Scène 4

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LORD GRAY, COLONEL MOUTARDE, MADAME PERVENCHE, DOCTEUR ORCHIDEE, MADEMOISELLE ROSE

Mlle Rose entre et court à Lord Gray.

MLLE ROSE : Lord Gray !

Elle l’enlace.

MLLE ROSE : Tout va bien. Du calme. Qu’a encore inventé cette vieille bête de révérend pour gâcher l’ambiance ?

DR ORCHIDEE: Tiens, miss Rose. Vous n’étiez pas occupée à séduire Philippe ?

MLLE ROSE : Quelle idée ! Séduire Philippe ? Il est fou d’Amelia et je vous avoue que peu m’importe.

MME PERVENCHE : Olive a parlé d’une femme et Lord Gray a voulu se battre…

MLLE ROSE : Encore cette vieille histoire ? C’est du passé, voyons !

LORD GRAY : Il… Il a osé…

MME PERVENCHE : Le révérend est un imbécile.

LORD GRAY avec une rage froide : Il a osé mentionner Edith. Il paiera.

CL MOUTARDE : Néanmoins il reste un point sur lequel le révérend n’avait pas tort. Inutile de se lancer dans une vendetta qui aurait des répercussions sur nous tous. Je suis sûr que John regrette déjà ses paroles. Si nécessaire, nous exigerons des excuses de sa part. Ça vous va, lord Gray ?

LORD GRAY : Disons que je m’en contenterai. Pour le moment.

MLLE ROSE : Sage décision.

DR ORCHIDEE : Et félicitations au colonel Moutarde pour avoir évité la guerre civile.

MME PERVENCHE : Sûr que si on devait compter sur vous…

DR ORCHIDEE : Je suis un savant, madame. Mon métier est de savoir. Rien de plus, rien de moins. Pacifier n’est pas dans mes attributions.

CL MOUTARDE : Science sans conscience n’est que ruine de l’âme…

DR ORCHIDEE : Ça va, vous n’êtes pas le seul à connaître Rabelais.

CL MOUTARDE : Pensez à méditer cette maxime, docteur.

MME PERVENCHE : Peut-être la prochaine fois vos théories seront-elle moins désespérantes…

DR ORCHIDEE : C’est la vérité qui vous insupporte, Patricia.

MME PERVENCHE : Madame Pervenche, s’il vous plaît.

LORD GRAY : Votre vérité n’est pas la même que la nôtre, on dirait, docteur. L’espoir existe encore, vous savez.

DR ORCHIDEE : L’espoir…

MLLE ROSE acide : L’espoir, oui. Vous savez, cette qualité qui permet aux gens de ne pas se laisser mourir sans agir. Cette capacité à voir la possibilité la plus encourageante dans une situation et à s’y diriger. Cette propension à croire que tout est encore possible. Ce sentiment qui fait relever la tête au plus accablé pour voir loin devant. Cette sensation qui gonfle le cœur et les poumons d’un souffle nouveau. Vous vous souvenez, docteur ? Mais, suis-je bête, peut-être ne l’avez-vous jamais connu.

CL MOUTARDE saisit un livre dans la bibliothèque, l’ouvre et cite : « Car sans joie, il ne peut y avoir de courage, et sans courage, toutes les autres vertus sont vaines. »

DR ORCHIDEE : Qui a écrit ces inepties ? Seul le désespoir pousse à être vraiment créatif. Tous les grands génies, les meilleurs écrivains, étaient des gens qui ont souffert, des dépressifs. Qui a déjà entendu parler d’un homme heureux qui aie créé une grande œuvre d’art ?

MLLE ROSE : Un homme, peut-être pas…

MME PERVENCHE : Mais les femmes ont une propension au bonheur différente.

CL MOUTARDE : On peut louer une grande joie autant qu’un grand chagrin. Seulement, vous, docteur, vous n’avez ni joie ni chagrin.

DR ORCHIDEE : Vous croyez vraiment cela, Moutarde ? Quelle piètre opinion vous avez de moi… C’est triste de voir qu’après tout ce temps passé enfermés ensemble, nous nous connaissons finalement si peu les uns les autres.

LORD GRAY : Je vous connais très bien, Orchidée.

DR ORCHIDEE : Je vous salue bien !

Il sort. Temps.

MLLE ROSE : Vous trouvez que nous ne nous connaissons pas assez ?

MME PERVENCHE : En ce qui me concerne, je trouve ça ridicule.

CL MOUTARDE : Nous croyons nous connaître, mais nous ne savons jamais réellement de quoi les gens sont capables au fond.

MLLE ROSE : Mais ça, même en vivant mille ans ensemble…

LORD GRAY : Après tout, tant mieux. Autrement il ne resterait plus rien à découvrir dans ce fichu manoir. Ainsi, au moins, il nous reste un peu d’inattendu.

CL MOUTARDE : Les dimensions de l’esprit humain sont les seules qui nous restent à découvrir. Ça a le mérite d’être clair.

MME PERVENCHE : Ne soyez pas si pessimistes, messieurs. Nous finirons par comprendre.

MLLE ROSE : Vous croyez ?

MME PERVENCHE : Mais oui, ma chère. Réfléchissez. Des êtres humains ont-ils déjà eu, dans l’Histoire, autant de disponibilités pour songer à leur situation que nous ? Dans ces conditions, il serait aberrant que nous ne trouvions aucune solution, n’est-ce pas ?

CL MOUTARDE : Il faudrait s’assurer que nous pagayons tous dans le même sens…

MLLE ROSE : Qui aurait l’idée de vouloir rester ici et nous empêcher de fuir ?

LORD GRAY : Quelle idée horrible.

CL MOUTARDE : Allons, allons, c’était une plaisanterie, les amis ! Ne baissez pas les bras.

Silence glacial.

MME PERVENCHE : Décidément, vous êtes sinistres aujourd’hui. Je déteste cette atmosphère.

Elle sort.

CL MOUTARDE : Ce docteur Orchidée a le chic pour gâcher l’ambiance. Je ne crois pas que ce soit volontaire, mais tout de même.

MLLE ROSE : C’est dommage qu’Amelia n’ait pas entendu toutes ces théories, ça lui aurait plu.

LORD GRAY : Peut-être qu’elle écoutait à la porte, qu’en sais-tu, ma chérie ?

MLLE ROSE taquine : Ça me plaît. C’est tout à fait le genre de chose que je ferais à sa place.

Moutarde a un sourire.

CL MOUTARDE : Vous savez, je vous aime bien, jeunes gens. Vous êtes à vous seuls le piment de l’existence.

MLLE ROSE : Et vous, la moutarde ?

Il rit.

CL MOUTARDE : Vous arrivez même à me faire rire ! Rose, vous êtes rafraîchissante.

LORD GRAY : Moi, c’est vous que j’admire, colonel. Vous gardez cette bonne humeur, alors même que l’âge, sans vouloir être vexant, s’ajoute à la monotonie cruelle de… cet endroit. Vous êtes épatant.

CL MOUTARDE : Ne pas confondre, jeune homme. Ce n’est pas de la bonne humeur, c’est du cynisme. Comme le cuir d’un vieux rhinocéros, voyez ? Je devrais être blessé, mais la peau est trop épaisse, à force.

LORD GRAY : Ne vous faites pas plus sombre que vous l’êtes ! Un vieux rhinocéros n’est vieux que parce qu’il a tenu le coup longtemps, donc c’est bien qu’il est fort, même sous la peau, pas vrai ?

MLLE ROSE : Et nous, nous sommes les oiseaux blancs sur votre dos pour vous débarrasser des malheurs.

CL MOUTARDE donnant un baisemain à Rose : C’est adorable ! S’il n’y avait que des gens comme vous dans ce manoir, y rester ne serait plus une punition.

LORD GRAY : Une seule Joséphine me suffit, personnellement.

CL MOUTARDE : Vous avez de la chance, Gray…

LORD GRAY : Est-ce que vous avez eu une Joséphine, colonel ?

CL MOUTARDE : Je ne m’en souviens pas. Il hésite. Vous savez garder un secret ?

LORD GRAY : Mais oui.

MLLE ROSE : Ça dépend combien de temps !

CL MOUTARDE : Alors disons seulement au révérend et à Violet, d’accord ? Il baisse la voix. J’ai failli avoir une Patricia.

MLLE ROSE : Pervenche ?!

LORD GRAY : Ce bon vieux Moutarde ! Je ne l’aurais pas cru sans l’entendre de votre bouche.

MLLE ROSE : Que s’est-il passé ?

CL MOUTARDE : J'ai eu un rival.

LORD GRAY : Mon Dieu. Peter, n'est-ce pas ? Le professeur.

CL MOUTARDE : La pauvre s'en est longtemps repentie, je crois. Mais vous la connaissez. Elle ne m'a rendue aucune attention pour autant. Trop fière. D'une certaine manière, cela fait aussi son charme.

MLLE ROSE : Et vous ?...

CL MOUTARDE : Oh, moi, comme je vous l'a dit, je suis un vieux rhinocéros. Un vieux rhinocéros solitaire.

MLLE ROSE : Et le révérend dans tout cela ?

LORD GRAY : C'est vrai qu'elle paraissait familière avec lui, tout à l'heure. Je n'avais jamais entendu personne appeler le révérend John.

MLLE ROSE : Un autre prétendant, peut-être ?

CL MOUTARDE : Olive ? Certainement pas. Il a toujours craint Patricia. Peut-être lui fait-elle penser à quelqu'un d'autre ? Quand à Madame Pervenche, elle a un peu profité de son pouvoir sur lui, depuis longtemps. Ils ne sont que vieux amis. En revanche, il ignore tout de... notre passé.

LORD GRAY : Il y a donc finalement plus de cachotteries que je ne l'imaginais !

CL MOUTARDE : Vous avez sûrement les vôtres. Chacun ses mystères, n'est-ce pas ? Je dis ça sans reproches.

MLLE ROSE : La vie serait mortellement ennuyeuse sinon !

LORD GRAY sombre : Vous n'avez pas tort, colonel. Chacun ses mystères...

MLLE ROSE : Oh, de grâce, ne pensez plus à ces horreurs qu'a pu vous dire le révérend. Je suis là, je prendrai soin de vous. Qu'y a-t-il d'autre d'important ?

LORD GRAY sans conviction : Oui... Heureusement que vous êtes là.

CL MOUTARDE : Je devrais vous laisser seuls. J'ai horreur d'être indiscret.

MLLE ROSE : Michael, vous êtes un ange.

CL MOUTARDE : Merci, mademoiselle. Lord Gray, mes respects.

Il sort.

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