Chapitre 8. Amen

15 minutes de lecture

Émissaires, diplomates ou encore otages, les agents du Grand Conseil en dimensions étrangères portent différents noms en fonction des régions où ils opèrent et des statuts juridiques qui y sont les leurs. Ils sont garants de la bonne entente inter-espèce et doivent faire l’objet d’un contrat précis qui assurera leur protection et sécurité le temps de leur séjour. Ce contrat comporte en temps normal une clause d’échange : un otage pour un otage, une clause de sauf-conduit paraphée et verbalisée lors de la cérémonie de l’échange par le chef de clan, ainsi qu’une clause de bonne entente dont la substance exacte reste la plupart du temps assez floue. Les termes exacts du contrat peuvent cependant varier en fonction des circonstances qui ont menées au dit contrat et n’impliquent pas toujours toutes les clauses, souvent dans une volonté assumée de déséquilibre entre les différentes parties, et ceci en toute légalité, du moment que le contrat est déposé aux bureaux du Grand Conseil.

… sur le Grand Conseil.

DEUX SEMAINES PLUS TARD

Emi n’avait vraiment pas envie de s’en aller, surtout pour des contrées inconnues et périlleuses. Àbien regarder les mines renfrognées de ses frères, ils n’en pensaient pas moins. Ces allures défaites la convainquirent de ne rien laisser paraître de ses propres craintes.

Emi serra les poings et croisa les iris sombres et en apparence impassibles de son père. Il semblait la défier de dire quelque chose, de contester une fois pour toute sa décision. Elle ne le ferait pas. Pourtant, arrivée à ce point, ce serait le seul moyen de le faire plier. Verser une larme et laisser voir qu’elle ne souhaitait pas véritablement partir suffirait à convaincre ses frères et sa mère de faire des pieds et des mains pour la garder auprès d’eux, mais Emi était plus forte que cela. Ni larmes de crocodiles, ni réclamations n’étaient donc à l’ordre du jour. Elle devait simplement se montrer forte et faire face au destin. Qu’elle y ait consenti ou non n’était plus la question – si tant est qu’elle l’ait un jour été. Elle devait regarder devant elle et faire de mauvaise fortune bon cœur, faire en sorte de tirer le meilleur parti de cette situation. Cela ne sonnait-il pas comme un discours trop souvent répété ? Pourtant le ressasser ne l’avait pas rendu plus facile à accepter.

Emi détourna les yeux et sourit à sa mère aussi fort qu’elle s’en sentit capable, l’étreignant étroitement et respirant à grandes goulées son parfum. Emi en profita donc pour frotter son nez contre les doux cheveux de sa mère, pour s’imprégner une dernière fois de l’odeur familière de son foyer : fleurs de cerisier, épices dont était parsemé leur nourriture et Air gonflé d’effluves forestières et lacustres.

Voyant sa détermination faiblir, Emi quitta le repère qui sentait bon l’enfance des bras de sa mère pour enlacer maladroitement Aki. En riant, gêné, il tapota le dos de sa sœur. Elle interrompit rapidement ce qui ressemblait un peu trop pour lui à une torture. Non sans d’abord déposer un baiser mouillé sur sa joue sèche et rasée de près. Elle esquiva même en riant le bras qu’il élança pour la frapper. Daiki lui accorda une ferme accolade malgré de sonores protestations. De ses deux mains mouillées par son pouvoir, la jeune sorcière le décoiffa. Elle s’élança finalement dans les bras grands ouverts d’Ibuki.

— Je vois au moins un avantage à mon départ. Vous ne pourrez plus menacer chaque homme qui m’adressera la parole des pires tortures. J’ai appris ce que vous aviez dit à Maxime. Vous n’étiez pas sérieux ? se moqua Emi en secouant la tête à l’adresse de chacun de ses frères. D’ailleurs, Daiki, à ta place, je réclamerais réparation auprès de Maxime, parce que les mots qu’il a utilisés pour parler de votre entrevue étaient peu flatteurs. Une histoire de chaton hérissé et de cuvette de toilettes ? poursuivit-elle sous les cris indignés de son cadet.

Ses deux autres frères se renfrognèrent, puis éclatèrent de rire et l’atmosphère se détendit. Elle ne voulait pas partir avec l’image de leurs têtes d’enterrement. Elle avait quand même l’intention de revenir en un seul morceau !

Se reculant, Emi observa sa famille ainsi réunie et riante, et son cœur se serra à la pensée qu’elle ne les reverrait pas un mois durant. Ce serait la première fois qu’elle quitterait aussi longtemps ses proches.

— Allez, dépêche-toi, tu vas me faire pleurer, ricana Aki en faisant mine d’essuyer des larmes invisibles aux coins de ses yeux.

Leur mère gifla le jeune homme derrière la tête. Ce dernier se contenta d’élargir encore son sourire goguenard et de se frotter le crâne.

— Ne l’écoute pas, Emi. Prend tout ton temps. Nous avons tout notre temps, affirma sa mère avec un sourire. Ces changeformes peuvent bien attendre.

Pas vraiment, mais les de Belle avaient pour précepte de toujours faire attendre les autres, de se faire désirer. Ainsi, Emi avait hérité de sa mère son sens particulier de la « ponctualité » à la grande horreur des formateurs successifs qu’elle avait eu dans son enfance.

Par la Déesse, comment allait-elle survivre à cette situation ? Àforce de lutter contre l’inévitable et de grogner après le sort, elle n’avait que peu pensé à ce qui l’attendait. Une bonne chose, dans le sens où elle n’avait pas passé ces dernières semaines à se ronger les sangs. Une moins bonne, parce qu’elle se retrouvait à présent les mains ballantes, se demandant comment elle allait bien pouvoir s’en sortir. Bien sûr elle avait reçu nombre de conseils de son père et de Maxime, mais cela ne suffisait pas à la rendre à l’aise avec la situation.

Son père lui avait dit de faire confiance à leur Déesse, à la Communauté et aux instincts de Raphaël. Quoi de plus facile, évidemment ? Comment avoir confiance en Raphaël, lui qui n’avait pas cru bon de l’informer de ses intentions à son égard ? Cela lui paraissait impossible, pourtant il faudrait bien, si elle devait en croire son instinct de préservation.

Malgré ce que Maxime puis Ibuki lui avaient appris, elle se sentait démunie. Qu’étaient quelques attaques du poing, jets d’Eau et astuces diplomatiques – merci à son père et à Aki, pour cela – contre des crocs, une vitesse et une force extraordinaire ou de manœuvres de conspirateurs ? Des broutilles, certainement.

— Allez c’est l’heure, à force de le dire, nous allons vraiment être en retard. Et, ici, tout le monde ne s’appelle pas de Belle et ne peut se permettre d’insulter des rois, rétorqua le patriarche Wakahisa avec un soupir impatient en direction de sa femme qui continuait à tenir la jambe de sa fille.

Avait-il tant que cela envie de se débarrasser d’elle ?

Emi adressa un salut général à sa grande fratrie si protectrice. La nouvelle chargée du Grand Conseil qu’elle était devenue ne pouvait s’attarder plus longtemps auprès des siens au risque de contrarier des gens importants, dont dépendait très certainement la paix internationale.

Elle rejoignit donc son père qui se trouvait déjà sur la pas de la porte.

Ils parcoururent au pas de course le chemin qui les menait directement au centre du village, dans un silence tendu.

Maxime et Laetitia les attendaient près d’un portail éphémère. Il s’étendait comme un écran translucide entre les deux extrémités de la grande place du marché, à cet instant dépeuplée. Seuls quelques herbes aromatiques et fruits écrasés sur le sol pavé irrégulièrement suggéraient son passage quelques heures plus tôt.

Dai agrippa l’épaule de sa fille avant qu’elle ne saisisse la main que lui tendait Maxime. Emi tourna la tête vers son père et croisa son regard. Elle le trouva étonnement nerveux.

— Te souviens-tu de ce que je t’ai dit ?

Emi hocha la tête.

— Faire profil bas, observer, être avenante et… écouter Raphaël, répéta-t-elle, obéissante.

— Bien. Je suis certain que tu t’en sortiras bien.

Emi rit jaune.

— Parce que je suis ta fille ?

Il secoua la tête et ses yeux noirs rencontrèrent ceux de sa fille. Leur profondeur la choqua. Àcet instant, il était très sérieux.

— Non. Parce que tu es sacrément futée.

Les yeux d’Emi s’écarquillèrent. D’où est-ce que cela sortait ? Depuis longtemps, elle avait abandonné l’idée d’attirer son attention, parce qu’elle avait appris qu’elle représentait pour lui une grande déception. Elle n’avait jamais souhaité suivre ses traces, mais après tout, en cela elle ne différait guère d’Ibuki. Pire, elle avait fait fi – la plupart du temps – de ses conseils et n’en faisait qu’à sa tête. Il aurait voulu avoir une fille obéissante, qu’il aurait pu marier dans la tradition de son pays et aurait vu quitter son giron. Mais non, elle s’était agrippée. Elle était une sorcière, personne ne pourrait la modeler et elle tenait à sa famille comme à la prunelle de ses yeux. Ces dernières années, il avait abandonné la plupart de ses espoirs la concernant, se désintéressant de son sort. Du moins, c’était ce qu’elle avait cru. Pourtant, il n’avait, semble-t-il, pas tant hâte que cela d’être délivré de sa présence. S’était-elle trompée ? Elle n’aurait pas l’occasion de répondre à cette question…

Émue, elle sourit à son père, pressa sa main toujours posée sur son épaule, avant de se détourner sur un au revoir un peu trop éraillé à son goût.

Elle n’oublierait pas qu’il l’avait mise dans cette situation, mais se souviendrait que c’était pour de curieuses bonnes intentions. Elle n’approuvait pas ses méthodes, mais elle comprenait qu’il pensait faire pour le mieux. Qu’il considérait qu’il l’aiderait à grandir en la poussant en dehors de sa zone de confort. Il avait semble-t-il compris une chose sur elle. Elle avait besoin d’être un peu secouée pour sortir de sa chrysalide. Qui savait quelle papillon elle deviendrait ?

Emi saisit la main toujours tendue de Maxime et franchit avec lui le portail translucide étendu entre deux flux de Feu dimensionnel à leur intention par Laetitia. Seuls les sorciers d’Essence, ayant la capacité de manier les éléments originels de la dimension et les flux spatio-temporels, permettaient les voyages inter-dimensionnels en dehors des portails fixes.

Elle fut éblouie un instant, au moment de passer le portail, avant de découvrir le panorama verdoyant de la dimension changeforme. Elle lâcha la main de son chef de clan et tourna sur elle-même pour bien prendre conscience de ce qui l’entourait.

Le ciel de cette fin soirée mêlait l’orange au rouge. Les rayons de l’unique étoile des changeformes traversaient les feuilles violettes des arbres que toutes les dimensions magiques avaient en commun et se réverbéraient sur les obstacles nombreux de cette nature si dense. Emi se baissa pour observer de plus près un amas de fleurs qu’elle n’avait jamais vues que dans ses livres et posa des doigts aussi légers que possible sur les pétales d’un rose poudré si pur d’un des spécimens, craignant d’en altérer la perfection de son simple contact. Un murmure réjouit lui échappa quand elle ressentit la texture douce et fraîche.

Emi se releva et frôla de ses doigts l’écorce brun-rouge intense d’un arbre clairement millénaire. Elle leva ensuite les yeux et eut la chance de pouvoir voir passer une volée d’aucellus[i]bleus dans le ciel, entre le feuillage écarlate. Ils réfléchissaient de leurs grandes ailes étincelantes la lumière couchante du jour. Ils laissaient derrière leur passage de « la poussière d’aucellus » connue pour ses vertus curatives. Emi en ramassa du bout des doigts et goûta ce nectar divin avec un nouveau cri enjoué.

Emi faisait un pas vers l’intérieur de la forêt pour en découvrir davantage, quand Maxime lui saisit le poignet pour l’arrêter.

— Emi. Ils nous attendent.

Elle se renfrogna un instant, mais son sourire ne quitta pas ses lèvres. Elle était heureuse d’avoir l’occasion de découvrir enfin ce qui faisait la nature de la dimension changeforme. Elle pouvait même dire qu’elle avait hâte d’étudier tout ce qu’elle avait à offrir. Imaginer ce qu’elle recelait comparée à sa propre dimension, fille de celle-ci, suffisait à la mettre en joie, malgré les circonstances. Elle avait pris l’habitude, chez elle, de flâner des heures entières dans la forêt. Bien sûr, elle n’était pas là pour cela, mais l’un n’empêchait pas l’autre, n’est-ce pas ? Ne serait-ce pas une façon d’exhausser sa promesse de faire contre mauvaise fortune bon cœur ?

Emi revint sur ses pas et s’avança dans la direction que Maxime lui désignait de la main. Il l’observait avec ce sourire patient qui était sa marque de fabrique, lui tendant son bras droit. Elle le saisit et joignit son pas lent au sien.

Ils traversèrent l’orée de la forêt et suivirent le chemin sinueux qui menait au gigantesque palais changeforme. Celui-ci alliait une part de gothique – il fallait le dire assez splendide – et tous les agréments caractéristiques des demeures modernes. La roche rose typique de cette dimension était magnifique, tout comme les gigantesques vitres qui promettaient beaucoup de lumière naturelle. Une grande rose en vitrail parait la tour principale non sans allure. Emi vit, avec étonnement, que la grande porte était ouverte sur un pont levis en bois de lignum rubrum.

C’était glorieusement désuet. Comme si ce palais, personnification du règne changeforme sur la dimension, s’accrochait à son passé sans vraiment consentir à de drastiques changements. Et pourtant, elle savait que les changeformes étaient un peuple particulièrement « moderne », ils n’avaient pas esquivé les nouvelles technologies et tant par leur langage que par leur culture avaient profondément évolués. Emi connaissait quelques personnes et institutions qui devraient en prendre de la graine. Les traditions pouvaient être préservées sans pour autant que tous doivent céder aux obsolètes préceptes des anciens.

Ils ne croisèrent personne en entrant dans ce qui ressemblait en tout à une riche forteresse d’archimage[ii], mais virent au loin, dans la cour, quelques personnes réunies pour les accueillir.

Àmesure qu’ils avançaient, Emi put constater qu’il s’agissait de Raphaël lui-même, accompagné de quelques-uns de ses lieutenants ainsi que d’un sorcier dont elle n’avait pas la moindre idée de l’identité.

Maxime dut percevoir son étonnement, parce qu’il expliqua :

— Il s’agit de Nathan. Tu le relayes, en quelque sorte. Il est ici depuis bientôt six mois.

Si Raphaël avait tant tenu à ce qu’elle vienne, cela devait être pour une bonne raison. Avait-il échoué ? Ou au contraire avait-il été attaqué et fallait-il le remplacer ? Elle ne pensait pas forcément correspondre à la personnification d’une force pacificatrice qu’on voulait bien voir en elle, mais l’idée n’était pas mauvaise en soi.

— Àcôté de Raphaël, tu peux voir Kajin, son premier lieutenant. Un changeforme talentueux et adepte des arts martiaux.

Il avait une silhouette longiligne et de longs cheveux d’un noir profond qui retombaient bien au-delà de ses minces épaules. Ses mains étaient posées sur ses hanches étroites, à peine dissimulées derrière un pantalon beige en ilfas[iii]. Emi ne put distinguer clairement ses traits, mais sa position nonchalante lui suggérait une attitude assez indolente. On l’imaginait aisément, écroulé sur sa couche, les paupières à demi closes, parfaitement détendu. Le félin qu’il incarnait n’était-il pas connu pour dormir plus que son comptant ? Nul doute que la position étendue, ses cheveux noirs s’étalant sur le blanc de ses draps et de sa taie d’oreiller, lui siérait à merveille. Elle se le figurait nettement moins combattre des ennemis féroces, avec la délicatesse apparente de sa structure osseuse. Raison pour laquelle, il fallait s’en méfier. Il n’en était pas moins un changeforme et un lieutenant.

— De l’autre côté, tu peux trouver Elijah. Il donne deux-cents ans à son roi et bien qu’il n’ait à son effectif, à ce qui se dit, que trois bêtes, il possède quelques dons intéressants dans le domaine de la guérison et manie aisément l’arc et le couteau.

Emi hocha la tête. Elle avait entendu parler de celui-ci. Il était connu pour être particulièrement impétueux et irrespectueux, mais était, comble de l’étonnant, le meilleur ami de son roi. Ses pieds étaient nus et derrière ses cheveux bruns se dévoilaient de grandes oreilles animales poilues. On aurait dit qu’il avait été interrompu dans sa transformation. Cette apparence à demi sauvage lui conférait un air si dangereux qu’Emi en frissonna.

Encore une félin ? Mais combien étaient-ils ? Elle avait bien perçu que Raphaël le possédait également à son compteur, le ronronnement de sa voix et les fentes de ses iris ne pouvant la tromper sur ce point, mais il devait bien y avoir d’autres espèces dans cet univers. Même si, elle devait l’admettre, le félin était certainement le plus élégant de tous.

Raphaël était plus sournois qu’Elijah ou même Kajin. Il n’avait pas besoin de révéler aux yeux de tous son animal ou d’en acquérir l’attitude, il incarnait littéralement l’animalité. La menace qu’il représentait était dissimulée avec plus de soin derrière une apparence et une attitude un tantinet plus policée – à l’échelle changeforme, évidemment. Si, même de loin, Emi sentait la force émaner de ses lieutenants, il fallait scruter le fond des yeux de Raphaël pour s’en rendre compte. Et là était le danger. Parce que si l’on se rapprochait trop d’une bête sauvage… on risquait indéniablement de se faire croquer.

— Àcôté de lui se trouve Belinda. C’est la meilleure amie de sa mère, une sorte de tante de substitution pour lui. Elle est sa confidente. Àta place, je me méfierais de ses crocs, en priorité. Son animal totem est le renard. Elle a la confiance de Raphaël et c’est une rusée.

On devinait tout de suite que Raphaël et Belinda n’avaient aucuns liens biologiques. Les cheveux de la femme étaient d’un blond platine, alors que ceux de Raphaël étaient châtain foncé. Elle était particulièrement petite là où, lui, culminait bien au-dessus du mètre quatre-vingts. Pourtant, quand elle lui parla, il se pencha vers elle avec une attention révélatrice.

Brusquement, Maxime interrompit ses explications. Ils devaient se trouver à présent assez près pour être entendus à oreille de changeformes. Prudemment, ils franchirent les derniers mètres qui les séparaient du groupe.

Raphaël, sans un mot, tendit la main à Emi. Après un regard en direction de Maxime, elle la saisit et fut doucement tirée de son côté. Maxime relâcha son autre bras et Emi se sentit franchir une sorte de frontière incorporelle. Un frisson la remua, la secouant tout entière.

Sa Déesse ne la protégeait plus.

Elle ne la sentait plus dans son aura, dans son âme. Emi eut la fugace et dangereuse impression d’avoir été abandonnée. Elle n’était plus en terre de magie – en tout cas, pas la sienne – plus en terres régies par les puissances sorcières. Elle n’était pas en terre conquise. Hécate ou même robustum silvia[iv]ne pourraient plus rien pour elle. Elle était sous le pouvoir de la divinité sauvage des changeformes : Meriah.

Maintenant, Emi n’avait plus que ses pouvoirs, sa cervelle et Raphaël pour la protéger.

Amen.

Raphaël ne relâcha pas immédiatement sa main, mais fit signe à Nathan de rejoindre Maxime. Ce dernier le fit sans rechigner et lança simplement un regard noir aux changeformes qui le lui rendirent bien. La tension entre eux tous était palpable. Quoi qu’il soit arrivé, Emi avait un peu pitié du sorcier. Elle avait la chance, personnellement, de n’être l’obligée du Grand Conseil que pour un mois. Nathan serait certainement renvoyé dans d’autres contrées toutes aussi hostiles aussitôt rentré.

Finalement, Raphaël relâcha sa main et prononça, pour la première fois, quelques mots.

Emi secoua son bras. Sa peau frémissait encore du contact brûlant qu’ils avaient un instant partagé. Le froid la traversa dès l’instant où il se rompit. Sa magie pétillait à l’endroit où il l’avait touchée, comme si elle en réclamait davantage. Emi sentait bien que leurs auras danseraient bien trop souvent ensembles pour sa santé mentale durant ces prochaines semaines, s’il s’obstinait à la toucher. Ne lui avait-elle pas interdit ?

— Comme promis, en échange, nous vous rendons Nathanaël Vaudois et cédons à votre nation notre propre « otage ».

Parce qu’aucun otage n’avait été échangé contre Nathan ? Avait-il été rendu plus tôt ? Cela serait pour le moins étrange. Pire, cela ne faisait pas partie du cérémonial instauré par le Grand Conseil.

Raphaël fit signe à Elijah et celui-ci partit silencieusement. Il revint un instant plus tard, accompagné d’un grand homme au sourire cousu à l’envers. Sa chevelure blonde rasée très courte lui donnait une allure très militaire, à laquelle s’ajoutait des traits épais et semblant avoir été taillés à la serpe. Il traversa avec assurance la frontière magique, pour entrer dans l’antichambre du monde changeforme. Le portail interdimentionnel qui avait conduit Emi en terres changeformes, le ferait passer dans le monde sorcier. Qu’il ait pu franchir cette frontière sans même tressaillir pour rejoindre Maxime étonna Emi. Est-ce que les changeformes sentaient même cette magie ?

Face à la brute épaisse, avec son allure altière, son chef avait l’air d’un prince. Pourtant, seul, son apparence aurait plutôt correspondu à celle de Lucifer, lui-même. Sombre et malicieuse. Face à la montagne d’agressivité contenue, on lui aurait pourtant donné « le bon dieu sans confession » comme cela se disait en terres de sans-pouvoirs.

— Bienvenue Emiko Wakahisa de Belle, énonça Raphaël avec une solennité inhabituelle.

Après un nouvel instant de silence, il reprit une des mains d’Emi entre les siennes, brûlantes et légèrement calleuses. Elle se retint de protester. Qu’en savait-elle ? Cela faisait peut-être partie du cérémonial ?

Sa main trembla entre les siennes, mais elle lui adressa un lent sourire qui lui parut foncièrement malhonnête. Qu’ils aillent au diable – lui et les siens – avec ces manigances !

Elle voulait rentrer chez elle !

[i]Oiseau en latin

[ii]Architecte

[iii]Textile fabriqué à base d’une plante qu’on peut trouver dans certaines dimensions magiques

[iv]Divinité primaire des elfes

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Folledelivres3112 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0