Horoscopes [3/3]

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  Le contraste entre l'humeur de ses deux colocataires était saisissant et n’échappa pas à Suna. Cette dernière tenta d’évaluer le moral de la princesse renfrognée et pensive.

 « Est-ce que ça va ? Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

 — Il faut que je fasse quelques recherches, esquiva Arya en relevant la tête. Il parait qu’il y a une grande bibliothèque à l’Université ?

 — La plus grande au monde ! claironna la cadette en écartant largement les bras avec entrain. Je te montre le chemin ? »

  Lola n'attendit pas sa réponse et l’attrapa par le bras. La guerrière leur emboîta le pas en souriant. Lola babillait pour trois en parlant de ce qui lui passait par la tête, tout en évitant soigneusement ce qu'il s'était passé au sanctuaire. Elle avait compris en voyant la tête d'Arya qu'elle non plus ne souhaitait pas en discuter et cela l'arrangea.

  Suna les accompagna jusqu'aux portes de la bibliothèque puis leur fit promettre d'y rester jusqu'à ce qu'elle revienne les chercher. Lola accepta avec légèreté en s'avançant déjà dans l'immense tour ronde. Arya lui promit de l'attendre tout en se demandant la raison de cette requête. Pourquoi prendre de telles précautions ? Était-ce à cause de ses fuites magiques ? Suna craignait-elle qu'Arya incendie la bibliothèque par mégarde ?

  Lola interpella Arya qui se détourna de ses réflexions et lui parla de la bibliothèque avant de l'assister dans ses recherches. Suna faisait confiance à Lola pour garder un œil sur Arya. Elle rebroussa chemin et rejoignit Astralia au cœur du sanctuaire. La métisse voulait lui poser quelques questions. La Sainte l’accueillit avec plaisir pour faire le point.

 « Je suis heureuse de les avoir rencontrées toutes les deux. Comment as-tu su qu'Arya Al'raï était le Phénix ? As-tu senti d’autres connexions ?

 — Je suis contente qu'on ait pu faire d'une pierre trois coups. Mora mérite d'être libre. C'est vraiment une belle personne. Quant à Arya... J'ai pris conscience de ce qu'elle était à l'infirmerie après qu'elle ait manqué de tout faire exploser. J'ai eu des doutes parce que le médecin a dit qu'elle avait simplement des problèmes de gestion d'énergie, mais avec une telle puissance, enfin, bref. Je ne vais pas te ressortir tout le jargon du docteur. Arya est le Phénix. Point. Et pour répondre à ta question, je crois que j'en ai senti d'autres. Maintenant qu'il y a moins de monde sur l'île, ce sera plus facile de les reconnaître et de te les amener.

 — Merci pour ton soutien, Suna.

 — Je suis là pour ça. N’hésite pas s’il a quoi que ce soit que je puisse faire d'autre. »

  Astralia acquiesça puis la congédia. Elles avaient toutes les deux quelque chose d'important à faire. Suna rejoignit les filles à la bibliothèque et la Sainte se prépara à lancer un appel spirituel. Fonaï lui avait appris la théorie, il était temps de passer à la pratique. Elle s’agenouilla et rassembla ses forces.

   Puisant dans l’énergie de la terre et du ciel, Astralia unit les deux énergies contraires afin de diffuser son message dans toutes les directions. Son flux divin balaya l’île et s'arrêta à la mer. Fonaï revint à la fin de la vague d'énergie et critiqua :

 « Avec ça, tu n’iras pas loin, mais c’est un bon début. Tu as compris l’essentiel. En revanche, il va falloir gagner en puissance, belle Sainte.

 — Je sais. J'ai peut-être un peu forcé ce matin. Je vais aller me reposer un peu. »


Ж

  Quelques minutes après l'appel spirituel, un jeune homme se présenta à l’entrée du temple de la Lune. Il fit la rencontre de Setsuan, chargé de faire respecter le vœu de la Sainte. Elle avait dit plus de visite. Toutefois, après un rapide échange avec le visiteur, le Grand Mestre s'entretint avec Astralia pour la faire changer d'avis.

 « Faites-le entrer. »

  Elle était fatiguée, mais tenait quand même à rencontrer cette personne. Fonaï lui conseilla de remettre la rencontre à plus tard et de prendre un peu de repos. Astralia ignora ses recommandations. Elle avala rapidement une figue d'ion avant de se présenter dans la pièce principale du sanctuaire.

  La haute silhouette longiligne marcha jusqu'à elle voûtée, comme coincée dans une forme qui ne lui convenait pas. Ses membres semblaient anormalement longs pour un humain. En croisant ses yeux d’un vert changeant, Astralia se rendit compte rapidement que le jeune homme était victime d'un sortilège. Il n’était pas lui-même. La Sainte se connecta à son âme et la compassion lui fit verser quelques larmes en percevant la souffrance de l'arguenne bloqué dans une enveloppe qui n'était pas la sienne. Le sort d’entrave du Gardien lui avait pris sa forme originelle mais pas son pouvoir afin de mieux le contrôler.

  Astralia s'agenouilla sur le tapis et il l’imita un peu gauche. Le jeune homme devait être très puissant pour ne pas être complètement contenu dans sa forme d’emprunt.

 « Merci pour le compliment. »

  Astralia referma son esprit aussitôt. Elle ne s'était pas méfiée du télépathe. Il baissa la tête et s'inclina devant elle.

 « Je reconnais que ce n’était pas très délicat de ma part, s’excusa-t-il. Puis-je m'introduire auprès de vous, Sainte Astralia de Fluvie ?

 — Laissez-moi d’abord faire quelque chose pour vous. »

  La Sainte prit sa main et plongea dans son âme pour le libérer de ses chaînes. Elle se montra si prompte à trouver les mécanismes qui le retenaient qu’elle négligea l’énergie déployée. Quand elle revint enfin à elle, du sang gouttait de son nez. Le jeune homme lui tendit un mouchoir par réflexe. Ainsi, il s'aperçut immédiatement qu’il avait recouvré la peau verte et les doigts longs et fins de sa race. Il se tâta le visage et eut le plaisir de sentir la finesse de son nez et de ses lèvres, sa gorge délicate. Il avait perdu son air maladroit et retrouvé la grâce de ses mouvements commandés par son esprit et non plus par une simple mécanique articulaire.

 « Comment avez-vous fait ?

 — Je vous ai rendu ce que l'on vous avait pris. »

  Cela ne répondait pas à la question mais il s’en contenta. Il reprenait pleinement possession de ses capacités et en profita pour sonder l’île à la recherche de son grand-père. Ce dernier réagit aussitôt en lui conseillant la discrétion, malgré la joie d'apprendre que son petit-fils était parvenu à se libérer.

  Trop enthousiaste, l'arguenne toucha l’esprit de la Sainte d’un peu trop près. Il eut accès à tout ce qu’elle avait vu au cours de son voyage spirituel. Sa joie s’évapora instantanément sous la quantité d'informations. L’enseignement divin, la sainte mission, Fonaï, Setsuan, les religieux libérés, Suna, Mora, Lola, Arya et tout ce qui le concernait, lui apparut nettement. Astralia se ferma aussitôt comme une huître, déplorant son manque de réactivité à cause de l'épuisement. Mais le mal était fait.

 « Vous avez vu ma mort…

 — Je vois celle de tout le monde.

 — La mienne est proche.

 — C’est difficile à dire, le rassura-t-elle.

 — Vous mentez.

 — Vous allez bousculer l’ordre des choses si vous tentez quoi que ce soit pour changer les événements. Vous n’auriez pas dû… »

  Qu’espérait-elle ? Un arguenne discernait le vrai du faux. Pourquoi lui cacher ce qu’il venait de découvrir ? Cela ne l’aiderait en rien à accepter son sort. Igurantori tapota légèrement sa main pour la rassurer. Il ne tenterait rien. Si c'était dans l'ordre des choses, alors il l'acceptait. Non sans regret.

  Pour changer de sujet et revenir à ce qui les concernait tous les deux, le télépathe l'interrogea sur la raison qui l'avait motivé à la rejoindre suite à l'appel spirituel.

 « Vous pensez vraiment que je suis un Bouclier ? Ce rôle n’est pas censé être celui des chevaliers et des combattants comme le racontent les légendes ?

 — Si le destin vous a choisi, c'est pour une bonne raison. Mais assez, vous en savez déjà trop.

 — Vous avez raison. Pardonnez-moi. D’autant plus que je ne me suis pas proprement présenté. Si vous me le permettez. Je m’appelle Igurantori Oronganto. Je suis l'héritier au trône d'Ion et je suis retenu à Saltar avec mon grand-père depuis un peu plus de deux décennies maintenant.

 — Je suis enchantée de faire votre connaissance, Votre Altesse.

 — Vous n'êtes pas obligée d'utiliser ce titre. Les ioniens ont d'autres manières pour exprimer leur respect à la famille gouvernante.

 — Je suis ignorante des coutumes d'Ion, malheureusement.

 — Nous y sommes habitués. »

  Igurantori lui sourit avec bienveillance en lui répondant. Après ces paroles, le silence tomba dans le temple. Les religieux étaient occupés par leurs prières, le Grand Mestre s’assurait qu’aucun espion ne s’était introduit entre les murs du Templion. Suivant les mouvements de la pensée de la Sainte, Igurantori leva la tête puis salua respectueusement la statue de la déesse. Astralia l’observa. Le jeune homme revint à elle ensuite et lui sourit une nouvelle fois. Elle se posait de multiples questions. Il y répondit posément avec tout le tact et l’élégance de sa race. Il finit par lui-même poser une question.

 « Devrais-je prêter serment comme Suna Rosales ? En voilà une qui a complètement le physique de l'emploi, pour en revenir à ce que nous disions.

 — Vous n’êtes pas moins méritant, Igurantori.

 — Vous dites vrai. Alors à mon tour de m’assermenter. »

  Il s’agenouilla avec grâce et s’inclina devant elle.

 « Si par ma vie ou ma mort, je peux vous protéger, je le ferai. Par le devoir des Boucliers, je lie mon destin au vôtre. Moi, Igurantori Oronganto, fils d’Ulivanri, je le jure. De ce jour jusqu’à celui de ma mort, je servirais. Ainsi le lien est scellé. »

  Le lien spirituel qu’ils avaient tissé fut renforcé par une connexion plus physique. L’arguenne respira profondément, sa peau était devenue luminescente. Le processus était d’une beauté saisissante. Astralia soupira puis s’appuya au socle de la statue après un vertige. Elle avait encore repoussé ses limites. Inquiet, Igurantori la raccompagna à sa loge et l'aida à s'allonger. Il resta un moment à veiller sur son corps ainsi que sur son esprit. Puis il laissa le Grand Mestre le remplacer. L’arguenne devait renouer avec un vieil ami.


Ж


  Alors que Luménor se levait de son fauteuil après le rapport matinal, il reçut de plein fouet l'appel de la Sainte. Il fit un malaise et s’effondra dans son cabinet de travail. Santhià le trouva haletant, adossé à son bureau quelques minutes plus tard. Elle vint aussitôt à lui. Il bouillait de rage malgré la faiblesse de son enveloppe charnelle. Il lui fallut de longues minutes pour reprendre assez de souffle pour lui ordonner de mobiliser la milice et de prendre d’assaut le Templion. Il fallait déloger la Sainte et exterminer tous les religieux une bonne fois pour toutes. Il n'avait déjà que trop tardé.

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