Il entre en scène d’un pas décidé, les sourcils froncés et la moustache frémissante, par une porte qu’il claque à en faire trembler tout le décor. Vêtu d’un costume noir et d’un chapeau au large bord, il attend, le menton haut et un petit sourire en coin, que la salve d’applaudissements cesse avant de déclamer :

— Ludmila, où est ma femme ?

La soubrette, plantée au milieu du salon factice, ramène son plumeau rose contre sa poitrine menue.

— Je ne sais pas, Monsieur. Partie cueillir des fleurs ?

Le public, qui n’est pas dupe du sous-entendu, rit de bon cœur. Le mari cocu — la traîtrise a été révélée dans l’acte précédent — marche jusqu’à la cheminée qui flambe de papiers crépons, pose la main sur son manteau en polystyrène.

— Des fleurs ? Au mois de février ?

— Des tulipes d’hiver, Monsieur ?

— Allons donc, Ludmila ! Je suis peut-être bête, mais je ne suis pas idiot ! Dites-moi tout de suite où se cache ma femme ! (L’homme lève les poings et se tourne vers l’audience amusée.) Pensez-vous que j’ignore sa relation avec le tsar et qu’en ce moment même, dans ma propre demeure, elle lui tripote la couronne ?

— Monsieur ! s’écrit la soubrette qui exprime de tout son corps un air indigné, déclenchant de nouvelles hilarités.

— Ah ah ! vous avouez !

— Mais pas du tout ! couine la pauvrette qui se précipite à petits pas devant la porte de l’autre côté de la scène. Aussitôt, le mari furieux fond sur elle, l’attrape par les épaules et la secoue comme un prunier.

— Je ne ferai pas preuve de lâcheté, pas cette fois ! Il en va de mon honneur, Ludmila ! Laissez-moi ouvrir cette porte afin de la surprendre la main dans le sac !

Un homme dans la salle pousse un rire gras et sonore.

— Je vous en supplie, Monsieur ! Le tsar vous fera couper la tête !

— C’est ce que nous allons voir !

Le mari cocu bouscule la soubrette qui se jette au sol dans un cri dramatique, saisi la poignée qu’il actionne brutalement et disparaît sous un tonnerre d’applaudissements.