Chapitre 3 - La Grosse Pomme (2)

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Vendredi 16 juillet 1965, New York, NY

Frédéric regarda le voucher qu’il tenait à la main, puis l’enseigne à côté de l’entrée, et dit :

— Non, nous sommes au bon endroit : West Side YMCA.

— Excusez-moi, fit l’homme, avec un tel véhicule je pensais que vous étiez riches.

— Nous aurions effectivement les moyens de nous offrir un hôtel plus luxueux, c’est une lubie de mon ami d’avoir choisi cette auberge.

— Il est jeune chrétien ?

— Non.

— Vous êtes européens ?

— Oui, nous sommes suisses.

— Alors, on va se revoir tout à l’heure, je pense que nous serons dans la même chambre. Tu pourras m’expliquer quelle lubie a eu ton ami.

Ils entrèrent dans l’auberge, Séverin avait pris les bagages d’Urbain qui allait garer le minibus dans un parking. En attendant leur tour à la réception, Koen demanda à Frédéric :

— Il parlait français ?

— Oui, pourquoi ?

— Je n’ai rien compris.

— Ce sont des Québécois, j’avais aussi un peu de peine à le suivre, à cause de son accent.

— Et que t’a-t-il dit ?

— Que tu avais eu une drôle d’idée de nous faire dormir ici.

Le comptoir se libéra et Frédéric enregistra le groupe, procédure compliquée qui nécessita beaucoup de paperasse et la vérification minutieuse du voucher par le manager on duty, jeune homme mince et plutôt séduisant malgré son costume strict, contrastant avec le col ouvert et la cravate desserrée du réceptionniste.

Ils prirent ensuite l’ascenseur jusqu’au quatrième étage, retrouvant les deux Québécois dans la chambre. Celle-ci avait un petit réduit fermé à clef à l’entrée pour y déposer les bagages ; un lavabo ; une seconde porte et huit lits, quatre de chaque côté ; une fenêtre au fond. Il n’y avait ni douche, ni toilettes.

— Bienvenue à New York ! dit l’homme qui avait parlé à Frédéric, on nous avait prévenus que nous ne serions pas seuls. Le vol a été bon ?

— Nous sommes arrivés sur le paquebot France, dit Dominique, les cabines de première sont bien plus confortables que cette chambre.

— J’avais raison, vous devez être pleins aux as. Alors, pourquoi cette auberge ?

— J’ose à peine vous le dire, il parait qu’il y a une piscine dans laquelle on se baigne nu.

— C’est exact, mais c’est réservé aux hommes, ce n’est pas ici que vous trouverez une blonde.

— Le français n’est pas la langue maternelle de Koen, expliqua Frédéric, il a un peu de peine à vous comprendre, je vais donc traduire. Koen, ils désireraient savoir pourquoi tu tenais absolument à visiter cette piscine.

— Volontiers, dit celui-ci, je suis journaliste, amateur je le précise, ces piscines naturistes vont bientôt disparaître. Je voulais faire un reportage.

— Il faudra demander l’autorisation, je pense, dit l’autre Canadien. Quel journal peut bien s’intéresser à ce sujet assez particulier ?

— Un journal destiné aux homosexuels.

Koen avait une fois de plus mis les pieds dans le plat en révélant leur orientation sexuelle, c’est d’ailleurs pour cela que Frédéric lui avait cédé la parole.

— OK, je comprends. Six hommes sans une seule femme, je m’en serais douté.

— Dominique est une femme trans, continua Koen, elle met parfois des habits féminins.

— Décidément, vous êtes bizarres les Suisses, traverser l’Atlantique pour mater des hommes nus… Il est vrai que l’YMCA a souvent été un point de rencontre pour les homosexuels.

— Nous ne venons pas que pour cela, dit Daniel, nous restons plusieurs semaines en Amérique et nous allons traverser tout le continent.

— Allez à la piscine vers 3 heures l’après-midi, c’est à ce moment-là que les étudiants d’un camp de vacances viennent apprendre à nager, une partie du bassin leur est réservée.

— Nous nous sommes baignés hier à ce moment-là, fit l’autre Québécois en riant, cela valait le détour, il semble que nous ayons certains… points communs. Quelle impolitesse, nous ne nous somme pas présentés. Je m’appelle Alexis.

— Et moi Robert. Nous sommes cheminots sur la ligne Montréal/Deux Montagnes, je suis conducteur et mon ami est contrôleur.

Les Suisses se présentèrent également et ils se serrèrent la main.

— Vous venez manger un morceau avec nous ? demanda ensuite Alexis.

— Volontiers, dit Dom, que nous proposez-vous ?

— Vous devez être gavés de foie gras et de langoustines, que diriez-vous de restauration rapide ? Vous avez le choix : McDonald’s, Burger King, Kentucky Fried Chicken, Pizza Hut.

Dom proposa le KFC et les autres acquiescèrent. Ils attendirent le retour d’Urbain puis marchèrent une quinzaine de minutes jusqu’au restaurant le plus proche, les yeux rivés vers le ciel, impressionnés par les buildings qui les écrasaient. Séverin photographiait sans répit les immeubles les plus intéressants du point de vue architectural.

— Tu as pris assez de pellicule ? lui demanda Daniel.

— Pas de souci, j’en rachèterai, nous sommes dans la patrie de Kodak.

Au KFC, Alexis les aida à faire leur choix parmi les multiples menus et il se retrouvèrent chacun avec un plateau couvert de portions XXL de frites et de poulet, ainsi qu’un gobelet rempli de glace et de Pepsi. Ils prirent ensuite des cookies pour le dessert.

— C’est mal parti, dit Dom. Combien de kilos en plus au retour ?

— Ici vous n’aurez que des livres en plus. Ils veulent introduire le système métrique chez nous, mais ça prendra des années pour s’habituer.

— Et pour les longueurs ? demanda Koen qui s’habituait à l’accent québécois.

— Des pouces, des pieds.

— 16 cm, ça fait combien de pouces ?

Daniel sortit son guide touristique, regarda la table de conversion et calcula :

— Un pouce fait 2,54 cm ; 16 cm c’est un peu plus de 6 pouces.

— C’est la longueur de ta bizoune ? demanda Robert.

— Je ne connais pas ce mot, mais, si je devine, la mienne fait entre 6 et 7 pouces, et les vôtres ?

Les deux Canadiens éclatèrent de rire.

— Au temps pour moi, j’ai été trop curieux. Je ne vais pas te dire maintenant. On jouera au docteur pour comparer.

— Excellente idée, c’est ma vocation.

— Vous venez aussi au Québec durant votre périple ? demanda Alexis.

— Nous avons des visas, dit Frédéric, mais nous n’avons pas encore établi l’itinéraire.

— On vous laissera notre adresse et notre téléphone, n’hésitez pas à nous contacter. On vous fera visiter la région.

— On pourrait même déjà fixer une date, dit Robert, cela permettra éventuellement de modifier nos horaires de travail pour vous accueillir.

— C’est très sympathique de votre part, nous nous connaissons à peine.

— Nous avons quelques jours pour faire connaissance, il semble que Koen a très envie d’en savoir plus sur une certaine partie de notre anatomie.

Ils firent ensuite une promenade digestive dans Central Park, le temps était beau, pas trop chaud. Koen était impatient de rentrer à l’auberge pour comparer.

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