VII. Comme un coup de foudre

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Ce sont les rayons blancs du soleil qui réveillèrent Louis ce matin-là. Sa petite chambre transpirait la moiteur de l’été et lorsqu’il ouvrit ses volets, les couleurs ternes du ciel annonçaient déjà l’arrivée d’un orage.

D’un pas lent, il descendit les escaliers et salua sa mère qu’il croisa dans la cuisine. Il attrapa au passage un bol et une cuillère puis il sortit dans le jardin, se dirigeant vers la longue table en bois. Son père était là. Assis au bout, sirotant un thé. Le jeune homme pris place à ses côtés et se servi de lait.

Louis aimait particulièrement les matins dans la villa. Ce calme singulier qui régnait et enveloppait les habitants encore endormis préparant leur petit-déjeuner silencieusement. On entendait seulement le bruit des cuillères qui frottaient le fond des bols et le murmure du vent.

- Bien dormi ?

Le jeune homme se contenta d’acquiescer. Il avait comme l’impression que son père se retenait de lui dire quelque chose. Il le regardait comme s’il l’analysait et la dernière fois qu’il l’avait fixé ainsi, c'était pour lui demander s’il avait une petite amie cachée.

- On dirait que ça va mieux avec Nicolas.

Louis stoppa tout mouvement et lança un petit regard à son père.

- Oui, c'est un peu mieux.

Il ne savait pas pourquoi il mentait ainsi. Il aurait dû lui hurler sa joie. À quel point tout va tellement mieux. Comme ils passaient toutes leur journée ensemble et comme ils s’amusaient inlassablement. Mais son père ne pouvait pas comprendre. Aucun des adultes ne le pouvait. Pour comprendre, il aurait fallu leur raconter ce qu’il s’était passé dans la grotte. Et cela, Louis comme Nicolas ne voulaient pour rien au monde leur dévoiler aux autres.

La grotte, l’orage, l’odeur de la pluie, les confessions. Tout cela leur appartenait. À eux.

Et puis, Louis avait aussi honte. Un peu. Honte d’avoir été si aveugle, d’avoir émis un faux jugement. Il se sentait parfois comme Elizabeth Bennet dans Orgueil et Préjugés.

- Tu sais Louis, je te trouve plus souriant depuis quelques jours et ça me fait très plaisir de te voir comme ça. Et si tu veux mon avis, je pense que c'est grâce à Nicolas.

Le jeune homme ne sut que répondre. Il avait l’impression que son père savait tout.

Pourtant, Stéphane n’avait pas seulement vu la jalousie mal placée qu’éprouvait son fils pour Nicolas depuis maintenant quelques années. Il avait vu l’admiration qui saisissait les deux garçons et cette fausse haine de l’autre qu’ils s’imposaient à eux-mêmes pour ne pas voir la réalité en face.

Le quadragénaire ne savait pas tout mais, il avait compris.

Il avait deviné qu’un évènement avait finalement rapproché les deux garçons et il avait pressenti le trouble de son fils face à ce changement. Il avait vu les regards et les sourires. Il avait vu le sable sur les vêtements de Louis qui disait être resté au village tandis que Nicolas vaquait à la plage. Il avait entendu les chuchotements tard le soir, les pas silencieux sur le parquet lorsque le plus jeune regagnait sa chambre. Il entendait leurs esprits apaisés et voyait la bulle qu’ils s’étaient construite.

Le jeune homme baissa les yeux et se sentit soudain bien trop vulnérable face à son père.

Celui-ci prit alors les mains se son fils dans les siennes et continua :

- Mais je suis aussi très fier de toi. Fier de la personne que tu es devenue en grandissant. Parce que tu as changé mais tu es resté toi-même. Fier que tu aies enfin vu Nicolas comme un ami et pas un ennemi. Ça me faisait de la peine de te voir à l’écart chaque année.

Après un court silence, Louis enlaça son père, enfouissant son visage dans son cou pour cacher ses yeux brillants. Il murmura un faible merci puis, de sa voix rauque du matin, il reprit :

- Je crois que j’ai toujours voulu être son ami et je regrette d’avoir passé tout ce temps à me forcer à le détester inutilement.

- On fait tous des erreurs. L’essentiel c'est de s’en rendre compte et surtout, de les réparer au mieux.

Le jeune homme se recula et sourit à son père.

- Je m’en suis rendu compte et nous les réparons chaque seconde.

- Alors tout va pour le mieux ! Maintenant, si tu le permets, je vais finir mon thé qui doit déjà avoir refroidi.

Louis, ému et heureux, se réinstalla dans son siège et contempla son père faire une drôle de grimace lorsque ses lèvres entrèrent en contact avec la boisson.

- Trop froid ! ajouta-t-il en vidant le reste de son bol dans un buisson.

Judith apparut sur le seuil de la porte d’entrée et interpella le jeune homme.

- Louis, tu ne saurais pas où est Nicolas ?

- Non, répondit-il en fronçant les sourcils.

- Je pensais qu’il dormait encore mais il n’est pas dans sa chambre et d’habitude, il prévient quand il sort. D’autant plus qu’un orage se prépare et je n’aime pas quand il est seul dehors par ce temps.

Louis fut parcouru d’un frisson. C'était vrai. Nicolas prévenait toujours quand il s’en allait. Et surtout, depuis leur réconciliation, il ne partait jamais seul, ils partaient ensemble. Un éclair fendit l’air et Stéphane s’empressa de débarrasser la table et de rentrer pour se protéger de l’orage imminent tandis que son jeune fils eut un présentiment.

Il avait senti la mélancolie qui émanait de Nicolas depuis la veille sans être sûr de la comprendre réellement. Louis partait demain matin. Il quitterait son camarade et mettrait fin à l’idylle qu’étaient leurs vacances. Et, bien qu’il eût tout fait pour le cacher, l’appréhension le rongeait. Il ne voulait pas partir. Il ne voulait pas revenir à la réalité.

Le tonnerre se fit entendre et Louis sursauta.

Un jour d’orage.

Guidé par son instinct, il prit seulement la peine de laisser un mot pour son père, disant qu’il savait où était Nicolas. Toujours avec son t-shirt de pyjama et un vieux short trop large, il se lança sur le sentier poussiéreux en direction des garrigues et de la grotte.

***

L’odeur de terre mouillée envahissait les narines de Louis qui marchait péniblement vers la grotte. L’orage n’avait toujours pas éclaté mais quelques éclairs et grondements de tonnerre se faisaient entendre de temps à autre. La pluie, quant à elle, n’avait pas cessé de tomber, s’écrasant sur les frêles épaules du jeune homme. Lorsqu’il arriva devant la grotte, il sentit son cœur s’accélérer. Et s’il n’était pas là ? Ou plutôt :

Et s’il était bel et bien ici ?

Que lui dirait-il ?

Louis avança lentement mais surement vers l’entrée de la grotte et, il l’aperçut.

Enveloppé dans une couverture, Nicolas était recroquevillé sur lui-même, le regard fixé dans le vide. Sans un mot, le plus jeune se laissa glisser au sol, juste à côté de son ami.

En silence.

Il fallut attendre l’éclat d’un éclair prodigieux pour que Nicolas décide enfin de faire entendre sa voix cassée et fragile :

- Je ne veux pas que tu partes.

Comme une évidence, Louis lui répondit dans un murmure :

- Je ne veux pas partir.

Le plus vieux tourna sa tête vers lui et contempla son visage encore légèrement endormi comme s’il voulait en mémoriser chaque aspérité. Ce dernier fit de même avant de continuer :

- Pourtant il le faut.

Nicolas baissa le regard, comme s’il était déçu ; puis regarda de nouveau devant lui.

- Il le faut.

Un nouveau silence s’installa dans la pénombre de la grotte. Le plus âgé n’avait pourtant qu’une envie. Il voulait prendre Louis dans ses bras, le supplier de ne pas partir, de rester coûte que coûte ici, avec lui, de ne pas le laisser. Il avait toujours été heureux mais maintenant qu’il avait connu les vacances avec Louis, il était persuadé que sa vie d’avant sera bien trop fade. Il se sentait comme un enfant à qui on allait retirer la sucette de la bouche. Il n’avait pas assez partagé, pas assez discuté, pas assez ri, pas assez vécu avec le garçon aux boucles brunes et aux yeux olive.

Et là, dans l’intimité de la grotte, de leur grotte, Nicolas avait le sentiment qu’il pouvait tout dire. Ses peurs, ses doutes, ses joies et ses peines. N’est-ce pas ce qu’ils avaient faits la dernière fois ? Parler à cœurs ouverts ? C'était comme si ici, ils étaient les plus courageux.

- J’ai peur que si tu partes, les cigales cessent de chanter.

Louis comme Nicolas savaient bien que jamais les cigales n’arrêteraient de chanter. Mais pour Nicolas, le chant des cigales était synonyme de joie, de bonheur, de plénitude. Dans sa phrase, il disait en fait : « Je crains qu’en partant, tu ne me laisses que du vide. Un immense vide. »

Finalement, c'était comme si les deux garçons avaient toujours vécu à moitié et qu’il leur fallait se rencontrer pour oser se vanter de vivre enfin pleinement.

Ne sachant véritablement que faire, Louis tenta une réponse, aussi maladroite fut-elle :

- Ne dis pas ça. Sois pas si pessimiste.

- Je suis pas pessimiste. Je te l’avais dit. Au port. Le jour où tu me manqueras, les cigales cesseront de chanter.

De nouveau, Nicolas inclina la tête et plongea le bleu de ses yeux dans ceux de Louis.

- Au début, j’ai dit ça juste parce que j’avais une certitude. Jamais tu ne me manquerais. Pas comme ça. Pas aussi fort.

Un léger sourire se dessina sur ses lèvres fines et il reprit en ricanant :

- Je me suis visiblement bien trompé !

Puis, il se leva et s’approcha de la sortie de la grotte observant les dernière gouttes de pluie tomber sur le sol humide. L’orage était passé.

Louis se mit debout à son tour et s’approcha timidement.

- Je ne suis même pas encore parti !

- Mais tu me manques déjà, murmura Nicolas, sa voix encore plus brisée qu’à l’accoutumée.

Louis se sentait impuissant face à la détresse de son ami. Il était aussi triste de le quitter et de mettre fin à leurs vacances mais Nicolas, lui, avait l’air totalement dévasté. Et le plus jeune ne savait que faire.

Alors, il s’avança lentement vers son ami et déposa une main réconfortante sur son épaule.

En ce simple geste, il lui transmettait toute son affection, tout son courage. Sa petite main s’agrippait à son épaule comme ils s’étaient attachés l’un à l’autre.

- Dis Louis, c'est quoi ton plus gros regret ?

Les deux garçons fixaient l’horizon et pensaient. Des regrets, Louis en avait. Des remords aussi. Mais il n’avait pas le courage de réfléchir. Alors, il choisi le premier qui lui vint à l’esprit.

- D’avoir attendu tout ce temps pour te dire que je ne te détestais pas. D’avoir attendu tout ce temps pour te parler réellement.

Nicolas eut un sourire ironique.

- Je crois que nous partageons les mêmes regrets alors !

***

Les deux garçons avaient décidé de profiter au maximum de leur dernière journée ensemble. Après avoir mangé une énorme coupe de glace sur le port, ils avaient fait un tour de bateau et avaient fini par se rendre au lac. Ils étaient assis sur un tronc d’arbre, contemplant le soleil couchant au loin se refléter sur la surface lisse et profitaient du calme qu’offrait cette soirée d’août.

Ils avaient ri et parlé. Beaucoup. Ils s’étaient sentis tristes et nostalgiques. Un peu.

On entendait le chant des criquets et l’odeur du soir éveillait leurs sens. Cette odeur à la fois sucrée et épicée qui chatouillait leurs narines et fermait leurs paupières. Louis profitait de son dernier crépuscule dans le Sud. De son dernier crépuscule avec Nicolas.

- Louis.

Le concerné tourna sa tête vers son ami. Il portait une chemise bleu foncé entièrement ouverte et un short en jean bien trop grand pour lui. Ses yeux étaient assombris par la récente pénombre et brillaient légèrement.

- Je voudrais que tu m’excuses pour toutes les fois où je t’ai blessé. Je repense à toutes ces choses que j’ai pu te dire pour t’énerver mais qui étaient en fait juste de la méchanceté.

Louis lui avait déjà tout pardonné. Tout. Son ton arrogant, son faux narcissisme, ses coups en douce, ses piques et ses blagues idiotes, sa stupidité et même ses foutues lunettes de soleil trop grandes. Pourtant, il ne put s’empêcher de se sentir attendri par la démarche de Nicolas.

- T’en fait pas. C'est oublié. Et puis, je n’étais pas mieux non plus !

- Toi aussi tu es pardonné. Depuis un moment.

Alors, dans la nuit tombante, ils se sourirent.

Parce qu’ils étaient pardonnés.

Parce qu’ils se sentaient bien.

Parce qu’ils étaient ensemble.

Sur le chemin du retour, ils n'ont cessé de parler. Ils se sont rappelé certains moments. Ils se sont raconté des souvenirs d’enfance. Ils ont plaisanté, rigolé. Les seuls instants où ils se sont tu, c'était pour regarder les constellations. Et alors, les yeux rivés vers les cieux, ils ont aussi pleuré. Un peu. De petites larmes salées ont dévalé leurs visages fatigués d’avoir trop souri. Ce n’était pas des larmes de tristesse ou de peine. C'était des larmes d’émotion, de sensibilité, de nostalgie. De celles qui s’écoulent des yeux des sportifs quand ils gagnent le combat de leur vie.

Eux avaient gagné le plus beau des trophées.

Un trophée qui ne prenait pas la poussière. Qui jamais ne cesserait de briller.

***

Ils entrèrent à pas de loup dans la maison et, après une douche, ils s’allongèrent dans le lit du plus vieux.

D’abord, le silence. Puis, Nicolas lança un vinyle sur son tourne-disque en prenant soin de baisser le volume pour ne pas réveiller la maisonnée. Alors, une mélodie aux allures aussi gaies que mélancoliques se joua puis, la voix du grand Charles Aznavour emplie la pièce.

Nous nous reverrons un jour ou l’autre

Si vous y tenez autant que moi

Prenons rendez-vous

Un jour n’importe où

Je promets que j’y serai sans faute

Noël comme à la Pentecôte

À Rio de Janeiro ou à Moscou

Plus on est de fous

Plus on rit de tout

Nous nous reverrons un jour ou l’autre

J’y tiens beaucoup

Nous nous reverrons un jour où l’autre

Le monde est petit, profitons-en

Si votre chemin

Passe par le mien

Ma roulotte croisera la vôtre

Comme il ne faut pas tenter le diable

En disant à la prochaine fois

Faites comme moi

En croisant les doigts

Ou si vous trouvez ça préférable

Touchons du bois

Puis, les paroles s’arrêtèrent quelques instants, le temps de laisser les instruments devenir vedettes. Louis ne connaissait pas cette chanson. Mais il l’aimait déjà. De tout son cœur.

Il se doutait que Nicolas n’avait pas lancé ce disque au hasard. Il voulait s’assurer que tous deux garderaient contact. Qu’ils ne s’oublieraient pas comme on oublie un souvenir acheté en vacances puis laissé sur une étagère poussiéreuse.

Le hasard souvent fait bien les choses

Surtout quand on peut l’aider un peu

Une étoile passe, et je fais un vœu

Nous nous reverrons un jour ou l’autre

Si Dieu le veut

Une seconde musique se joua mais elle parut inexistante. Comme enveloppés dans une bulle de souvenirs, de sentiments trop éprouvés et d’instants futurs imaginés, il leur était tout bonnement impossible de penser à autre chose.

Louis se demandait parfois comment il avait pu autant s’attacher à celui qu’il avait toujours méprisé. Et en si peu de temps. Lui qui clamait toujours qu’il fallait du temps pour s’attacher à quelqu’un. Il se sentait un peu bête mais tellement heureux aussi. Ils avaient oublié leurs préjugés et avaient appris à se connaître réellement. Enfin.

C'était comme un coup de cœur.

Ils s’étaient parlé à cœurs ouverts, un jour d’orage.

C'était comme un coup de foudre.

Mais Louis avait aussi peur. Peur d’oublier les sensations. L’odeur de thym et des lavandes. De la terre mouillée et du jardin au petit matin. Il avait peur que le goût de la glace au caramel et du melon trop mûr s’estompe au fil des jours. Toutes ces choses qui avaient pris un sens nouveau cet été parce qu’elles avaient été vécues avec Nicolas. Louis voulait s’en souvenir pour toujours. Il voulait se souvenir des moments. Lorsqu’il barbotait dans la crique bleue. Quand il fermait les yeux à cause du vent lorsque le bateau prenait de la vitesse. Tous ces endroits où ils étaient restés assis à regarder l’horizon. À l’aube, dans l’après-midi, pendant l’orage, au crépuscule, sous la voûte étoilée.

Louis ne voulait pas oublier tous ces instants passés avec Nicolas, toutes ces découvertes et ces randonnées. Comme un nénuphar s’ouvrant sous le soleil, il avait atteint le paroxysme de son épanouissement aux côtés de celui à qui il ne témoignait qu’hostilité.

Louis poussa un soupir. Il était tout juste minuit et dans quelques heures, il devrait retourner chez lui. Il ferma les yeux, comme bercé par la musique qui se jouait sur le vieux tourne-disque de Nicolas et s’installa de manière plus confortable.

- N’oublie jamais, murmura soudain une voix éraillée.

Louis rouvrit ses yeux et tourna sa tête vers Nicolas qui lui, avait le regard fixé sur le plafond.

- Quoi ? Toi ?

- Non, pas moi. Nous.

Après un petit silence durant lequel le jeune homme ferma de nouveau ses yeux, il répondit d’une voix à peine perceptible :

- Jamais.

Alors, ils s’endormirent comme ça. Allongés de travers sur le lit de Nicolas.

La tête dans les étoiles en attendant de devoir redescendre sur Terre.

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