Début de Partie [1/5]

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  Après le dîner mondain, Luménor descendit s’entretenir avec Galriel, l’air triomphant, ragaillardi par sa soirée. Il activa le miroir et s’exclama aussitôt :

 «Elle est en vie, Galriel ! Tu entends ça ! La dernière née de la famille Al'raï est en vie ! C'est tout le portrait de sa mère ! Aucune comédienne n’aurait pu lui ressembler à ce point. Oh ! Quelle délicieuse enfant ! Elle est en vie ! »

  L’illusion défaite, Luménor avait quitté son habit de vieil homme et faisait les cent pas avec vigueur. Santhià l’attendait dans la crypte pour aller se coucher mais il n’arrivait pas à se calmer. Il était beaucoup trop excité par cette heureuse nouvelle.

 « La Descendante du Phénix est ici ! Sous mon toit ! Et pas encore éveillée ! Je n’en reviens pas qu’on me l’offre sur un plateau ! Si cela fonctionnait, je remercierais les dieux pour leur présent !

 — Ils t'entendent, tu sais ? Et, juste au cas où, mon chou, je te rappelle que la reine Elena a eu trois enfants. Certes, l’aîné a donné sa vie pour protéger ce qu’il restait de son pays, mais la jumelle de ta chère gamine gouverne la Fluvie aux côtés de son époux, que tu n’as toujours pas réussi à corrompre si je ne m’abuse. Donc…

 — Tais-toi ! Santhià s’est assuré qu’elle ne possédait pas le Don !

 — Si Santhià est sûre de son analyse alors…»

  Galriel apprécia le silence qui suivit. Avait-il réussi à semer le doute ? Luménor se plongea dans une intense réflexion. Il était vrai qu’il demeurait toujours une marge d’erreur. Il faudrait donc inscrire la jeune reine de Fluvie sur la liste des personnes indésirables. Mais cela ne lui retira rien du plaisir de posséder une adivini. Il avait à sa disposition un outil merveilleux. Pour peu qu’il parvienne à l’utiliser convenablement. Les adivinis étaient un peuple primitif encore très puissant. Quelle jubilation !

  Inquiété par les prévisions d’un futur proche, Galriel réfléchit un instant aux différentes possibilités qui s'offraient à lui. Luménor s’était lancé dans un monologue où il répondait à ses propres questionnements. C’était probablement le meilleur moment pour faire signe à celle qui lui succédait au rang suprême.

   Rassemblant ses forces, Galriel projeta son essence vers la surface, il évacua autant d'énergie que possible d'un seul coup. Dès que ce fut fait, il se rendormit profondément. Luménor comprit trop tard ce qu’il venait de se produire et hurla devant le miroir éteint :

 « Galriel ! Qu’as-tu fait ? Galriel ! Reviens immédiatement ! »

  Épuisé, le cristal demeura inerte. De rage, Luménor le frappa et la surface accusa le coup. Des fissures coururent en étoile autour du poing du Gardien. Cela ne suscita pas plus de réaction de la part de Galriel. Fou de rage, Luménor remonta dans la crypte. Il ordonna à Santhià de surveiller les ports et le portail de transport.

 « La Sainte va venir. Dès qu’elle posera un orteil sur mon île, je veux que tu la captures et que tu l’enfermes ! Vois si Roman peut l'intercepter à la source ! Mobilise tous nos hommes. Je ne veux pas la laisser passer ! Si elle parvient à ses fins, je ne donne pas cher de ta peau. »

  Santhià hocha la tête et s’en alla immédiatement transmettre les ordres. Toute bonne humeur s’était envolée.

Ж


Panthéon de Naguilé, Fluvie

Quelques heures plus tard,


  La tempête spirituelle cessa enfin. Astralia reprit pied dans la réalité, haletante et en sueur. Elle prit conscience du moelleux sur lequel elle reposait ainsi que du linge frais et humide sur son front. Le corps endolori, Astralia parvint à détendre ses muscles mais seulement après de longs efforts. C'était comme si elle était restée trop longtemps recroquevillée dans une position inconfortable.

  Une fois assise, le linge entre les mains, la Sainte observa ce qui l'entourait. Elle ne portait qu’une robe de coton. Elle s'était vidée de son énergie au point de faire disparaître sa tenue divine. Comment en était-elle arrivée à de telles extrémités ? La blancheur des draps et des murs lui firent comprendre qu'elle se trouvait à l’office de soin. Des voix inquiètes s'élevaient non loin. Elles appartenaient aux ombres qui se dessinaient derrière le rideau au pied du lit médical. Astralia reconnut celles de son père et de Tala ; la dernière voix en revanche lui était inconnue.

   Inconnue vraiment ? Lorsque Astralia se concentra quelques secondes sur le timbre masculin, une ligne de vie s'étira jusqu'à elle. La jeune fille s'en saisit et tout ce qu'était la personne lui apparut clairement. C’était Minelas, le grand mestre des moines-médecins. Il s'inquiétait pour son état. La jeune fille avait été trouvée inanimée dans la cour du pavillon au petit matin. Elle s’était apparemment levée en pleine nuit et écroulée au cours d’une énième vision.

   Astralia lâcha la ligne de vie. Elle se souvenait parfaitement de ce qu’il s’était passé. Elle étudiait avec Fonaï quand elle avait entendu un hurlement au beau milieu de la nuit. Cela lui avait glacé le sang et elle était sortie pour voir de quoi il en retournait. Son mentor lui avait assuré que ce n’était pas ce qu’elle croyait. L’instant suivant, Astralia était frappée par l’appel de Galriel. Elle s’était écroulée quand elle avait reçu la mémoire des Saints qui l’avaient précédée.

  « Oui, enfin, ce n’était pas grand chose, comparé à ce qui t’attend. »

  Fonaï apparut auprès d’elle et Astralia paniqua à l’idée que quelqu'un remarque le livre à la langue bien pendue.

 « Cela fait un moment qu’ils sont sortis pour ne pas te réveiller, releva-t-il en soupirant. Tu n’es pas tout à fait remise de tes émotions, tu as légèrement perdu la notion du temps. Tu devrais manger quelque chose, tu es pâlotte.»

  Agacée par l’omnipotence de Fonaï, Astralia rejeta les draps et fit glisser ses jambes sur le côté avec l'intention de se mettre debout. Dès que ses pieds touchèrent le sol, un éclair de douleur remonta dans ses membres et dans son dos. Astralia fut soudainement coupée dans son élan. Elle retint un cri en fermant très fort les lèvres. Qu'est-ce qu'il s'était passé pour que ses muscles et ses os la fassent souffrir à ce point ?

 « En fait, tu as vécu toutes les morts de tes pré…

 — Silence Fonaï ! »

  Le livre disparut, vexé. Il voulait juste aider. Elle respira lentement et profondément le temps que le mal passe puis elle se mit debout. Il lui fallut accepter la douleur avant de pouvoir marcher et cela prit du temps. Était-ce la façon qu'avaient choisi les dieux pour la tester et s'assurer de son engagement envers eux ? Si c'était le cas, elle l’acceptait.

   Tirer le rideau pour quitter l'alcôve de soin fit remonter une nouvelle douleur dans son bras, jusque dans la nuque. Elle serra les dents et se montra forte. Astralia continua d’avancer, un pas après l’autre. Ce n’était pas plus facile chemin faisant. La douleur lui donnait le tournis. Elle se retenait à ce qu’elle pouvait tout en serrant les dents. Elle tiendrait, elle supporterait et une fois la douleur passée, elle partirait. Dorénavant, elle savait ce qu’elle devait faire et où elle devait se rendre.

   Les trois personnes qui discutaient dans le hall de l’office s'interrompirent en la voyant arriver. Minelas s'empressa de venir la soutenir en l'admonestant tandis que son père et Tala la dévisageaient entre surprise et soulagement. Astralia refusa l’aide du médecin et prit sur elle pour déclarer avec calme et assurance.

 «Je vous remercie pour les soins que vous m'avez prodigués, frère Minelas. Je quitte à présent votre service pour remplir mes devoirs.

 — Vous avez besoin de repos, Sainte Astralia. Je ne peux vous laisser faire à votre guise. Votre état est préoccupant, vous vous surmenez.»

  La jeune fille se redressa fièrement sans se tenir à la porte et affronta le regard inquiet de son père. Elle lui sourit puis ferma les yeux et réveilla sa magie pour faire revenir la tenue que les dieux lui avaient donnée. Elle bénit Minelas puis leur signifia qu'elle allait prier. Les deux prêtres la laissèrent partir sans plus s'opposer malgré leur inquiétude ; seule Tala se joignit à elle et la prit par le bras pour l'aider à se mouvoir sans y paraître. Astralia se rendit à l’évidence, elle avait dépassé ses limites. Elle remercia l'amie de son père et se fit accompagner jusqu’au Temple de Sofin où elle pria un peu avant de demander à rentrer au pavillon.

   Chaque pas fut une torture. Il lui semblait qu’elle marchait sur des bouts de verre et que ses jambes avaient été maintes fois brisées. Astralia peinait à se tenir droite comme si un poids énorme l’obligeait à se voûter. Tala la soutint sans faillir et l’aida à se coucher sur l’autel-lit. Les volets de papiers étaient clos. Aucun croyant n’accéderait à la Sainte ce jour-là.

   La prêtresse, qui la connaissait depuis sa naissance, se permit un seul conseil avant de partir :

 « Tu as su prouver ton courage, Astralia, mais n'oublie pas que tu demeures mortelle. Si les Dieux te mettent à l'épreuve, tu auras besoin de toutes tes forces, et ce, pour chaque jour à venir. »

  La Sainte la remercia et se tourna sur le côté. Quelques secondes après, Fonaï réapparut.

 « Comment te sens-tu ? zozota-t-il avec ce qu'il avait d'empathie.

 — J'irai bien quand j'aurai rempli ma mission.

 — Tu sais que tu ne peux pas partir tout de suite, n’est-ce pas ?

 — Oui. Et j’ignore pourquoi l’on me demande d’attendre.

 — Tu oses poser la question dans ton état ? Pff ! Allez, dors. On parlera quand tu auras repris tes esprits. »

  Fonaï rentra le marque-page qui lui servait de langue et retomba sur le lit, inanimé. Astralia le fixa puis l'appela plusieurs fois avant d'abandonner, trop lasse pour se battre contre lui. Son compagnon finirait bien par lâcher le morceau. Elle se laissa glisser dans un demi-sommeil qui fut longuement accompagné de visions mêlant passé et futur. Dorénavant, elle pouvait faire la différence.

Ж

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