Al Hurrah

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La petite fille de sept ans était en train de jouer avec ses petites statuettes de bois, représentant divers têtes animales et sculptés avec perfection par son père lui-même, quand son maître de géographie et de navigation fit irruption dans le vaste hall du quartier ouest de la kasbah. Il était en retard et était donc arrivé haletant, escorté par des gardes qui le flanquaient de chaque côté.

L’homme, qui portait le nom commun de maître Omar, avait une maigre silhouette cachée sous sa lourde djellaba noire. Il était presque chauve, et n’avait pour cheveux que la petite couronne de poils naissant des deux côtés et à l’arrière de son crâne. Il s’empressa de s’asseoir et d’étaler le tas de parchemins qu’il tenait aux mains.

La géographie et la navigation étaient deux sujets qu’Al Hurrah tenait particulièrement à coeur. Elle aimait imaginer les lignes côtières et les océans, et comprendre par la suite leur importance stratégique et en quoi cela se traduisait en réalité. Malgré son jeune âge, Al Hurrah montrait cet intérêt particulier pour le savoir que ses parents ne tardaient pas à assouvir.

Elle n’était pas si différente des enfants de son âge, par contre. Elle aimait jouer, chanter et danser, avait un don particulier pour grimper les arbres et les murs et savait ficeler les meilleurs histoires pour ses soldats de bois et ses princesse en chiffons ou en paille.

  • Là était la ville de Tittawin, expliquait le maître en pointant du doigt son parchemin. Celui qui l’avait bâtie fut Baga, premier roi de la Maurétanie ancienne, et son nom premier était Tamuda. Tamuda n’était pas exactement là où les ruines de Tittawin se dressent aujourd’hui, mais aux limites de la ville qu’on connaît maintenant. Et donc le véritable fondateur de Tittawin était le mérinide Abu Thabit Amir, après qu’elle fut détruite des années plus tôt.

La voix de maître Omar se dissipa face au bruit que firent les portent de la large salle d’études, l’interrompant. Al Hurrah releva la tête de la carte qu’elle avait déjà mémorisée et vit sa mère qui avançait, la démarche fière, dans un tourbillon de jupes et de marmaille. Elle tenait de la main une petite fille qu’Al Hurrah reconnut immédiatement, de cinq ans son aînée, qui copiait maladroitement les pas de Lalla Zahra. Il s’agissait de Zainab, une cousine.

Al Hurrah ressentit presque instantanément son coeur se serrer. Elle grinça des dents, ses yeux fixant et suivant sa cousine. Depuis que cette dernière était arrivée il y a des jours, quelque chose avait radicalement changé. Elle n’arrivait pas à savoir ce que c’était, mais savait que Zainab en était l’instigatrice. C’était comme si, magiquement, elle n’était plus le centre d’intérêt de Chaouen, le petit bijou de la ville, la fleur que tous voulaient voir s’épanouir.

Ce fut pourquoi, quand Lalla Zahra annonça que Zainab rejoignait “l’école de l’Émir” comme l’appelait Moulay Ali, Al Hurrah sentit son coeur tomber quelque part au fond de son estomac. Elle eut donc du mal à se concentrer durant le reste de la leçon, et sentait ses dents claquer chaque fois que Zainab osait prononcer un mot ou donner une réponse.

Elle ne comprenait pas clairement d’où venait cette cousine qui, il y a seulement quelques jours, n’existait pas. L’arrivée de Zainab et sa famille s’était faite sous un silence total. Al Hurrah tenait ces propos de deux servantes qui en bavardaient insoucieusement en lui donnant son bain.

  • Apparemment, ils étaient quatre, arrivés en charrette droit par le chemin de Sebta, et étaient parents direct de Moulay Ali, racontait la première. Le patriarche, un homme pas plus vieux que Moulay, était en fait son cousin, le cousin de l’Émir.

L’autre servante laissa échapper un petit cri de surprise, mais n’essaya aucunement d’interrompre le récit.

  • Ce fut un garde qui porta la nouvelle jusqu’à Moulay Ali, qui méditait en ces temps quelque part dans la montagne, comme il le fait beaucoup ces derniers temps.

La servante semblait oublier que la fille même de l’Émir entendait clairement ses dires, et qu’elle était entièrement capable de comprendre même ses plus petits sous-entendus. Al Hurrah dupait par ses traits innocents et ses yeux douillets, et les deux servantes ne faisait pas l’exception.

  • Aderfi, le garde, me raconte que Moulay Ali a reconnu son cousin dès le premier regard, et qu’ils se sont étreint pendant un long moment. Moulay Ali en avait apparemment la larme à l’oeil !

Dès sa première journée à Chaouen, Zainab détint l’attention de tout le monde. Les fils et filles des hauts fonctionnaires, qui habitaient presque tous à l’intérieur des murs de la kasbah, à l’opposé du reste de la population, la bombardaient de questions. À quoi ressemblent Grenade et les terres outre-mer ? A-t-elle déjà vu des cadavres, du sang, du vrai sang ? Les chrétiens étaient-ils aussi barbaresques qu’on le racontait ? Zainab se réjouissait clairement du spectacle, et veillait à répondre à chacune des questions en n’oubliant aucun détail. Des fois, elle ajoutait même un ou deux mensonges pour glorifier encore plus ses histoires.

Et, comme pour éparpiller du sel sur les lèvres sanguines d’une plaie, Zainab était aussi plus âgé qu’Al Hurrah. De cinq ans son aînée, et bien qu’elle aussi encore très jeune, elle était plus proche de voir ses formes se tracer vers le chemin de sa féminité qu’Al Hurrah ne le serait jamais.

Ce fut donc au milieu de cette rage interne qui bouillait en elle que la leçon s’arrêta. Avant de quitter la salle, le maître Omar inspecta Al Hurrah d’un regard curieux, haussant un sourcil.

  • Malade ?

La jeune fille ignora la question du maître et, avec cette vivacité propre aux enfants, haussa les épaules et quitta la salle, tirant une de ses poupées par la main. Otage de ses propres pensées, Al Hurrah trouva un banc au milieu du vaste jardin de la kasbah, qui donnait directement sur les gigantesques montagnes qui entouraient la ville, et s’y installa.

Les jardins de la kasbah étaient la petite invention ingénieuse de Lalla Zahra qui, dans une tentative de recréer les senteurs de son enfance, veilla à leur création et l’entretien échéant. On trouvait des fleurs venant de l’eurasie comme du moyen-orient, et une multitude de fruits saisonniers qu’on entretenait avec une immense attention. C’est ici que la maîtresse des domaines venait étaler ses réflexions et prier que Dieu la guidât. Une habitude dont sa fille, Al Hurrah, avait donc hérité.

Le banc qu’Al Hurrah choisit était planté sous l’ombre d’un arbre large. Des brises de vents venaient d’à droite et d’à gauche, jouant dans ses cheveux noirs. L’angoisse la tiraillait de toutes parts. Pour une enfant de sept ans, elle avait les expressions faciales d’une quarantenaire gagnée par l’âge. Pourtant, dans sa tête, Al Hurrah avait raison de s’inquiéter, et même de se méfier de la nouvelle venue, Zainab.

Cela dit, même à sept ans, Al Hurrah ne comprenait que parfaitement le rôle qu’elle allait devoir jouer, on ne cessait de le lui répéter depuis qu’elle eut prononcé son premier mot. Son père ne manquait aucune chance de rappeler à ses enfants, Moulay Ibrahim et Al Hurrah, que le premier allait hériter de son titre et ses responsabilités, et que la deuxième se devait d’amplifier le pouvoir de sa famille par une forte alliance. Pourtant, et depuis que son père prononça ces mots pour la première fois, Al Hurrah décida qu’elle n’avait que faire d’une alliance et que c’était Chaouen et son titre qu’elle voulait. Et, de surcroît et même à sept ans, elle comprenait aussi qu’elle ne faisait que rêvasser d’un futur aussi improbable que les contes que sa mère lui racontait.

C’était donc dans cette amertume qu’Al Hurrah avait grandi, courant derrière un trésor flou et fantomatique. Et donc, quand Zainab arriva il y a sept jours et commença, impitoyablement, à lui voler le seul titre qu’il lui restait, celui de la fille unique des Beni Rachid et le bijou de Chaouen, elle ne put qu’exprimer une exaspération totale face au monde et ne trouva d’autre solution que de s’isoler avec sa poupée, ici aux jardins de la kasbah.

Elle tint sa poupée en chiffons, qui portait maladroitement le nom de Fatima, par les deux bouts censés représenter des bras, et la fit se tenir debout sur ses genoux. Al Hurrah regarda pendant un moment sa poupée, comme s’attendant à ce que cette dernière prenne soudainement vie et parle. Comme prise d’un quelconque démon, elle jeta la poupée qui alla voler quelques mètres à sa droite avant de retomber pathétiquement au pied d’un rosier. Al Hurrah s’allongea sur le banc. Elle se perdit dans ses pensées, admirant la beauté avec laquelle les branches des arbres se mêlaient au ciel, créant un magnifique tableau d’ombres et de lumières. Les nuages, blancs et épais, dessinaient un millier de détails et nourrissaient l’imagination. Soudain, la tête de Fatima, sa poupée, fit une entrée dramatique dans son champ de vision et jeta une large ombre sur son visage. Al Hurrah sauta dans sa place et se releva, apeurée. Quelque part derrière elle, un rire cristallin éclata.

  • Mère ? s’exclama Al Hurrah.

Lalla Zahra vint s’asseoir à côté de sa fille, tenant la poupée entre ses mains. Elle passa son bras autour d’Al Hurrah et l’approcha d’elle. Personne ne comptait plus aux yeux de la petite fille que sa mère. Elle était son bouclier contre tous les maux de cette terre, elle se confiait en elle et trouvait refuge dans ses paroles. Pour Lalla Zahra, sa fille était son plus cher trésor. Elle voyait en elle la continuation de ce qu’elle était, le réceptacle de tous ses rêves et ambitions inavoués.

  • Ma fille chérie, qu’est-ce qui t’attriste ?

Incrédule, Al Hurrah regarda sa mère et ne put que penser, pour un instant, qu’elle avait un flair pour le dramatique. Al Hurrah était aussi certaine que sa mère savait tout de ses petites angoisses d’enfant. En effet, il n’y avait rien qui se tramait entre les murs de la kasbah sans que la mère, d’une façon ou d’une autre, n’en soit notifiée. Elle ne répondit donc pas, et se contenta de regarder sa mère droit dans les yeux.

Assise ainsi, à côté de sa fille, leurs regards qui se croisaient, Lalla Zahra ne put s’empêcher de penser que les traits de sa fille lui donnait réellement un visage bien plus âgé qu’elle ne l’était. La réflexion la déstabilisa pour un instant, comme si elle ne reconnaissait plus sa fille ou que la mère était la cause de supplices que la fille ne pouvait survivre. Cette réflexion ne lui était effectivement pas étrange, et lui revenait souvent quand sa fille lui demandait d’une voix se voulant innocente pourquoi Moulay Ibrahim héritait de tout et elle de rien. Le simple fait que son enfant de sept ans parvenait à pousser la réflexion jusque là était suffisant pour que Lalla Zahra s’inquiète.

Pourtant, c’est aussi en ces moments-là que naissait une autre réflexion aussi forte et imposante que la première. Le fait, toujours simple, que sa fille se permettait de telles pensées à son âge, était preuve ultime de son immense ambition et son futur glorieux. Cette réflexion s’est faite imposée encore plus après son petit entretien avec Moulay Ali ce matin-là. Elle était plus convaincue que jamais que que le rôle que sa fille jouerait serait aussi important que celui de son frère. Mais elle ne pouvait se donner le plaisir d’exprimer la chose ainsi, Al Hurrah allait devoir se la conclure elle-même au fil des ans qui venaient.

En quoi se cernait exactement ce rôle, elle n’en savait rien du tout. Lalla Zahra restait tout de même convaincue que le prénommé Al Mandari serait l’instigateur d’une ère nouvelle, elle pria Dieu de lui octroyer longue vie pour qu’elle puisse y assister. Elle se dit, pendant un instant, qu’elle devrait peut-être contacter l’Imam Hamza, pour faire usage de la divinatrice de sa tribu. La femme, à laquelle Lalla Zahra devait deux prophéties s’étant réellement réalisées, était connue pour son don dans les tribus des Ghomaras et ailleurs. La divinatrice saurait sûrement la guider dans son choix, et veiller à ce qu’elle prenne la meilleure des décisions.

  • Laisse-moi deviner, petite. C’est Zainab qui t’angoisse autant.

Pendant tout ce temps-là, le sourire n’avait point quitté les lèvres de Lalla Zahra. Al Hurrah hocha la tête en signe d’approbation. Bien qu’elle aimerait ne jamais admettre cette émotion qui bouillonnait au fond d’elle, elle savait que sa mère comprendrait.

  • Écoute-moi bien, ma fille. La jalousie est un calvaire pour le corps, un tourment pour l’âme, et un crève-coeur pour toutes les femmes, depuis l’aube du temps. Ressasser ces pensées qui te torturent ne mènera à rien du tout. Le plus important est ce que tu décides d’en faire, maintenant qu’elles sont là !

Al Hurrah se dit que sa mère avait toujours eu ce don-là, panser les blessures de l’âme avec des mots doux. C’était peut-être une des choses qui la poussaient à se confier en elle. Sa capacité à pousser ses interlocuteurs à penser à ce qui importe vraiment aida Al Hurrah à se débarrasser de toute cette énergie négative qui l’entourait depuis ce matin. Elle devait, comme sa mère le disait il y a une minute, se concentrer sur ce qu’elle pouvait plutôt en faire.

La réponse ne tarda pas à lui venir quelques instants plus tard, comme un signe divin qui marquait le début de ses aventures. Du banc sur lequel elles étaient assises, Al Hurrah et sa mère regardèrent des dizaines d’hommes de la tribu se préparer pour une nouvelle sortie. Une razzia peut-être ? Ils engainaient leurs épées dans leurs fourreaux où les matraquaient sauvagement contre leurs boucliers de bois.

Al Hurrah, extrêmement curieuse, se tint au bout du jardin, marqué par un muret, afin de mieux suivre la scène. Elle aimait regarder les hommes se préparer pour leurs razzias, et elle s’imaginait souvent à leur tête, une épée à la main, les guidant vers la victoire. Seulement, à la tête des hommes se tenaient deux vieux hommes. Elle reconnut le premier comme étant son père, Moulay Ali, et le deuxième comme était l’invité de Chaouen, l’homme mystérieux. Un peu plus loin, dans le coin, son frère Moulay Ibrahim était en train de parler au père de Zainab et le cousin de Moulay Ali, Hassan.

Elle était trop loin pour entendre ce qui se disait, et sa curiosité fut étouffée par cette frustration qu’elle ne connaissait que très bien. Voir encore une fois son frère au centre de l’action la mettait dans tous ses états. Pour un instant, elle se permit inconsciemment d’agir comme ferait un enfant normal et, sentant des larmes chaudes lui couler au long des joues, elle accourut vers sa mère et se cacha dans les pans de sa robe.

  • Mère, pourquoi suis-je née dans le corps d’une fille ?

La question désamorça Lalla Zahra qui, sans en montrer rien, souleva sa fille et la posa sur ses jambes. D’un bout de chiffon, elle lui essuya les larmes avant de lui caresser tendrement les tempes et les cheveux. Elle prit ensuite les mains de la petite dans la sienne, et les joignit sur ses cuisses en posant doucement son menton sur l’épaule d’Al Hurrah.

  • Ma fille chérie, regarde bien les hommes qui s’attroupent ici bas, lui dit-elle en pointant du doigt les soldats de Moulay Ali. Sais-tu pourquoi ils se préparent à quitter leurs femmes et leurs enfants ?

Al Hurrah fit non de la tête. Elle trouvait la question étrange, mais ne releva pas le point. Ses yeux fixaient les hommes, alors que la respiration calme de sa mère se faisait entendre au fond de ses oreilles. Lalla Zahra feignit la surprise et continua son récit.

  • Laisse-moi te raconter donc une petite histoire, une histoire qui s’écrit maintenant même, une histoire du temps, dit Lalla Zahra d’un ton dramatique.
  • Une histoire du temps ? répondit Al Hurrah, clairement amusée.
  • Oui, ma petite, une histoire du temps, l’Histoire. Vois-tu, ces hommes-là sont tous ici pour toi, pour te servir, toi seule.

Al Hurrah releva cette fois sa tête et la tourna vers sa mère, la regardant du coin de l’oeil. Ce que sa mère était en train de dire ne voulait absolument rien dire. Ces hommes étaient ici pour une razzia, encore une nouvelle razzia, il n’avait aucune autre raison de se préparer ainsi et quitter la ville.

  • Allons allons, où est ta patience ? demanda sa mère en souriant. Tu vois l’homme sur l’étalon noir, à côté de ton père. Il nous est venu hier avec une étrange proposition, une proposition qu’on ne pouvait prévoir.

La curiosité d’Al Hurrah était à son summum. Elle se redressa pour être plus confortable sur les genoux de sa mère, attendant impatiemment la suite.

  • Il nous a demandé des hommes, beaucoup d’hommes, pour rebâtir la ville en ruines au sud de Sebta et s’y nommer prince.
  • Tittawin ? demanda Al Hurrah, fière de faire preuve de sa forte mémoire.
  • Oui, Tittawin. Mais là n’est pas le problème, il a demandé autre chose ?
  • Quoi ?
  • Ta main.

Lalla Zahra se tut pendant un instant, donnant à sa fille la chance de protester ou de dire quoique ce soit. Mais elle n’en fit rien, elle attendit la suite. Ce fut ici la deuxième fois ce jour-là que Lalla Zahra se dit que sa fille était plus vieille pour son âge, et qu’elle voyait le monde, peut-être, différemment des autres : Al Hurrah ne protestait pas, mais demandait par son silence à être convaincue. Elle savait et comprenait parfaitement que sa mère ne pouvait point lui annoncer cette nouvelle sans qu’il y ait quelque chose de majeur à gagner pour la fille. L’homme, quand-même, avait presque l’âge de son père. Voyant qu’Al Hurrah ne disait rien, Lalla Zahra continua.

  • Cet homme-là, Al Mandari qu’il s’appelle, sera gouverneur de Tittawin au nom de ton père, quand la ville sera rebâtie et fortifiée. Dans huit ans, tu iras à Tittawin en femme libre, forte et éduquée, pour veiller à ce que la volonté de Moulay Ali soit assouvie à Tittawin. Comprends-tu ce que je suis en train de t’expliquer, ma fille ?

Al Hurrah comprenait ce que disait sa mère. Elle s’imaginait déjà entrant à Tittawin sur un étalon blanc, du haut de ses seize ans, des esclaves lui faisant le tour de la ville puis la guidant vers ses quartiers. Une personne, par contre, manquait à cette rêverie qu’elle se faisait : Al Mandari. L’homme était au moins de trente ans son aîné, mais Al Hurrah ne cessait de se répéter que c’était un prix très moindre à payer pour gouverner Tittawin. Tittawin était le futur, le nouveau monde, et elle venait de s’y acheter une place.

D’une autre part, c’est d’une immense fierté qu’elle se voyait submergée. L’idée naquit d’abord quelque part dans sa tête, puis voyagea à travers son corps en la faisant chavirer. Moulay Ali, son père, lui faisait encore plus confiance qu’elle ne le pensait, et voyait peut-être en elle ce qu’elle-même ne voyait pas. L’idée l’exaltait, la rendait plus forte et venait guérir les blessures qu’avaient laissées les événements de la matinée.

Ce fut Lalla Zahra qui romput le silence qui avait plané sur les deux âmes. Elle reposa sa fille à terre et la fit retourner pour lui faire face.

  • Me promets-tu de garder ceci un secret ?

Al Hurrah approba de la tête, et se promis de n’en parler à personne. Cependant, quelques jours plus tard, une semaine après que les hommes n'aient quitté Chaouen pour Tittawin, un messager arriva en urgence et monta voir Moulay Ali. Les nouvelles du messager se propagèrent rapidement dans la ville, et atteignirent bientôt Al Hurrah qui, en ce temps-là, tenait un livre entre les mains dans le hall des quartiers ouest. En face d’elle, Zainab se faisait peigner les cheveux par une servante. Ce fut une amie à cette dernière qui apporta les nouvelles, ajoutant que les Beni Houzmar, hommes des Jbalas, avaient organisé une attaque sur Al Mandari et les soldats que l’émir avait envoyé pour le servir, et que les travaux s’en trouvaient en halte. Al Hurrah sentit son coeur se serrer.

Al Hurrah croisa brièvement le regard de Zainab et, pour un moment, fut presque sûr d’y détecter le semblant d’un sourire moqueur chargé de pitié. Zainab savait !

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