Minuit Rouge

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(L’orthographe fantaisiste de certains mots (revélaction, science-friction…), les néologismes sont voulus)

« Des lumières rouges dans le ciel qu’il tonna, Leloui. Je les ai vues osciller au-dessus de la montagnette cette nuit. Oui, oui, oui, je le jure ! »

Ingeul et Trina, qui traînaient au marché légumite en quête de cucurbitacées, m’ont dit la même chose. Tout le peuple dégoisait là-dessus au village : des lumières rouges, encore des lumières rouges, toujours des lumières rouges.

Duch le guenilleux a même craché une glairole aussi épaisse qu’une bille après une révélaction de taille : un OVNI se serait rapproché de sa fermette pour kid-napper son fils. Ce dernier se serait envolé dans un halo luminaire ! Mais je n’étais pas dupe : Kreutz était connu pour ses fugues mineures. Il était donc fort probable qu’on le retrouve dépoilé dans un champ. Quelle hidée de partir nu !

Curieusement, personne n’a été en mesure d’immortaliser ces manifestactions. Les clichés qui circulaient étaient désespérément noirs et, comme le dirait si bien mon paternel, berger sur la Crête du Cock : les voyants virent au vert.

Pour savoir si l’aïeul avait remarqué quelque chose d’étrange de là-haut, je lui envoyai ma volaille voyageuse en prenant soin de la gaver de sucrette parce qu’elle était rétive à livrer : elle préférait utiliser ses pattes crochues que ses ailes d’empiaffée et faisait les cent pas dans sa cage comme une dépressive caquetant sa bile.

« Papa,

As-tu vu des trucs bizarres dans le ciel hier ? Duch et les autres parlent d’OVNI (Ombon Valdinguant Néfaste et Intrusif, en gros la lumière d’un bouclier qui vole dans le ciel si j’ai bien compris). Sinon tout se passe au mieux dans la vallée.

Leglaud. »

Une heure plus tard, je reçus une réponse.

« Ah mon fiston ! J’ai pris peur en voyant Lasouz voler avec un mot. Elle a pas graissi ? Tu la gaves à quelle semence ? Content de voir que tu vas bien ! J’imagine que tu donnes bien la potée à tes mioches. J’ai dû saigner une brebis pour écrire ce message, vu que je n’ai pas pris de plumard. Tu sais bien que j’aime pas écrire, mais je vais pas gâcher le fluide des bêtes comme ça. Alors, je t’écris un groman pour te dire que rien à signaler. C’est toujours pareil ici, sous les étoiles. À la différence près que maintenant elles sont rouges, et qu’elles bougent. Ça valdingue sévère sur la voûtée, je sais pas si c’est intrusif, mais c’est hypnotique comme après les champignons du pré au sabbat. J’ai l’impression qu’elles se rapprochent chaque nuit du village, c’est inquiétant. Ça augure peut-être un changement climatique. En tout cas, je n’ai pas vu de bouclier dans le ciel. Tu peux me croire, ou je n’ai pas bu assez de liecoeur.

PS : rapporte-moi de la vipérine dans une semainette et cesse d’engraisser Lasouz, elle fait flipper le cancer ! »

Je me dis qu’il avait peut-être raison le paternel parce que j’eus toutes les peines immondes à refoutre Lasouz dans sa cagole. Elle a dû faire bombance sur le trajet la vile bestiole, toujours à picorer ici ou là. Je lui parsemai dans son graînage une mixture laxative pour qu’elle égrène ses fèces au bonheur de ses pas. Mais je digresse.

J’attendais patientement le soir pour observer moi-même le phénomène en empruntant la lunette astronomythe de mon fils Lumo, mais celui-ci avait l’œil bien ouvert et capriça un bon coup, stridulent comme une pipistrelle :

« Je veux voir les lumières rouges moi aussi ! Je veux voir les boucliers !

- Mais de quoi parles-tu ? innocentai-je.

- Tout le monde en parle au village, je veux voir !

- Et bien soit, tu viens avec moi, mais fais pas de bruit, je veux pas que tes frères viennent, ça peut être dangereux ! »

La potentiabilité d’un risque ne m’avait pas effleuré un seul instemps : je m’emparais sans plus attendre de l’arquebrusque pour fusiller ces boucliers, si jamais ils osaient passer à l’attaque pour nous fêler le caquelon.

L’air était fin doux, presque frais, un vent mou caressait nos visages obnimulés par le ciel noiraud. Lumo tenait une lampe à gaz qu’il brandissait au plus haut. Apparut au lointain un point rouge, puis un autre. Des lumières qui tanguaient dans la nuit comme le Duch une fois aviné, ou mon père sans troupeau après la transimmense.

« Ils arrivent ! inventa Lumo.

- Qui arrive ? m’inquiétai-je, me rendant compte que chaque un disait vrai ce jour.

- Les gens d’ailleurs, des autres planètes.

- Mais non ce sont des boucliers voltigeants.

- Ils existent, Pap, c’est pas de la science-friction.

- La science-friction ?

- Oui, on l’a vu aux colles. C’est pour remplacer les vieilles histoires de bergers que tout le monde connaît.

- Mais ça existe aussi, comme les bergers ? demandai-je, largué.

- Oui, c’est ça les boucliers Pap. Paraît que ça remonte à l’antiquité. Omer en a parlé dans son Eaudessai. T’es ignare. Regarde !

Lumo sortit de sa poche un prospectanus d’un dessinacteur du village, Killi, l’allumé de service. Il avait traçoté non sans finesse une sorte de bouclier volant en forme de triangle duquel sortait des godichons comme nous. Des boucliers d’une complexité inouïe avec de nombreuses fenêtres, des canons, des projecteurs à ne plus savoir qu’en faire. En haut à droite, l’inscription « ils arrivent » ; à gauche, la tête de Kreutz avec une bulle qui mythonnait : « j’ai été enlevé par les gens d’ailleurs ! »

Fiantre, j’étais vraiment ignare, en plus d’être effrayé pour de bon à l’idée que des envahissementeurs foulent notre sol. Des angoisses à vous serrer le nœud s’amplifièrent lorsque je constatai que l’objeu, qui s’approcha mollement de nous, n’avait strictement rien à avoir avec un bouclier pechnoïlogique triangulaire géant capable d’accueillir une peuplade. Il était fatalement rond, sans saveur, presque une soucoupette à tasse, lisse comme le cul d’un bébito. Je retenais mes poumons, espérant plus d’originalité du côté de ces gens d’ailleurs que je déclinais à loisir dans ma cabochette : des bipèdes avec une tête de Lasouz, des limaces-chèvres géantes, des insectueurs ou des métamorphes, comme dans les histoires de bergers.

Alors que la soucoupette atterrit péniblement sur mon plan de chanvre, dans une envolée poussiéreuse colyrique, mes yeux ne se détachaient plus de l’ouvrage en métal d’une conception archaïque. Une échelle fine comme une ossature de grand-mère s’échappa maladroitement d’une fente luminaireuse, par le dessous. Là, je vis un bonhomme - qui me ressemblait comme deux perles d’eau - descendre, armé d’une arquebrusque plus rudimentaire que la mienne. Puis un autre, encore un autre. Ils étaient vraiment comme nous, des moignons à la tête, juste beaucoup plus moches et visiblement moins bavards.

Pire : ils nous toisèrent à la façon des bergers qui se rencontrent pour la première fois dans les montagnettes : un regard noir, suant de mauvaises intentions. Lumo, bouffi d’entrain, eut à peine le temps de leur faire un coucou de bras qu’il fut statufié par leur arquebrusque, une arme d’apparence rustique que je trouvais fort pratique pour calmer la turbulencescence des mioches.

J’osai lui demander d’échanger nos armes et proposais en sus Lasouz la goulue en cadeau de bienvenue, mais je fus gelé à mon tour ! Puis décongelé dans une cellule. Puis regelé. Puis décongelé. Ces envahissants ne savaient pas ce qu’ils voulaient, à part nous laisser à poil et nous inciser ici ou là, au petit boncœur la chance ! Il se jugeotte qu’après avoir détruit leur planète jaune ils désirent envahir notre bucoolique Jupitex. Je leur souhaite bien du courage ! En tout cas, je les remercie : le sexe avec eux repousse les limites ! Par contre, j’aurais préféré voyager dans un vaisseau en forme de triangle. Quelle idée débile, ces soucoupettes ! Sacrés humains !

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