Chapitre 7. Le doigté

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Je jure de protéger à tout prix la paix pour le bien de la Communauté.

Je jure d’agir dès que la possibilité m’en sera donnée pour garantir la pérennité du Grand Conseil.

Je jure de garantir l’intégrité de la Communauté et du Grand Conseil.

Je jure de ne rien faire pour nuire à quelqu’institutions ou membre de la Communauté.

Je jure de donner ma vie, s’il le faut, pour n’importe quel membre de la Communauté.

Serment des agents du Grand Conseil

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UNE SEMAINE PLUS TARD

Emi haleta et s’appuya un instant sur ses genoux pour calmer sa respiration.

Cela faisait bien une heure qu’elle essayait de se rentrer dans la tête les conseils de Maxime, en vain.

Et une heure, c’était long. D’autant qu’elle ne pouvait prétendre avoir la condition physique de Maxime. Àpart pour chahuter avec ses frères, elle avait finalement peu d’occasions de véritablement se dépenser. Et ses poumons et son cœur le lui rappelaient douloureusement à présent.

Maxime, au contraire, en tant que chef ne pouvait se permettre une telle faiblesse. Parce qu'il fallait savoir résister psychologiquement à la charge de travail, mais aussi pouvoir rivaliser physiquement avec ses ennemis. Ainsi, Maxime avait développé des talents offensifs qui pouvaient concurrencer les sens surdéveloppés et la vitesse exacerbée des changeformes, thérianthropes et autres espèces sans capacités magiques. Il avait travaillé sa technique et appris à ressentir les mouvements et les énergies pour parer la force dont il était lui-même carencé.

Oh oui, Maxime pouvait se targuer, malgré son jeune âge, d’avoir amené son clan au plus haut de la hiérarchie. Et ce n’était pas uniquement dû à ses pouvoirs extraordinaires.

— Esquive au lieu de m’attaquer.

— Mais j’essaye !

Maxime secoua la tête et répliqua :

— Tu sais que c’est faux. Au lieu de te concentrer sur mes mouvements, tu attaques sans réfléchir. Rentre-toi dans la tête que tu ne pourras pas riposter contre un changeforme si tu n’observes pas comme il faut !

Il esquissa un nouveau mouvement. Il lança son bras droit, mis à nu par un t-shirt noir de sport, avança sa jambe gauche d’un petit pas et la fléchit légèrement. Le talon de sa main droite, recouvert de bandelettes noires, entra finalement en contact avec la clavicule d’Emi.

— Tu dois voir quand les muscles se contractent, quand le corps se penche en avant. Puis comprendre où est-ce que l’on t’attaque pour esquiver. Et je dis bien esquiver. Ce n’est qu’une fois que tu as déstabilisé ton adversaire que tu peux éventuellement passer à l’offensive.

Emi hocha la tête et se reconcentra. Elle avait eu de la chance que Maxime lui ait ménagé un peu de place dans son emploi du temps pour s’occuper de sa formation éclair au combat, ou plutôt à l’autodéfense, apparemment.

Maxime fit un pas en arrière et sauta quelques fois, pieds joints.

— Bien, reprenons.

Il répéta le même mouvement, mais plus rapidement et du bras gauche. Emi esquiva maladroitement et, une fois stabilisée, lança sa jambe vers le flanc découvert de son ami. Il lui saisit le pied et la repoussa en arrière, ce qui lui fit définitivement perdre son équilibre.

— C’est mieux. Mais, je n’ai jamais dit que tu ne devais pas utiliser ta magie. Je t’ai seulement dit d’utiliser ton cerveau et ton corps d’abord. Esquive avec ta tête et attaque avec ton pouvoir pour ne pas te mettre à découvert.

Des heures à lui dire de penser au-delà de sa magie pour, finalement, faire tout l’inverse. Elle allait devenir chèvre, avant d’avoir compris un seul de ses conseils.

Cette fois, Maxime esquissa une attaque croisée qu’elle peina encore une fois à éviter. Toutefois, une fois la chose faite, elle envoya une violente giclée d’eau en direction de son épaule droite. Hélas, son action trempa davantage le vêtement qu’elle ne repoussa l’homme en arrière. Après quelques mouvements maladroits, elle retenta une offensive qui eut le mérite de bousculer Maxime, mais pas avant que le pied gauche de celui-ci, par chance nu, ne la percute au ventre.

Emi se plia en deux en gémissant doucement. Il ne l’avait pas frappé particulièrement fort, mais cela faisait quand même un mal de chien.

— Tu oublies de réfléchir avec ton corps. Tu ne regardes pas vraiment. Tu attaques sans observer, constata-t-il non sans une pointe d’agacement.

— Pour observer faudrait-il encore que je ne sois pas déstabilisée par le coup précédent, s’énerva-t-elle, beaucoup moins tempérée que son chef de clan.

Elle se sentait impuissante. Quoi qu’elle fasse, ça ne marchait pas. Pire, elle tombait ou recevait un coup. Maxime avait beau avoir de la patience à revendre, il ne semblait pas pour autant parvenir à quelque chose avec elle.

Maxime soupira.

— On va essayer autre chose. Forme dans tes mains une boule de ton énergie.

Emi s’exécuta et réunit de l’Eau entre ses doigts.

Il élança le haut de son corps en avant, une jambe légèrement repliée pour se donner de l’élan, puis s’immobilisa.

— Qu’est-ce que tu dois faire, maintenant ?

Emi lança l’énergie vers son poing avancé. Maxime grogna, mais secoua la tête.

— Je suis déjà lancé, au mieux tu me ralentiras, mais tu subiras l’impact quand même. Ton but est de m’en empêcher, ou au moins de détourner suffisamment le coup pour l’éviter.

Emi baissa les yeux et observa à nouveau sa position. Finalement, elle lança l’énergie vers son genou replié et il trébucha.

— Bien ! Au lieu de te déséquilibrer, tu me déstabilises. Analyse mes points d’appuis, essaye de percevoir l’endroit où se trouve mon centre de gravité. Si tu fais ça, que cela arrête ton adversaire entièrement ou non, tu auras gagné suffisamment de temps pour prévoir ton prochain coup. Maintenant, imaginons que tu ne m’as pas vu venir avant qu’il ne soit trop tard. Qu’est-ce que tu peux faire ?

Emi haussa les épaules.

— Vois ta magie comme un bouclier et non comme une poignard, pour une fois. Les changeformes sont trois fois plus forts et rapides que nous. Il y a peu de chance que tu ais l’occasion d’attaquer. Tu dois avant tout savoir te défendre. Àtoi ! Essaye de te défendre avec ta magie. Mais n’oublie pas d’observer.

Maxime attaqua à nouveau sans grande surprise sur le haut de son corps. Mais cette fois, Emi intercepta in extrémis son coup en construisant un mur entre eux d’une bouffée d’énergie condensée. Au lieu lui jeter son pouvoir à la tête, elle l’utilisait pour se protéger. Elle ne s’arrêta pas là et ne lui laissa pas le temps de réitérer. Elle s’attaqua à lui de deux rafales successives en direction d’un de ses genoux et de sa hanche. Et finalement, au lieu de le bousculer avec sa magie, elle lança à son tour ses bras en avant et le percuta consécutivement aux deux épaules.

— Voilà ! Tu as saisi. Tu dois utiliser ce dont tu disposes ! Maintenant, essayons pour de vrai.

Àvitesse réelle ? Emi sentait de la sueur couler dans le creux de son dos et le long de ses tempes. Elle souffla sur les petits cheveux qui s’étaient échappés de sa queue de cheval et contracta les muscles de ses cuisses déjà éprouvés. Où est-ce qu’elle irait chercher l’énergie qu’il lui fallait pour poursuivre ?

Emi s’essuya le visage avec le bas de son t-shirt et frotta ses mains moites contre le tissu léger de son short, tout en observant les muscles des bras de son ami jouer lentement.

Finalement les muscles de sa jambe gauche se contractèrent, annonçant un coup particulièrement puissant. Effectivement, la jambe droite de Maxime se souleva du sol et s’approcha dangereusement de la hanche gauche de la jeune femme. Emi esquiva le coup d’un pas sur le côté et, ne lui laissant pas le temps de se stabiliser, envoya une salve d’énergie en direction de son buste déjà incliné vers l’arrière. De son pied, elle percuta son genou et il jura en grognant avant de tomber.

Emi poussa un petit cri de victoire et leva son poing vers le ciel. Elle sentait que cette fois, elle avait peut-êtresaisi ce qu’il essayait de lui expliquer. Il lui fallait observer, réfléchir, esquiver et penser mouvements et énergie.

Maxime se releva rapidement, comme s’il ne venait pas d’être jeté à terre, et lui sourit.

— Bien. Reprenons.

Il démarra immédiatement et lança son poing dans un mouvement inédit qu’elle ne put esquiver à temps. Ses phalanges percutèrent le menton d’Emi dont la tête partit en arrière. Elle ne sut pas par quelle magie cela arriva, mais elle se retrouva rapidement à terre. Le monde tournait autour d’elle.

Elle finit par se relever, certainement avec moins d’élégance et de vivacité que Maxime. Ce serait trop lui demander que de te tenir debout dans son état et d’avoir l’air alerte, en sus. Son menton la lançait, mais elle avait déjà mal partout…

Peut-être que finalement, elle n’avait pas si bien compris ? Ou alors, est-ce qu’il lui signifiait simplement que tout ne se faisait pas forcément selon les règles et que quelqu’un qui voudrait vraiment s’en prendre à elle ne rechignerait pas à des coups bas ?

Cette fois, ce fut elle qui lui fit signe de reprendre.

Il lança son genou vers son ventre, ce qu’elle esquiva relativement aisément par sa magie. Elle lança son poing vers sa clavicule gauche, sans grand succès, pour voir un crochet du droit se précipiter vers elle. Elle l’évita également, se rapprocha de Maxime et, simultanément, envoya son genou percuter son aine avant de lancer son front contre le nez de son adversaire quand celui-ci se replia légèrement sur lui-même.

Emi fit ensuite un pas en arrière et attendit le verdict.

Maxime plissa les yeux vers elle et souffla :

— Tu es passée à rien de …

— Je sais.

Finalement, il éclata de rire.

— Plus tes coups seront imprévisibles, mieux ce sera. Parce que tu ne peux pas t’attendre à ce qu’ils jouent de façon réglementaire. Il est question de survie, ici. C’était très bien joué. Une fois que tu l’as blessé, ou même déconcerté, qu’est-ce que tu fais ?

— Je cours.

— C’est ça. Tu ne dois jamais chercher le combat et plutôt que de blesser réellement, tu dois préférer la fuite. Cours rejoindre Raphaël, ou même un de ses lieutenants.

Emi hocha la tête. Cela, elle l’avait compris. Sa vie était, de fait, moins importante que la bonne entente de la Communauté. Elle ne devait jamais la mettre en danger par ses actes. Elle se devait de survivre, de savoir se défendre, mais une sorcière émissaire ne pouvait attaquer, s’en prendre à un membre d’une autre espèce, sans bouleverser l’ordre si délicatement établi. Bien qu’elle n’ait pas fait le choix d’en arriver là, elle devrait se prémunir de tout risque, plutôt que de pleurnicher sur son sort et sur le manque de pitié de sa Déesse[1].

Elle avait fait le deuil de son libre-arbitre quand elle avait quitté le bureau de son père, défaite.

— Je crois que c’est bon pour aujourd’hui.

Emi s’affala immédiatement sur la tapis de sol rembourré et souffla fortement pour réguler sa respiration. Maxime s’accroupit auprès d’elle, presque félin.

— Si je peux te donner un conseil qui n’a rien à voir avec la self-défense, c’est d’assumer tes origines.

Emi tourna la tête dans la direction de son chef de clan, étonnée. Il était très sérieux. On ne peut plus sérieux.

— Si chez nous il ne te vaut que du mépris, il peut devenir un facteur de sympathie chez les changeformes. Nul doute que Raphaël y a pensé en te choisissant. Ne te prive de cet argument par fierté.

La fierté, elle l’abandonnerait comme un manteau dans un désert brûlant, tel l’objet inutile qu’il était. Emi ouvrit la bouche pour répondre, mais il l’interrompit d’un geste.

— On peut comprendre la haine qu’ils éprouvent à notre encontre. Parle de ton père, des histoires que Dai vous a racontées enfants. Tires-en avantage, cela ajoutera à ton capital sympathie. Ou du moins, ne t’en fera pas perdre.

Elle retiendrait cela, mais savait que cela ne ferait pas tout.

Après tout, Maxime était parvenu à faire de Raphaël un ami, pourtant il ne pouvait se targuer des mêmes ascendances qu’Emi. Pas d’ancêtres sans-pouvoirs ou autre qui dilueraient son sang souillé. Son arbre à lui était jalonné d’assassins. De tueurs. Son passé était un secret bien gardé par les sorciers, mais des choses filtraient toujours. Pourtant, il avait su nouer de bonnes relations avec les autres espèces.

Le doigté. Tout était dans le doigté. Elle avait toutes les cartes en mains, contrairement à Maxime. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’elle avait hérité d’un peu de la diplomatie de son père.

Maxime tapota sa jambe avec un bref sourire.

— Bonne chance ! Je compte sur toi pour survivre. J’aime bien ton père… mais franchement ? Je suis rarement d’accord avec lui. Cette fois ne fait pas exception. Souviens-toi simplement que je suis derrière toi et que, si jamais tu ne t’en sens vraiment pas capable, tu peux toujours revenir. Personne ne t’en voudra, même pas ton père. Je peux te l’assurer.

Sur ces paroles encourageantes, il la poussa vers la sortie.

— Tu n’en as peut-être pas le sentiment, mais il fait cela parce qu’il est fier de toi. Il a l’impression de te faire un cadeau. Il a adoré son travail. Peut-être que tu crois déjà savoir ce que tu veux faire, mais reste ouverte. Peut-être que cela te plaira. Et qui sais ? Peut-être que tu parviendrais à apaiser leurs sentiments à notre sujet ?

Il n’était certainement pas interdit de rêver.

[1]Hécate

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