Pandora

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J’aimerais être…

J’aimerais être…

Voilà, c’est à portée, comme du prêt-à-porter, disponible, maintenant, et dans l’air du temps. Now.

« Tu n’as plus qu’à entrer dans Pandora et faire un vœu te concernant. Ton souhait le plus secret, ton espoir le plus fou, se réalisera pour la modique somme de 1900 eurodollars. »

C’est ce qu’ils prétendaient tous : les médias, les réseaux, les influenceurs, les amis, la famille.

Voilà la promesse, une putain de promesse qui crépitait dans les puces implantées au cortex cingulaire, et s’imprimait sur chaque écran de réalité augmentée.

Parfois des reproches clignotaient, pour tromper la vigilance des plus réticents. Un pop up agressif, à vous faire plisser des paupières :

« Si tu n’as pas fait un tour dans Pandora avant tes 10 ans, tu as raté ta vie ! »

Sabrina pénétra le dôme en or rose aux allures d’œuf de Pâques. Son souhait, elle se le rabâchait depuis des lunes : elle voulait ressembler à Jonia Margoulevsky, mannequin et actrice de films interactifs à la mode.

Elle appuya sur le bouton magique sans prononcer son vœu et se retrouva à l’identique : elle ne ressemblait à rien !

Sa meilleure amie, que cette mésaventure amusa énormément, pénétra sans crainte l’ovoïde machine à rêve, avec un désir équivoque - qu’elle ne manqua pas, elle, de formuler. Elle n’avait pas craqué son Plan Épargne Vie pour des prunes !

Quand elle ressortit de la machine, migraineuse comme jamais, elle ressemblait de loin à Jonia : pas de maquillage, des bubons sur le visage, des seins de la taille de prunes, à la limite de l’invisibilité, le corps grêle d’une gamine de onze ans. Jonia à l’âge ingrat !

Yorik, qui n’avait rien d’autre à craquer que son slip, désirait un sexe plus long - le désir de tous les hommes, un souhait simple, universel, accessible, de quoi rebooster son ego malmené par l’industrie pornographique.

Quand il s’échappa de cette boule d’amour - avec toutes les difficultés du monde - il manqua de trébucher, se prenant les pieds dans cette trompe d’éléphant disgracieuse qui pendait à côté des deux billes ridicules qui lui servaient de testicules.

Effrayé, il désirait retourner dans la machine pour retrouver ce chibre qu’il avait tant caressé, mais ce n’était pas possible : usage unique, sous peine de dégradation totale de l’ADN. C’était écrit tout en bas, en tout petit, tout petit riquiqui, à côté d’une astérisque aussi invisible qu’une étoile au fin fond de l’univers.

Archibald ne se trouvait pas assez intelligent : ni pour la vie, ni pour les études, ni pour l’amour. Il n’avait pas beaucoup de conversations, une vision limitée du monde, et peinait à sociabiliser, même quand il prenait des comprimés d’alcool pour se donner le courage. Il demanda le cerveau de Bertrand Chatimov, grand philosophe du siècle des Étoiles, auteur d’un essai prouvant l’existence des dieux et de quelques contes philosophiques étourdissants se passant sur toutes les planètes colonisées par l’homme.

Il sortit du dôme encore plus con que la lune, et sans face cachée, ignorant - comme tout un chacun - que Bertrand Chatimov n’avait jamais pondu une seule ligne, même lors de sa scolarité (tout se faisait, dans le temps, par questionnaire à choix multiples) : son domestique écrivait à sa place, pour conserver son emploi menacé par l’essor des androïdes de service.

Dorothée, enfant gâtée pourrie qui avait sa navette personnelle et voyageait dans le cosmos tous les week-end et jours fériés, s’emmêla les pinceaux en appuyant sur le bouton magique.

Elle ressortit avec un corps de fleur, une tête de lapin : tout le monde trouva cette métamorphose mignonne, mais, au bout de deux jours, le buzz dissipé, ses parents, morts de honte, l’envoyèrent à jamais dans l’espace en prenant soin de désactiver le contrôle parental.

David, qui n’aimait ni les lapins, ni les fleurs, n’arrivait pas à écrire un roman malgré un talent inné que lui enviait… à peu près personne. Quoi de plus naturel que de demander à la machine de le faire pour lui ? Malgré un prix exorbitant, il savait que cela le rembourserait, et lancerait sa carrière sur orbite. Il formula son vœu comme ceci : écris un best seller.

Quant il consulta le traitement de texte sur sa tablette scribiax, il ne découvrit que ces mots, pas un de plus : un best seller. Il venait de perdre cinq mois de salaire ! Et son espoir perdu sur le siège gluant de l’immonde Pandora.

Et la liste des victimes de s’allonger, encore et encore.


*


Le Projet Pandora rencontra un succès aussi foudroyant qu’éphémère, engrangeant des millions de bénéfices en quelques mois, avant de disparaître suite à de nombreuses plaintes, une tétrachiée de procès surmédiatisés. Il ne vint à l’idée de personne, ni des savants, ni des actionnaires, ni des intellectuels, que la machine fonctionnait parfaitement et que c’était l’homme, au fond, qui dysfonctionnait, à cause d’une méconnaissance du monde et, surtout, d’une imprécision dans la formulation de ses souhaits, de cette incapacité à délivrer une parole impeccable, disparue, hélas, depuis la civilisation Toltèque.

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