Pardon Maman

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(De dernière minute, même remarque que semaine précédente...)



« Il était une fois une petite fille qui vivait dans une utopie. Comme toutes les petites filles, elle était blonde aux yeux bleus, avait un QI de 100, de bonnes notes à l’école, des amies par palettes. Tout le monde l’aimait et elle aimait tout le monde. Elle s’appelait Emily.

- Emily ?! Comme moi !

- Oui, Emily, comme toi.

- C’est marrant !

- Cesse de m’interrompre, veux-tu ?

- Pardon Maman.

- Un jour, sa maîtresse lui a appris que l’espèce humaine était devenue stérile à cause des ondes et des pesticides. Alors, Emily a demandé à ses parents : comment on fait les bébés ?

- Mais… c’est pas une histoire ça, Maman, c’est ce qui est arrivée la semaine dernière.

- Laisse-moi poursuivre, tu veux ?

- Pardon Maman.

- Ces parents lui ont répondu que les bébés naissent dans des boîtes. Des boîtes roses pour les filles. Des boîtes bleues pour les garçons. Emily a demandé à voir les boîtes et ses parents lui ont montré le site internet de l’usine d’enfants. Mais c’est plus compliqué que ça…

- Compliqué comment ?

- Tu es trop curieuse Emily. Tu poseras des questions quand l’histoire sera terminée, tu veux ?

- Oui. Pardon Maman.

- Avant de poursuivre, sache qu’il n’y a qu’une chose à savoir : depuis que les enfants naissent dans des boîtes, le monde va beaucoup mieux. Adieu le terrorisme, la guerre, les SDF. Tout le monde a un travail. L’économie se porte comme un charme. C’est pour ça que l’occident est devenu une utopie. Tout ce qui semble ne pas aller dans le sens commun doit être signalé. D’où la présence d’un agent de police dans chaque rue…

- …

- Pas plus tard qu’hier, l’agent qui surveillait la rue des parents d’Emily est venu les voir.

- …

- Très inquiets, ces derniers pensèrent qu’il était arrivé quelque chose de terrible dans le voisinage… ou à leur petite fille chérie. Impossible pour eux de concevoir une telle chose. Ce fut difficile pour eux de commander Emily, à l’époque… Un vrai parcours du combattant ! Son père avait des antécédents de familles plutôt préoccupants. Deux suicides dans une même famille, ce n’est pas rien… D’autant que l’état ne confie pas des enfants à des citoyens sans de nombreux tests psychologiques, une surveillance médicale de tous les instants.

- … C’est quoi le suicide ?

- Quelque chose de mal dont on ne parle jamais, car c’est contraire à la vie, mais arrête de m’interrompre. Ce n’est pas le sujet de l’histoire.

- L’agent venait au sujet de la petite Emily. Il avait entendu des rumeurs… pour le moins dérangeantes. D’après les enfants et les instituteurs de son école, Emily n’avait pas un comportement normal, mais déviant. Elle ne faisait pas que jouer avec les filles, mais elle les regardait. Longtemps. Trop longtemps. Avec insistance… Elle aurait même caressé les boucles d’une certaine Sarah ! Elle lui aurait dit qu’elle était amoureuse d’elle. Amoureuse !

- Mais…

- Emily savait pourtant que ce n’était pas possible pour deux êtres du même sexe de s’aimer, et pourtant, elle avait osé penser à l’impensable ! Rumeur ou non, il n’y a pas de fumée sans feu, Emily fut aussitôt punie par la maîtresse. Elle lui aurait répondu, devant toute la classe : "si les bébés sortent de boîtes, il n’y a pas besoin d’avoir un homme et une femme. Ce qui compte, c’est de s’aimer." Je ne sais pas où Emily est allée pécher de telles idioties, toujours est-il que l’agent en a eu vent. Est-ce vrai, Emily ?

- …

- Réponds !

- Pardon, Maman.

- C’est donc vrai ! Mais c’est révoltant !!! Sais-tu ce que risque cette petite fille ? Aller dans un centre de reconditionnement ! Avoir de nouveaux parents ! Ces parents actuels ne pourront jamais la garder, si elle reste comme ça ! Elle est défaillante…

- Pardon Maman.

- Tu peux demander pardon autant que tu le voudras, rien n’efface cette horrible vérité. Ho… pas la peine de pleurer, jeune fille. Emily va aller dans ce centre et, quand elle sera guérie, elle verra si ses parents ont eu la force de l’attendre… »


*


Il était une fois une adolescente qui vivait dans une dystopie. Comme toutes les adolescentes, elle était blonde aux yeux bleus, avait un QI de 100, de bonnes notes à l’école, et c’est à peu près tout. Personne ne l’aimait. Alors, elle attendait dans un grand placard noir une personne, une seule : une autre adolescente… qu’elle imaginait sortie d’une boîte violette.

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