QMP#16 — Cascade

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Le choc entre sa voiture et le poids lourd est si violent que Ricky ne peut empêcher l’embardée qui le précipite hors de la route. Les deux pieds sur le frein, il serre des dents. Le bas-côté, composé d’une terre asséchée et de cailloux pointus, met à mal la petite citadine qui dérape, incontrôlable, jusqu’à se trouver à la perpendiculaire de sa trajectoire. Ricky hurle, seul dans l’habitacle, les poings vissés au volant, tandis que l’inévitable force centrifuge du tonneau amorcé le soulève de son siège. Avant que sa vie ne bascule, littéralement, il jette un dernier coup d’œil dans le rétroviseur. Il discerne — la vision est fugace et horriblement floue —, dans la cabine du trente-huit tonnes étincelant sous le soleil de Californie, le large sourire satisfait de Lambert, son pire ennemi.

Ricky a toujours pensé qu’il s’agissait d’un cliché grotesque et pourtant, au moment où le toit du véhicule heurte le sol poussiéreux pour la première fois, le temps semble considérablement ralentir. Il voit distinctement le pare-brise se fissurer graduellement puis voler en éclats, le capot se froisser tel un morceau de papier. Son briquet Zippo ainsi que la carte de visite de Natasha — qu’il a oublié de rappeler — passent devant ses yeux en tournoyant. Il s’imagine en apesanteur dans une navette spatiale à la dérive, comme les héros de bandes dessinées de son enfance, avant que le rideau ne tombe, irrévocablement.

À son réveil, Ricky avale une grande goulée d’air puis pousse un hurlement ; son corps entier irradie une douleur insupportable. Haletant, il reprend peu à peu ses esprits. Les muscles de ses bras sont contractés, ses mains serrées tiennent fermement quelque chose. La lumière intense du Soleil lui brûle les yeux, mais une image mentale se forme petit à petit : il est cramponné à une corde suspendue au-dessus du vide. Son instinct de survie l’a sauvé d’un plongeon mortel. Son véhicule s’est écrasé plusieurs dizaines de mètres plus bas, en proie aux flammes, après avoir terminé sa course dans un ravin.

Son corps est probablement en charpie — côtes cassées, un ou deux organes perforés, les jambes fracturées. Ses mains ne tiennent certainement pas une corde — peut-être un lierre grimpant agrippé à la paroi rocheuse, plus vraisemblablement les racines desséchées d’un acacia penché sur le désert. Mais Ricky est vivant, et sa rage ne cesse de croître. Dès qu’il en aura la force, il se hissera en sécurité du mortel dévers. Puis, d’une façon ou d’une autre, et peu importe le temps que cela prendra, il retrouvera Lambert.

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