Hymne

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   Les jardins britanniques brillaient de mille feux ce jour. Les visiteurs accouraient du monde entier pour voir la relève de la garde. Peu s’en fichait, mais un en particulier. Un homme d’une cinquantaine d’année, venait pour nourrir les écureuils qui sautaient dans les arbres, et qui, de temps en temps, osaient s’aventurer au plus près des passants.
  C’était toujours au même banc qu’il avait pour habitude de s’asseoir. Le postérieur posé sur ces trois lattes de bois moisi par le temps, il lançaient des graines qu’il n’aimait pas et qu’il retrouvait toujours dans ses salades. Un jour, pensa-t-il, j’arrêterais d’aller en acheter. Jamais il n’y arrivera, non par flemme mais par solitude. Le contact de la vendeuse était tout aussi important que celui qu’il avait avec les animaux des jardins royaux. Il lança une première graine.
  Deux écureuils coururent au tronc de l’arbre où ils étaient perchés. La tête en bas, la course se fit folle et avant même d’avoir atteint les racines, ils sautèrent au sol et se battirent pour la graine. Celui qui ne l’eut pas s’arrêta de bouger et regarda le gros homme sur son bac. Il suffit d’un seul regard pour que ce dernier se levât et se dirigea en direction du petit être. Toujours immobile, comme figé dans le marbre, l’écureuil se laissa prendre. Porté à hauteur d’homme, les échanges de regards continuèrent. Dans les yeux de l’animal, le visiteur se perdit et dans son iris. Il vit une allée de pierres. Un drôle de souvenir qu’il n’avait vécu fit surface. Certain d’avoir longé dans ces allées de l’iris, sans pour autant savoir quand il l’avait fait.
  L’homme souleva un peu plus haut l’écureuil inerte comme pour voir s'il y avait une notice ou une explication dessous. Après l’avoir tourné dans tous les sens et retourné la question, il abandonna d’y comprendre quoi que ce soit. Il caressa l’animal docile et le posa à terre. À ses pieds, l’écureuil fut pris de spasmes tel un jouet mécanique et reparti dans l’arbre avec une graine qui était tombé de la poche du gros homme. Ce dernier fit sa route la tête lourde.
  La nuit, un spectacle se fit. Des dizaines d’écureuils jaillirent des troncs et sautèrent des branches comme des feux d’artifices à la surface de l’eau. Leurs robes orange et noisette luisaient au clair de lune, et les éclats tombaient au sol. Folle ronde à la recherche de denrées laissées par les hommes, les oiseaux ou le vent. Et tout ceux qui trouvaient, remontèrent à leurs cachettes et recommencèrent le pas précèdent. Un seul écureuil semblait ne pas participer à cette farandole. Observateur de ses acolytes, il ne semblait pas savoir comment s’y prendre et surtout que faire. Il les regarda toute la nuit et quand le matin arriva avec les premiers visiteurs, aucun écureuil était dehors. Sauf un, il regardait avec curiosité les jardins qui s’éclairaient.
  Il était exténué et n’avait rien amassé. Repensant à tous ses camarades, il se sentit obligé d’y aller. Il sauta maladroitement de sa branche, et se réceptionna tant bien que mal entre deux cailloux tentant de l’assommer. Alors que les jardins venaient de rentrer dans la lumière du jour, le gros homme chauve de la veille était déjà sur son banc. Il lança une graine à l’écureuil. Ce dernier la contourna et alla en direction de l’homme. Il vint sur ses genoux et le fixa. Cinq minutes s’écoulèrent avant que le type prenne la bestiole dans ses mains. Il se leva et tint l’animal du bout des bras, puis, se perdit une nouvelle fois dans ses yeux. Réveille-toi pensait-il, Réveille toi. Dodelinant sur place, peu à peu ses mains se refermaient avec force. L’écureuil n’essayait point de se débattre, ni de résister. Arriva le moment où sa tête chavira en arrière. L’homme aussi.
  Vérum prit sa plus grande inspiration, ses yeux semblaient sortir de son corps. Il sauta de sa stèle et parti fissa en direction de la planque de Carcèré. Sur son passage cria Vive mon immortalité, et arracha les écrans de nombreux dormeurs. Il déboula dans le bureau d’en haut et vit l’homme de garde afféré derrière son bureau.
 - Encore toi ? Il daigna lever la tête.
 - Pourquoi me faire ça ? Pourquoi m’avoir tué ?
 - Attends un peu. Voilà, je suis à toi. Saches que je ne t’ai point tué, je t’ai seulement reconnecté. Et tu vas me faire le plaisir d’y retourner.

 - Débranchez les sur-le-champs. Nous n’avons pas à subir ses vies qui ne sont pas les nôtres. On peut utiliser notre immortalité à bon escient !
 - Calme toi. Je vais te dire. Cela fait déjà trop de temps que je suis éveillé, je m’ennuie. Si tu ne te reconnectes pas, tu vas comprendre la souffrance et la douleur d’une vie sans fin. À ton avis, pourquoi au bout d’une éternité nous avons construit ce complexe ? Le Daédale est la réponse, autant de stèle que de vies en jeu. Tous connectés, on peut enfin vivre les fins que l’on mérite. D’ailleurs, la prochaine, tu n'auras pas démérité. Et moi, me reconnecter.

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