Bris de vers

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  C’est quoi cette drogue ? Toutes ces couleurs, c’est magnifique. Elles n’ont que peu de goût, mais je ne peux m’empêcher de les manger. Cercles concentriques, chacun disposait d’une nuance et avançait par vague. Comme sur une plage où la mer monte, la première vague arrive puis repart pour se faire chevaucher par une seconde. C’était ce que voyait Vérum, c’était ce qu’il vivait. Il n’y avait rien d’autre. Le cercle de couleur restait à ses aller-retours s’il ne le mangeait pas, puis laissait sa place à un autre. Sans fin, je rampe. Je sais que je rampe. Je rampe dans le Daédale ? Idiot de Carcèré, tu aurais pu au moins alterner ma conscience. Il me faut trouver qui je suis pour m’en sortir.
  Les couleurs moins vive qu’au début, et les cercles plus fins, une nouvelle forme vint altérer le psychédélique paysage. Des montagnes descendantes venaient s’écraser dans un infini que Vérum ne semblait pas atteindre de visu, mais de toucher. La sensation que ces triangles noir et blanc étaient des pieds qui s’écrasaient sur la tête de celui qui les voit. Il n’y avait pourtant aucun son, seulement ces secousses sur le crâne. Où est ma tête ? Sourds, les poids qui tombaient devenaient de plus en plus lourds. Vérum se senti obligé de se rendre au plus près de ces chutes montagneuses. Il savait que pour cela il lui fallait manger toutes ces couleurs. Et plus il en ingurgiter et plus elles lui semblaient nombreuses, mais comme un automatisme, il continuait inlassablement son chemin.
  Les couleurs lui prenaient maintenant que l’arrière du corps, lui-même comprenait mal comment cela pouvait lui arriver. Il les voyait toujours mais devant lui point de montagne, seulement des arabesques folles et parfois même monstrueuses. Elles semblaient s’envoler et derrière elles laissaient une traînée dont les couleurs se faisaient suite. Un dégradé en mouvement qui se volatilisait lorsqu’une nouvelle forme venait à la percuter. Le reste ? Rien. Je me sens serré, étroit, je veux qu’on me relâche.
  Il était trop tard. Extirpé de ses cercles lumineux concentriques, Vérum était maintenant en proie aux arabesques sur tout son corps, sauf en son centre où une ligne semblait couper le tout. Une vitre transparente et sans couleur qui séparait deux mondes baignés d’un même liquide. Cette vitre se rapprocha d’une direction que Vérum ne put définir comme l’avant ou l’arrière, autant que cela aurait pu être un de ses côtés. Enfin atteinte, tout les mondes ne faisait plus qu’un.
  Cercles, arabesques, triangles, lignes, nuances. Tout se mélangeait et semblait former qu’un point. Un point qui n’était pas du décor mais qui venait de l’intérieur de Vérum. Trop de confusion pour qu’il puisse réagir. Ce point devint noir, un trou qui aspirait toutes autres formes disponibles. Grandissant, il avala, il engloutit le paysage et d’excentrique, ne resta que ce vide informe.
 - Il s’est enfin réveillé. C’est le moment de l’apporter au chef, on aura peut-être gagné notre reconnexion comme ça. C’est parti !
  Attrapé par les poignets, Vérum était traîné au sol par deux gardes. Dans la confusion, il leva la tête. Peu de gens étaient encore à leurs places, devant leurs écrans. Ceux qui y étaient semblaient convulser tandis que ceux qui étaient réveillés reprenaient ou echauffaient leurs esprits. Une bataille de cris et des coups se rouaient entre les stèles. L’agitation grandissait et elle ne semblait pas finir. Alors que le Daédale était éclairé de bleu, le sang qui recouvrait les pierres devenait noir de haine. Sur le chemin, des stèles étaient brisées en deux. Plus Vérum avançait vers le bureau de Carcèré, et plus les dégâts étaient important. Les taches de sang devenaient des flaques de boue, les longues stèles en simples cailloux, et les écrans de verres étaient à l’état de tessons.
  Les gardes ouvrèrent la porte menant à l’étage aussi rapidement qu’ils purent pour éviter aux émeutiers de rentrer dans la zone. Les genoux de Vérum frappèrent chaque marche avec une telle violence que ses jambes nues se mirent à saigner. Il se fit jeter à terre une fois l’escalier grimpé.
 -Te revoilà enfin ! C’est que tu y as passé du temps dans ta misérable vie que je t’ai gracieusement offerte. Première erreur de ma part, elle aurait dû durer plus longtemps encore. Seconde erreur, ne pas l’avoir fait dès la première fois. Reviens près de moi. Viens à la fenêtre te dis-je ! Tu vois ce que tu as semé ? Juste parce qu’un fou a couru entre des couloirs en réveillant ceux qui osaient rêver. Maintenant, ils s’arrachent et se détruisent. Heureusement que le Daédale est infini, car avec tout ce qui est brisé, il va me falloir trouver des emplacements pour ses dieux devenus fous. Ce qui m’étonne est que certains d’entre eux semblent t’avoir écouté. Ils pensent pouvoir vivre leur éternité sans tourments. Idiotie, l’absence de mort en est une à part entière !
  Mais tu es ici. Toi, le messie qu’ils attendront et que jamais ils n’auront. Toi, l’immortel qui s’est extrait de l’Ordalis sans mourir. Je t’ai eu en premier. Tant pis pour eux, tant mieux pour moi. Je pourrais mettre fin assez rapidement à ce vacarme, et me reconnecter bien assez tôt. Toi aussi d’ailleurs, et tu vas y retourner plus vite que je ne le peux. Je vais t’y envoyer maintenant, et pour te punir, je vais t’offrir une vie de trouble. Une vie d’un autre genre, une vie vide de sens et de sensation. Prépare-toi à plonger dans les abysses.

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