La servante et le catcheur, d'Horacio Castellanos Moya

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Je ne me souviens plus en quelle année c’était, peut-être en 2013, à moins que ce ne soit en 2014, mais j’habitais à Lyon à ce moment-là, c’est une certitude. Je finissais des études de bibliothéconomie et dans le cadre de cette formation, la Villa Gillet était venue chercher quelques étudiants pour animer des rencontres dans le cadre d’un de leurs festivals littéraires. J’avais trouvé ça super intéressant, et nous étions un petit groupe à nous être inscrits dans cette démarche. On m’attribua un auteur, dont je ne connaissais rien, et j’avais trois mois pour lire son livre et pour préparer la rencontre qui aurait lieu dans une librairie, avec un interprète pour l’animation des échanges. C’est ainsi que j’ai lu Horacio Castellanos Moya. Dès que j’ai su son nom, j’ai immédiatement commandé les livres qui étaient traduits en français. Cela prit un peu de temps avant que je ne les reçoive, il n’y en avait que cinq, dont le dernier, celui sur lequel portait la rencontre, La servante et le catcheur.

Le premier livre que j’ai lu est aussi le plus polémique : le Dégoût. Horacio Castellanos Moya, auteur du Salvador, a été menacé de mort à la parution de ce petit livre, dont le sous-titre est « Thomas Bernhard à San Salvador ». Et c’est vraiment saisissant : on a l’impression de lire du Thomas Bernhard dans un contexte salvadorien. Depuis la parution de ce livre, l’auteur vit au Honduras et toute son œuvre raconte l’histoire de personnages du Salvador, il recrée son pays, il en retrace les tourments et la violence, en suivant des personnages récurrents, que l’on croise d’un livre à l’autre, qui sont parfois des personnages secondaires parfois principaux, parfois seulement évoqués, un peu comme une Comédie humaine d’Amérique centrale. Ne lire qu’un seul de ses livres est un moment plaisant, mais les lire tous, c’est comme rassembler les pièces d’un immense puzzle. Jouissif.

Le jour de la rencontre vint. J’étais très enthousiaste et stressé. J’avais préparé mes questions que j’avais envoyées à l’interprète pour qu’elle les travaille de son côté. Tout était prêt. La rencontre se déroula dans la librairie qui était en bas de chez moi, la librairie chez qui j’avais commandé tous mes livres. Cela m’avait rassuré, j’étais en terrain connu.

Tout se passa très bien, le public était content, et l’ambiance avait été bonne. Mais à un moment, j’ai posé une question, anodine pour moi, qui gêna l’auteur. Au fil de ma lecture de ses œuvres, je me rendais bien compte que l’alcool était très présent, et même l’alcoolisme des personnages était une réalité dramatique, un ressort naratif omniprésent. Les foies souffrent beaucoup et ce sont les corps qui chavirent. Horacio Castellanos Moya me regarda interloqué. « Vous dites que mon peuple est truffé d’ivrognes ? » Je n’avais rien insinué. Au contraire, je m’interrogeais sur la présence réelle de l’alcool dans la société salvadorienne, par rapport à ce qu’il rapportait dans ses livres. Il ne voulut pas répondre. Ce n’était pas vraiment un sujet. L’entretien se poursuivit ensuite sur un ton badin.

Au moment du repas, il y avait une bouteille de vin pour nous quatre (l’auteur, l’interprète, le libraire et moi). Je ne bois pas de vin. Les trois autres se servirent et Horacio refusa de me parler directement pendant tout le repas.

J’avais touché une corde sensible et m’étonnais que personne avant moi ne lui ai posé la question. Mais bon, malgré cette rencontre glaciale, j’ai continué de lire ses livres. Je ne suis pas rancunier.

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