À l’ombre de sa masure, les mains sur les hanches, Dame Bénigne regarde d’un œil morne le terrain asséché par l’été, mais largement abreuvé du massacre de la nuit. Ce jardin qui la veille encore accueillait bourrache, chèvrefeuille et bleuet, est un fatras de tentures déchirées, de caisses brisées, de montures éventrées et d’hommes disloqués. Au bord du chemin, un cheval est couché sur le flanc, les pattes raides comme des pieux. Ses intestins chargés de mouches dessinent sur l’herbe fanée un canevas poisseux. À son côté, un soldat s’est vidé de son sang, le casque enfoncé dans son crâne. À l’autre bout de la tuerie, à la lisière du bois, une charrette délivre une fumée noire qui brouille de ses rondeurs le ciel clair du matin.

La vieille femme soupire. La traversée de ce champ de misère, afin de jeter quelques poignées de sel sur le feu pour éviter qu’il ne se propage aux taillis proches, réveillera sans doute ses douleurs lombaires.

— Quelle idée de venir faire la guerre devant mon huis, maugrée-t-elle avant de cracher par terre. Pas que ça à faire, moi, de nettoyer le lisier des porcs.