Douloureux souvenirs

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 En cette soirée du 30 octobre 1944, personne n’échappait à cette voix pleine de haine et de fureur. Les radios diffusaient dans toutes les maisons la parole du chef d’État que tout bon citoyen devait écouter au risque d'être soupçonné de trahison envers le parti au pouvoir. Même si les nazis n'avaient pas foulé de leurs bottes conquérantes le sol britannique, un discours agressif à l'égard des Juifs et des communistes se faisait entendre dans tout le Royaume-Uni. Depuis les studios londoniens de la BBC, Oswald Mosley exprimait sa vision d'un Empire britannique régnant sur une grande partie du monde aux côtés des alliés allemands, japonais et italiens. Fatiguée par cette propagande, une fille âgée de quinze ans coupa la radio pour n’entendre que la forte pluie tapant sur la fenêtre. Demeurée seule dans sa modeste maison de Newington, à Édimbourg, elle attendait sa grande sœur qui n’était toujours pas rentrée du boulot. Elle se dirigea vers la cuisine et s’arrêta devant la cheminée pour contempler une photo datant d’avant la guerre.

 C’était l’unique souvenir du dernier voyage dans les Highlands où la famille Mac Brid était encore au complet et heureuse. Sur la photo, l’adolescente se voyait enfant avec sa sœur, ses parents et grands-parents, les hommes portant le kilt traditionnel, désormais interdit. Aigneas se souvenait de cette belle époque avant que la guerre ne la prive, elle et sa sœur, de ses parents. Leur mère avait été l’une des premières victimes de guerre en embarquant à bord de l’un des premiers cargos torpillés par les sous-marins allemands. Le père était parti combattre les nazis en France avec le 7e bataillon du Régiment Royal Écossais et était mort lors d’un raid de la Luftwaffe, laissant ses deux filles orphelines. L’adolescente fut tirée de ses pensées nostalgiques par le bruit d’une porte ouverte. Une jeune femme de plus de vingt ans entra, habillée d’un uniforme féminin brun avec jupe et portant une mallette qu’elle déposa au sol. Sur chaque manche était cousu un écusson rond de couleur bleu entouré d’un trait blanc et traversé par un éclair de la même couleur.

 — Je suppose que tu es encore allée au pub avec tes collègues fascistes, bougonna Aigneas à l’égard de sa sœur.

 — Tu sais pourtant que ce n’est pas de gaieté de cœur que je me suis engagée comme auxiliaire au château, dit Alea, depuis le départ de nos parents, il a tout de même fallu que je trouve un emploi pour vivre décemment !

 — Oui mais tu aurais pu trouver autre chose qu’un job de secrétaire au siège écossais du parti! Comme par exemple, serveuse dans le pub de ton fiancé Fergus !

 — Si je devais travailler avec celui que tu crois être mon fiancé, nous n’aurions pas assez pour vivre et tu devrais aller travailler aussi alors que tu dois encore aller à l’école !

 — J’aurais encore préféré travailler à l’usine au lieu de chantonner en classe à la gloire du premier ministre !

 — Laisse-moi deviner… Tu as encore reçu des coups de matraque pour t’être montrée indisciplinée en classe!

 — Oui, je l’admets! Car tout ce qui est déballé en cours n’est rien d’autre que la propagande de ce pouvoir illégitime !

 — Ne le crie pas si fort, Aigneas! Quelqu’un pourrait nous entendre et nous dénoncer !

 — Quand je pense que depuis cette Nuit des Éclairs, même nos plus proches voisins sont susceptibles de nous vendre aux Stewards de Mosley !

 Elle faisait référence à la nuit du 7 au 8 mai 1940, lors de laquelle le leader fasciste britannique Oswald Mosley avait réussi son putsch, avec le soutien d'espions nazis. Avec une poignée de ses partisans, il s’empara du Parlement, de Scotland Yard et du 10 Downing Street, forçant le Premier ministre Neville Chamberlain à démissionner en sa faveur. Cependant le roi George VI réussit à s'enfuir et à quitter le Royaume-Uni avec sa famille et ses plus fidèles collaborateurs. Afin de maintenir l'institution monarchique, le fondateur du British Union of Fascists fit revenir d'exil le duc de Windsor Edward qui avait abdiqué en 1936 en faveur de son frère George. Avec un roi faible qu’il pouvait manipuler, le Premier ministre Oswald Mosley était à présent le maître incontesté de l'Empire britannique et de ses millions de sujets sur lesquels il exerçait une autorité de fer. Peinée de voir sa petite sœur ainsi en colère, Alea voulut la prendre dans ses bras pour la consoler, mais cette dernière se précipita dans la cuisine sans dire un mot.

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