documentaire local. Nicolas était débrouillard, il avait appris à pêcher, à cuisiner afin d’organiser des goûter d’anniversaire pour les enfants du coin. Il avait participé à des travaux de rénovation du petit village de Cotignac, et il avait même repeint la façade de la maison de retraite. Les adultes l’aimaient bien et lui demandaient régulièrement des petits services. De cette manière, bien que les revenus que lui offraient ces petites activités furent assez aléatoire selon les mois et les demandes, le jeune homme parvenait à mettre de côté une bonne petite somme.

Depuis quelques jours déjà, il avait eu une idée qu’il comptait mettre en place à partir du mois de mars. Il voulait donner des cours de voile et de navigation. Alors, il réfléchissait à des tarifs accessibles qui lui permettraient de gagner de l’argent d’une nouvelle manière.

Et tout cela lui plaisait. Vraiment.

Nicolas pouvait rester dans sa région tant adorée et il partageait ses passions avec d’autres personnes. La seule chose qui lui manquait, c'était Louis. Depuis son départ, le jeune homme avait senti comme un grand vide, cela avait été étrange de retrouver la vie à trois dans une maison qui avait été si animée. Puis, les jours étaient passés, puis les semaines, et il s’était fait à l’absence de son acolyte. Il avait recommencé à fréquenter ses anciens amis et avait appris à se contenter de discussions par lettres avec Louis.

Il était heureux, c'était indéniable. Mais lorsqu’il passait du temps avec ceux qui avaient partagé ses récréations au lycée, il lui manquait quelque chose. Il lui manquait le savoir et la répartie de Louis. Son innocence, son calme et sa naïveté. Toute ces petites choses si caractéristiques du jeune garçon qui s’étaient faites aspirées par la rentrée, par la fin des vacances et qui désormais demeuraient dans un encrier, en attendant d’être couchées sur le papier. Le papier à lettre.

Mais, lorsque Nicolas se sentait un peu trop triste, il se confortait toujours dans l’idée qu’il recevrait dans sa semaine, une nouvelle lettre de Louis. Ces petites enveloppes jaunâtres qui l’appelaient depuis la boîte aux lettres. La journée où il recevait la lettre devenait alors la meilleure de la semaine. Et, une journée parfaite chaque semaine sans exception, c'était plus que ce qu’il avait pu espérer.

Mais l’exception était arrivée au plus grand regret de Nicolas. Le jeune homme essayait de ne pas trop y penser mais c'était se voiler la face sur le fait que cela le préoccupait bien plus que de raison.

Debout sur son voilier qui tanguait sous les vagues, il rangeait les cordages et passait un coup de balai sur le pont. Il rangeait la voile et plaçait une bâche isolante sur l’embarcation. Il ramassa son manteau qu’il avait déposé sur la bitte d’amarrage et l’enfila dans un frisson puis, il soupira. Il n’avait qu’une hâte, se coucher. Il s’assura une dernière fois que son bateau était bien attaché et, c'est là qu’il le vit. Debout parmi les quelques marins et pêcheurs qui déambulaient sur le port, Louis souriait, au centre de la rue pavée où ils étaient tant de fois passés.

Nicolas eut l’impression que le vent le plus violent du monde s’était abattu sur lui le temps d’une fraction de seconde et l’avait fait vacillé. Des hommes ramenaient des cageots de poissons et de fruits de mer tandis que quelques touristes se promenaient sous les lampadaires. Un chien à la langue pendante trottinait sur le côté et quelques mouettes voltigeaient encore. Mais Nicolas ne voyait que lui.

Ils se regardèrent encore. Immobiles. Puis, Louis s’avança jusqu’à son ami et le prit dans ses bras sans une once d’hésitation.

Nicolas n’osait parler, de peur de briser cet instant si calme mais si éloquent. Il finit tout de même par murmurer au creux de son oreille :

- J’attendais ta lettre.

Il ne répondit pas tout de suite, ce qui laissa le temps à Nicolas de constater qu’il faisait vraiment froid : les tremblements de leurs corps étaient légèrement atténués par l’étreinte mais la légère brise glaciale leur donnait de violents frissons.

- Je te la donnerai tout à l’heure. En main propre.

À cette réponse, le plus vieux sourit. Il sourit parce qu’il aurait sa lettre. Parce qu’il pourrait la lire en compagnie de son auteur. Alors, il resserra brièvement Louis contre lui avant qu’ils se séparent enfin.

- Mais comment es-tu venu ?

Le jeune homme n’avait pas une seule fois cessé de sourire depuis qu’il était arrivé dans le Sud et, son sourire s’agrandit encore plus lorsqu’il sortit un trousseau de clef de sa poche, des étoiles pleins les yeux. Il brandit alors l’objet en le secouant un peu :

- À défaut d’avoir un bateau, je possède une voiture. Et un permis je te rassure !

- À propos de bateau, il faut que je te montre quelque chose !

Alors, Nicolas se tourna vers son voilier et souleva légèrement la bâche qui le recouvrait pour laisser apercevoir des caractères noirs peints dessus. Cela formait une inscription qui fit gonfler de bonheur le cœur de Louis. Nicolas avait finalement donné un nom à son bateau.

« Rocket Man »

***

21h46

Les deux garçons étaient allongés dans le lit de Nicolas. Ils écoutaient un vinyle tout en discutant de tout et de rien. Mais surtout de tout. De tout ce qui s’était passé depuis leur séparation.

Louis s’était confié sur ses inquiétudes quant à ses études. Malgré ses doutes, il se plaisait finalement bien dans sa prépa littéraire mais lorsqu’il pensait à l’après, il était perdu. Il ne savait pas à quoi cette prépa lui servirait puisqu’il ne savait absolument pas vers quoi s’orienter après ces deux années. Mais Nicolas lui avait conseillé de se focaliser sur le présent, sur ses études actuelles qui visiblement lui plaisaient et de ne pas penser à la suite pour l’instant, de se laisser porter. Simplement.

Et Louis avait décidé de lui faire confiance. Après tout, c'est ce qu’il avait toujours fait : vivre simplement, sans prise de tête. Nicolas n’avait fait que cela : se laisser porter. Et au final, il avait tout gagné. Il parvenait à toucher une recette mensuelle correcte en pratiquant divers petits boulots qui lui plaisaient. Il avait toujours le temps de naviguer, de prendre des photos. Il vivait de ce qu’il aimait. Et c'était la plus belle des choses à regarder.

Louis resterait jusqu’au 2 janvier et Nicolas avait déjà prévu de lui faire découvrir la Provence en hiver. Les vignes enneigées, l’eau figée et les toits blanchis. Il voulait lui montrer les lièvres qui, encore timides, sortaient de leur tanières pour arpenter les champs et les nids d’oiseaux sur les branches nues. Et, ils ne parleraient plus des cours. Parce que quand ils étaient ensemble, c'était toujours les vacances et les cigales ne cessaient jamais de chanter.

La soirée se passa agréablement. Louis eut presque l’impression d’être revenu quelques mois plus tôt. Mais certains petits indices lui rappelaient que l’été était terminé, la lanterne au-dessus de la table extérieure n’était pas allumée, cette même table n’était pas dressée. On ne servait pas des limonades mais des chocolats chauds et le feu consumait le bois dans la cheminée du salon. Et surtout, les cigales ne chantaient pas. Pour ne pas être abîmées par le froid. Mais pourtant, l’essentiel était là. Nicolas et ses explications, son voilier et sa Provence. Et alors, c'était comme si finalement, les cigales rechantaient un peu. Tout doucement.

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