Inconnue

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“ Il y a certains inconnus qui nous font tourner la tête, qui nous obsèdent mais, malgré tout, on veut qu’ils restent ce qu’ils sont; des inconnus. ”

   Elle est restée ainsi assise au pied d'un arbre qui la surplombait de toute sa hauteur, parce qu’elle voyait ses branchages comme une sorte de protection, c’était une manière pour elle de reconstruire sa bulle, elle ne savait cependant pas s'être engagée en territoire occupé. Sans se soucier du monde extérieur, elle était donc restée avec ses jambes en tailleur, s'occupant avec un simple bâton qui traçait, à l'aide sa main et de son imagination, tout un tas d'histoire dans la terre. Juste elle et la nature, elle ne prit conscience que plus tard que, contrairement à ce qu'elle avait pu croire, cet endroit était le seul où elle se sentait bien. Mais nous ne sommes jamais complètement seuls. Une ombre furtive, silencieuse, traversa son champ de vision à plusieurs reprises, elle s'était demandée si ce n’était pas son imagination. Le soleil avait presque fini sa descente et il ne restait que de rares rayons rosés cachés par les arbres, elle ne voyait plus que des taches de noir et de gris, le paysage était devenu un théâtre où réalité et imaginaire se mélangent pour ne faire plus qu'un. Un théâtre d'ombres terrifiant qui l'avait pétrifiée sur place pendant de longues minutes tandis que son regard ne pouvait se détacher d'une ombre en particulier qui lui semblait beaucoup trop bouger pour n'être que le fruit de son imagination.

Un mouvement de sa part, et l'illusion fut brisé. Elle regarda l'ombre s'évanouir dans la noirceur du paysage pour n'être plus qu'un souvenir. Un hurlement de loup se fit entendre, puis de nouveau de silence. Inutile de préciser qu'elle ne s'était attardée plus que cela et était rentrée chez elle, le cœur battant dans sa poitrine, mais plus seulement à cause de la peur, il y avait en plus une certaine excitation suite à ce qu'il venait de se passer. Elle avait l'intime conviction que ce n'était pas son imagination, mais bien quelqu'un, ou plutôt quelque chose, elle était juste loin de se douter que cette ombre cachait un monde tout entier qui lui restait encore à découvrir.

Il y a certains moments qui, en plus de marquer manière permanente notre esprit, laisse une trace indélébile sur notre corps, comme s'ils se sentaient tellement importants qu'ils souhaitaient laisser une trace en plus, une trace visible de tous qui rappellerait sans cesse à son porteur qu'il avait eu lieu, aussi bien que ce soit il y a quelques mois que plusieurs années en arrière. Nous sommes quelques jours après sa première balade dans les bois, et c'est depuis ce jour que la jeune fille a une cicatrice sur le haut de son front, une cicatrice blanche qui part de la racine de ses cheveux jusqu'à la naissance de son nez. Elle n'est pas très belle, en effet, mais les cicatrices ne sont pas faites pour êtres belles, juste pour rappeler.

Et, visiblement, cela a marché puisqu'elle se souvient parfaitement de ce jour, elle le voit d'ailleurs comme un point de bascule dans sa vie. Une nouvelle fois, l'enfant s'était aventurée seule dans les bois, les circonstances ? Elle ne s'en souvient pas, elle en avait déduit une dispute avec ses parents puisqu'elle se souvenait des larmes sur ses joues et de la colère qui remplissait son petit être. Une nouvelle fois guidée par son instinct, ses pas l'avait menée jusqu'à cette même clairière, elle ne s'en trouvait pas beaucoup plus différente de la dernière fois qu'elle s'y était rendue, mis à part peut-être qu'elle lui avait semblée plus lumineuse, mais certainement n'était-ce qu'une illusion de la part de son esprit qui avait, de lui-même, assimilé cet endroit isolé à la liberté, c'était en quelques sortes son endroit rien qu'à elle, ou presque..

Il n'y eut pas de jeux d'ombres cette fois-ci, mais bien un loup qui s'était tenu devant elle, à quelques mètres. Ce n'est qu'en y repensant plus tard, lorsqu'elle fut rentrée chez elle, qu'elle avait trouvé que le comportement de ce dernier avait été plus qu'étrange, sur le moment, la peur l'avait empêchée de réfléchir. Elle se tenait donc là, recroquevillée sous le même arbre, fixant de ses yeux humides la forme qui se détachait devant elle dans l'obscurité naissante. Il lui sera impossible d'oublier ce loup, qui s'avérera par la suite être une louve, mais elle ne savait faire la distinction à cet âge, au pelage mélangeant les teintes de gris, de la plus claire jusqu'à la plus foncée, qui se tenait juste devant elle, à une dizaine de pas. Il lui donnait l'impression de la fixer lui aussi. Ce fut comme un instant hors du temps, dans une petite bulle isolée, mais il fut brisé par un grognement sourd.

En ce qui concerne la suite, tout s'est passé très rapidement, mais aussi très lentement dans l'esprit de la jeune fille. Ce grognement avait été perçu comme un signal, c'est d'ailleurs l'élément qui la réveilla, la tirant par la même occasion de cette bulle, elle ne sait s'il venait réellement du loup qui se tenait face à elle, comme elle avait pu le croire à l'époque, ou s'il s'agissait d'un autre, probablement caché dans l'ombre des arbres. Elle s'était levée d'un bond puis avait, une nouvelle fois, couru. Juste couru mais, cette fois-ci, il n'était pas question d'une course contre ses problèmes, mais bien d'une course pour sa vie. À cet âge, elle était encore faible et les contes racontés par ses parents avaient bien fait leur chemin jusqu'à son esprit puis qu'elle s'imaginait toutes sortes de scénarios si jamais elle ne parvenait pas à courir assez vite. Mais aucun d'entre eux ne se réalisa. Elle se sent cependant bête d'avoir pu, à un seul instant, songé qu'elle aurait pu courir plus vite que le loup qui la suivait. Un regard en arrière, il était juste là, à un, ou peut-être même deux mètres, et la panique l'envahit. Une seconde d'inattention suffit à ce qu'elle se prenne les pieds dans une racine, à moins qu'elle ne se les soit emmêler seule, et c'est la chute.

Rapide, brutale, telle fut la chute ; elle était debout et, l'instant d'après, elle était au sol, une douleur lancinante lui martelant le crâne, et quelque chose de chaud commençant à couler le long de son front, du sang. Mais ce n'était pas ce qui la préoccupait à cet instant puisque la seule chose qu'elle avait en tête était ce loup derrière elle. Elle se retourna donc avec un peu de difficulté à cause de ses membres douloureux, elle en gardera quelques bleus pendant une semaine, et du fait qu'elle voyait flou, le paysage autours d'elle en étant réduit à des tâches de couleurs, il y en avait cependant une bien plus grosse devant elle, une tâche grise, et il ne fallut pas plus de temps à l'enfant pour se rendre compte qu'il s'agissait du loup. Un réflexe inutile d'enfant, qu'elle garde encore à ce jour, elle mit ses mains devant elle, comme si cela aurait pu faire fuir la louve, ses yeux se fermaient aussi, comme si ce qu'elle ne voyait pas n'existait pas, mais cela ne se passe ainsi dans la réalité.

Cependant, la réalité est souvent surprenante puisqu'elle diffère des suppositions de notre esprit. L'enfant sentit quelque chose d'humide se poser sur ses bras et, pétrifiée par la peur, elle ne sursauta même pas. Ses petites mains qui cachaient ses yeux furent écartés par la louve qui la regardait dans les yeux, elle était à quelques centimètres de son visage mais, étonnamment, la jeune fille n'avait plus peur, bien au contraire, c'était comme si elle avait sentie que l'animal qui lui faisait face était bien plus qu'un simple animal sauvage et, surtout, qu'elle ne lui voulait aucun mal, bien au contraire. Tandis qu'elle n'osait bouger d'un poil de peur de ne briser le moment et que, de part ses gestes brusques et maladroits, elle ne face fuir la louve, ou alors que cette dernière ne décide finalement de l'attaquer, l'animal eut l'impression d'avoir la volonté de réconforter l'enfant. Elle lécha la plaie sur son front, sûrement dans l'optique de la nettoyer en y enlevant le sang qui coulait, et elle se blottit contre elle. Une nouvelle bulle s'était formée.

Et, une nouvelle fois, la bulle fut éclatée. Cette fois, pas de grognement, mais des cris au loin dans la forêt, suivit d'une lumière jaunâtre qu'elle reconnut comme étant celle d'une lampe torche. Elles étaient trop loin pour comprendre ce qu'il se disait, mais nuls doutes que c'était son prénom qui était scandé par toutes ces voix, alors qu'elle ne bougeait toujours pas, se sentant juste bien à cet instant, la louve se releva et, après un dernier regard en direction de l'enfant et des lumières qui devenaient de plus en plus fortes, signe que leur source se rapprochait, elle déguerpit, se fondant avec les ombres. La suite, elle ne s'en souvient pas vraiment, il faut dire que cela ne l'avait pas marqué tant son esprit était obsédé par ce qu'il venait de se passer, elle n'avait que cela en tête et ce jusqu'à leur prochaine rencontre. Certainement que ses parents l'avaient ramenée, soignée, et peut-être disputée sans qu'elle n'écoute vraiment leurs discours. Pendant plusieurs jours, cette rencontre tournait en rond dans sa tête, faisant naître toujours plus de questions sans qu'elle n'ait de réponses pour autant. A présent, alors qu'à l'époque qu'elle aurait tout donné pour une réponse, elle s'est rendue compte qu'il y a certains inconnus qui nous font tourner la tête, qui nous obsèdent mais, malgré tout, on veut qu’ils restent ce qu’ils sont; des inconnus, parce que c'est mieux que les cours de leur vie ne croise pas la nôtre.

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