Début de partie [2/5]

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  Le jour baissait. Astralia fixait le portrait de Galriel depuis près d’une heure. Elle n’avait pas changé de position depuis que Tala l’avait aidée à s’allonger. Son énergie au plus bas, elle se sentait vide et faible, mais son esprit avait suffisamment de force pour réfléchir. Donc, elle se questionnait à propos de cet homme au destin particulier.

   Rien n’avait prédestiné le garçon à devenir Saint. Il vivait dans un village portuaire où il passait ses journées à observer son reflet dans l’eau claire de la baie en attendant que son père rentre de la pêche. Galriel était né avec un don de voyance puissant qui s’était révélé alors qu’il était très jeune. Toutefois, personne ne harcelait le garçon pour obtenir de lui des prédictions à propos de leur avenir parce qu’il avait très mauvais caractère. Avec les années, il devint narcissique et usa du pouvoir qu’il avait sur les autres pour obtenir ce qu’il désirait. Bien conscient de son rôle, il fit ce que les dieux ordonnaient. Il réunit les Descendants de son époque et…

 « Et Saint Galriel les mena au combat contre le Déchu qui disparut de la surface de la Terre, termina Fonaï avec emphase. Enfin presque. Les Neuf Reines étaient puissantes mais il leur aurait fallu dix vies pour terminer le travail qu’elles avaient commencé. C’était perdu d’avance, sincèrement.

 — Pourquoi ? demanda Astralia la voix faible, reflétant son état général.

 — C’est clair qu’elles manquaient de cohésion. C’est ce qui les a mis dans la panade ! Sans ça, elles auraient pu survivre, enfin, toutes je veux dire. Elles auraient pu toutes survivre.»

  Astralia soupira et fit l’effort de s’asseoir. C’était difficile. Fonaï l’encouragea à se lever et elle parvint à se rendre jusqu’au panier de figues d’Ion. Elle s’assit et en mangea une puis deux. Elle retrouva des forces. Assez pour assimiler ce que Fonaï lui racontait.

 « Qu’a fait Galriel après avoir uni les Neuf Reines ? Il est écrit nulle part qu’il était présent pour le combat final.

 — Il est parti avant le début des festivités et personne ne l’a jamais revu.

 — Il est vrai que les Écritures ne racontent pas comment il est mort.

 — Bah… C’est parce que techniquement, il n’est pas mort. Son âme n’a jamais passé les Trois-Portes. D’une certaine façon, il est toujours vivant.

 — Comment ça ’’d’une certaine façon’’ ? Parle sans artifice.

 — Pourquoi est-ce que tu pensais à Galriel ? reprit Fonaï à contre-pied.

 — Parce que son prénom m’est resté en tête depuis que j’ai réceptionné le message spirituel.

 — Bon. Selon toi, qui t’a envoyé ce message ?

 — Cesse de répondre à mes questions par d’autres questions, je suis fatiguée.

 — Si je te dis tout ce n’est pas amusant ! Qui t'a envoyé le message ? »

  Astralia soupira et se massa les tempes, cherchant la réponse. Elle se redressa soudainement en comprenant où son mentor voulait en venir.

 « C'est Galriel qui m’a contactée ! Il est à Saltar et il veut que je le rejoigne là-bas.

 — Si j’avais des bras, je t’aurais applaudi.

 — Arrête de te moquer...

 — Je ne me moque pas, je t’encourage. Ce n'est pas ma faute si je n’ai pas de bras. Bref. Poursuivons la résolution des énigmes qui n’en sont pas.»

  Astralia roula des yeux et ingurgita une dizaine de fruits au cours de la conversation. Fonaï lui apprit qu’elle devrait se montrer prudente parce que ses alliés autant que ses ennemis l’attendraient de pied ferme. Étrangement cette nouvelle ne lui fit ni chaud ni froid. Astralia savait ce qu’elle avait à faire et cela lui suffisait. Elle n'avait plus qu'à attendre le bon moment pour agir.


Ж

Université de Saltar


  Midi sonna. Le soleil réfléchissait ses rayons sur la grosse cloche d'argent qui surplombait le portail du Templion, le quartier religieux de l'île. Après quelques regards curieux vers l'énorme instrument, les candidats se dépêchèrent de rejoindre la place où aurait lieu la première épreuve.

  Anonyme dans la foule, Arya observait ses concurrents. La plupart semblaient déterminés à en découdre, d'autres paraissaient plus inquiets. Sûrement des personnes qui, comme elle, ne savaient pas vraiment à quoi s'attendre. La princesse inspira un grand coup et se tourna une fois de plus vers les tribunes où les nobles, les accompagnateurs et les simples spectateurs pouvaient suivre les événements comme au théâtre. C’était tout à propos ce que lui inspirait cette grande place rectangulaire entourée de colonnes sur trois de ses côtés.

   Prêts à critiquer les candidats qui se débattraient pour obtenir une place dans la sueur et le sang, les nobles avaient organisé un grand pique-nique dans les tribunes. L’on pouvait voir des servants passer de groupe en groupe avec des plateaux de petites bouchées et des cruches de vin. Il fallait bien se divertir un peu en attendant le début des classes ! Même si tout le monde s’accordait à dire que les tribunes étaient aussi pleines cette année-là grâce à la présence du Dauphin de Larfonie, et uniquement grâce à lui.

   Afin de prouver sa valeur, Tobias-Argan avait décidé d'obtenir sa place sans user de son rang et toutes les jeunes filles de bonnes naissances étaient venues l'encourager. Ces dernières s'agitèrent quand il pénétra sur la place. En parfait prince charmant, il salua ses admiratrices qui hurlèrent tant et plus pour attirer son attention, brisant les tympans de tous ceux qui se trouvaient à moins de dix mètres. Mais ce ne fut rien comparé aux protestations qu’elles poussèrent quand le Dauphin s’approcha d’une jeune femme pour converser.

  Arya se serait bien passé d'attirer l'attention sur elle. Pourtant ce n’est qu’en entendant la réaction des demoiselles qu’elle s’aperçut de la proximité du Dauphin. Il la salua avec simplicité. Elle lui rendit son salut avec autant d’humilité. Le couple intéressa tout de suite les curieux, assoiffés d'histoires romanesques et autres bruits de cour.

  Le prince Tobias ignora les nombreux observateurs et engagea la conversation, empreint d’intentions amicales.

« Je suis heureux de vous revoir, Votre Grâce, et surpris de vous trouver en ce lieu.

 — Pourquoi ? Les sélections sont-elles réservées aux hommes ?

 — Aucunement. Il est seulement plus rare de voir des dames de votre rang dans une telle situation. Je parierai sur votre côté aventurière.

 — Vous devez confondre avec quelqu'un d'autre, répondit-elle avec un léger sourire.

 — Connaissez-vous une autre princesse qui s'échappe d'un dîner mondain en passant par le balcon avec la complicité de son cavalier ?

 — Je suis démasquée. »

  Arya oublia un instant ses soucis en bavardant de choses et d’autres avec Tobias.

  Dans les gradins, après avoir crié au scandale, les jeunes filles pleurèrent leur chance perdue d’attirer l’attention de l’héritier au trône de Larfonie, subjugué par la fille à la crinière de feu. Toutefois, elles ne manquèrent pas de relever que la jeune femme en question n’était pas une simple roturière, mais une dame de haute naissance. D’après ces expertes amatrices, il était normal que deux personnes de leur rang soient naturellement attirées l’une vers l’autre.

 « Ce qu’il ne faut pas entendre comme bêtises ! »

  Ju, comme les demoiselles outragées, avait réagi vivement en voyant Arya approchée par le bel inconnu.

 « C’est qui celui-là ? D'où il sort ?

 — C'est un prince de Xyl, lui répondit son frère les yeux rivés sur le couple. On a fait sa connaissance lors du dîner auquel tu n'as pas voulu participer. Il est charmant et fort sympathique.

 — De quel côté es-tu ? »

  Le regard que Jaen lança à son frère était moqueur, mais face au courroux de son aîné, il se rangea de son côté et dénigra le Dauphin pour glorifier son frère. Ju se rassit et croisa les bras, jaloux au-delà de ce qu'il avait osé montrer jusqu'à présent. Il ne lâcha pas le prince des yeux. Jaen soupira, fatigué de devoir ménager l’ego de son frère. Il préféra observer l'espace en contrebas.

  Plus de deux cents personnes occupaient la place. Face à la mixité raciale, Jaen sourit en constatant qu'Arya était unique en son genre. Puis le jeune homme ramena son regard vers les premiers rangs de la tribune, où une vingtaine de personnes fixaient les candidats avec un sérieux extraordinaire, loin de la simple curiosité des spectateurs ordinaires.

  N'y avait-il pas là Tonneau-Fleuri ? Jaen ne se souvenait plus de son vrai nom, mais il avait bien reconnu l'homme qui les avait conduits entre les murs de l’Université. Un sourire aux lèvres au souvenir de la voix du bonhomme, le prince continua d'observer les gradins. Une place était vacante au centre et il supposa que c'était celle du Gardien. Ce dernier arriva bientôt. Il apparut à sa place, sa charmante lamie au bras, et commença par un discours d'encouragement.

 « Jeunes gens, demoiselles, fils et filles de la terre et de la mer, je vous souhaite la bienvenue à Saltar. J'espère que votre voyage jusqu'ici fut agréable, parce que les heures et les jours à venir ne seront pas de tout repos. Et je ne promets pas qu'ils seront agréables ! reprit-il après une courte pause. Que vous vouliez conquérir le monde, vous instruire ou atteindre un idéal qui vous est propre, vous êtes au bon endroit ! Bienvenue ! »

  Dans la foule de candidats, certains réagirent à mi-voix. Parmi eux, Xaan Talin renifla dédaigneusement avant de repérer Hevlaska dans les gradins. La petite silhouette voilée était dissimulée dans les rangs les plus élevés, mais l'assassin avait l’œil perçant. Il la regarda fixement et elle finit par réagir en communiquant par télépathie.

"Détends-toi, tu as l'air constipé."

"Je suis détendu !"

"Je vois ça."

  Le rire de la voyante résonna dans sa tête. L’assassin détestait l'emprise que la vieille gardait sur lui. Il grimaça puis écouta la suite du discours du Gardien qui se montrait inutilement grandiloquent.

 « Je suis heureux que vous soyez toujours aussi nombreux à tenter votre chance chaque année. C'est un vrai plaisir de voir une jeunesse aussi vigoureuse et motivée. Mais je me dois vous avertir : seuls les plus méritants parviendront à gagner leur place à Saltar. Cette place qui vous permettra de gagner le respect du monde, de votre seigneur, de votre famille ou de vous-même. Gagnez votre place avec honneur et l'avenir vous appartiendra ! »

  Des applaudissements répondirent à l'élan d'encouragement. Talin leva les yeux au ciel devant cette hypocrisie générale. On voyait bien que le vieux n'en pensait rien et que ce n'était qu'un discours cent fois répété. Il n'y avait pas de quoi faire autant de bruit ! Les paysans qui l'entouraient ignoraient qu'ils ne passeraient pas le deuxième niveau, voire le premier pour ceux qui ne remplissait aucun des critères de sélections.

   L'assassin soupira et tâcha de cerner les autres candidats. Il y avait vraiment de tout sur la place : du paysan au bourgeois en passant par l'homme de tribu. Du père de famille au gamin, en passant par le bandit de grand chemin. Il y avait même des animaux -des arkiens pour ne pas les vexer-, et plus de femmes qu'on aurait pu s'y attendre.

  Sur sa droite, un drôle de couple faisait tache dans la foule. Une grande blonde, habillée comme un homme à la pompeuse mode larfonienne, lui tournait le dos. Sa compagne, aux cheveux rouges comme le sang et en armure de cuir, se tenait de profil. La seconde était à coup sûr une guerrière à en juger par la façon dont elle se tenait même sans lame à sa hanche.

   Après un temps d’observation supplémentaire pour ce couple-ci, Talin s’aperçut qu’il avait fait erreur: la blonde était un homme très efféminé. Probablement un prince de Xyl. Quoi qu'il en soit, celle qui retenait son attention, c’était la jeune femme qui discutait avec lui. Elle dégageait quelque chose qui stimulait son intérêt. Cela ne lui était pas arrivé depuis très longtemps.

   La rousse tourna vivement la tête vers lui et le darda d'un regard peu amical. Xaan l’avait peut-être fixée un peu trop longtemps et se détourna rapidement. De s'être fait prendre, quelque chose remua dans son ventre ; l'assassin préféra oublier cette sensation et se concentra sur le Gardien.

*

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