Chapitre 6. Garder bonne conscience

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Derrière une apparence inoffensive peuvent se cacher bien des choses :

des bêtes féroces, des vampires assoiffés ou des démons pécheurs, bien sûr, mais les pires d'entre eux n'ont pas toujours les apparences les plus létales. Prenez un sorcier ? En apparence, il a tout d'un humain à la chair faible, mais ne vous y trompez pas...

Quelques conseils pour survivre dans le monde hostile des surnaturels.

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LE SURLENDEMAIN

— Je fais ça pour ton bien.

Emi leva des yeux agacés vers son père.

— Je n’ai plus huit ans. Je crois pouvoir juger de ce qui est bon pour moi. Et je peux t’assurer qu’y aller ne sera pas bon pour moi.

Emi vit à la posture de son père, à son regard et à ses sourcils charbonneux froncés qu’il était déterminé et qu’il resterait inflexible. Elle sentit la rage enfler en elle et, pour se calmer, porta le regard sur tout ce qui n’était pas lui dans ce repère pourtant si éminemment paternel.

Par exemple, la flamme éternelle, empruntée à l’anima par Ibuki, qui brillait dans son bocal sur son bureau ? Elle ne fit que lui rappeler le feu qui brûlait dans sa poitrine, à l’avenant de sa colère. Et pourquoi pas le secrétaire, lui-même ? Mais encore une fois, le rouge des nervures du bois de lignum rubrum ne contribua en rien à apaiser sa fureur. Pourquoi donc un humain uni à une sorcière de l’Air avait-il autant de meubles rouges ?

Emi tenta de trouver du regard les cerisiers de leur jardin, les fleurs ou même les légumes et aromates qui y prospéraient, en vain. Pourtant rien ne la ravissait et consolait davantage qu’eux. Elle ne voyait depuis la fenêtre, pourtant aussi étendue que la pièce elle-même, que la forêt pleine d’arbres de cette même essence rubiconde.

Faute de pouvoir calmer son courroux, elle détourna ces flammes de sa poitrine pour les diriger vers celui qui les méritait amplement, mais qui n’en aurait – elle le pressentait – cure.

— Tu ne peux pas faire ce choix pour moi ! Tu ne peux pas décider de ma vie comme ça.

Il ne le pouvait que trop et elle le savait. Ils le savaient tous les deux, d’ailleurs.

Dai Wakahisa ne fit pas mine d’ouvrir la bouche pour répondre aux récriminations de sa fille. Ses yeux presque noirs restèrent froids et inébranlables.

La magie enfla en Emi. Gonfla et gonfla, mais ne dépassa pas la cage étroite de sa chair. Elle se maîtrisait bien trop pour laisser déborder son pouvoir. Se laisser aller ne ferait que prouver qu’elle n’était qu’une enfant irresponsable et justifierait l’opinion que son père avait apparemment d’elle. Elle n’arrivait pas à avaler qu’il ait pu accepter une telle proposition à sa place.

— Ça va se passer comme ça ? Tu vas me dire que le choix ne m’appartenait pas ?

Il haussa un sourcil, ses deux mains posées sur le bois brut à peine atteint par les années.

— Et toi, Emiko[i] ? Tu vas me dire que ce n’est pas juste et que je me prends pour un « satané dictateur » ?

Emi grogna intérieurement de le voir utiliser son nom complet et la parodier ainsi. Il tentait visiblement de la provoquer. Elle ne lui ferait pas l’honneur de lui montrer plus avant la peine qu’il lui causait en ignorant son opinion.

Àla manière d’un tyran, assis sur son trône, son père la fixait comme si toutes ces horreurs n’étaient pas sorties de sa bouche. Comme si tout cela était logique et qu’il n’y avait rien de révoltant dans le fait de l’envoyer ainsi dans le neuvième cercle infernal. Parce que personne ne la contredirait s’il elle affirmait que de jouer les diplomates à la cour changeforme en ces temps troublés n’était pas particulièrement suicidaire.

Emi tenta de calmer son souffle pour examiner plus posément la situation, comme elle aurait dû le faire dès le début, au lieu de s’emporter contre son père. La colère ne la mènerait à rien. D’autant que maintenant c’était surtout la résignation qui avait pris possession de son cœur. Elle voulait au moins comprendre.

— Répète-moi ce qui s’est exactement passé pour que tu en viennes à accepter une telle proposition en mon nom. Explique-moi au moins ce qui m’a valu cette condamnation.

Son père soupira, comme rassuré de la voir faire preuve de plus de maturité. Il hocha la tête et rassembla ses mains, y posant son menton, comme s’il réfléchissait à la bonne façon de lui présenter les choses.

— Avant-hier, Raphaël est venu me voir, sans avoir pris rendez-vous.

Il y a deux jours ? Le jour même où ils s’étaient revus. Ne devait-il pas rencontrer Maxime ? Elle qui pensait l’avoir assez effrayé par ses mauvaises manières pour qu’il ne veuille plus jamais croiser son chemin, elle s’était bien fourvoyée.

— Il m’a présenté une proposition de poste. J’ai manifesté mon étonnement qu’il la fasse passer par moi plutôt que par Maxime. Cela n’a pas semblé le perturber et il a affirmé que c’était parce qu’il voulait en parler avec le premier concerné.

Le premier concerné ? Il semblait à Emi que c’était plutôt elle. Tout comme elle se souvenait clairement de lui avoir dit qu’elle abhorrait le travail de son père, que la diplomatie et elle ne pouvait être plus éloignées.

— Je lui ai demandé en quoi j’étais concerné. Il a usé de l’essence de son verbe et m’a brossé dans le sens du poil.

Elle l’imaginait bien complimenter son père sur le rôle qu’il avait lui-même exercé au sein de sa cour, sur tous les avantages qu’il comprenait. Lui rappeler à quel point il avait excellé dans l’exercice de ses fonctions, à quel point il imaginait qu’il avait su former ses enfants afin qu’ils deviennent ses dignes héritiers. Quel flagorneur !

— Tu imagines bien que j’ai immédiatement pensé à Aki. Cela fait plusieurs mois que je lui cherche un poste pour qu’il aiguise ses capacités.

Ce qu’Emi n’avait pas manqué de signaler à Raphaël. Alors pourquoi elle ?

— Quel ne fut pas mon étonnement quand c’est ton nom qu’il a prononcé !

Il devait d’autant plus être étonné que son nom n’avait jamais été abordé lors de leurs innombrables discussions, à ce que Raphaël lui avait dit.

— Et quel n’est pas mon étonnement face à toute cette histoire … marmonna Emi

— Il m’a assuré que le bref entretien que vous aviez eu lors du sommet lui avait laissé une bonne impression. Qu’il avait ressenti l’alchimie qui existait entre ta personnalité et la fonction qu’il espérait te voir embrasser. Que personne ne conviendrait mieux à cette mission.

Cet entretien où ils n’avaient fait que s’observer et n’avaient pas échangé le moindre mot ? Si sa mission était de jouer l’imbécile muette, très certainement. Il était plus probable qu’il fasse en fait référence à leur seconde rencontre, celle où elle n’avait pas manqué de l’insulter, s’était bien gardée de le saluer dans les formes, l’avait réprimandé et s’était moquée de lui. Celui-ci ? Et on parlait de bonne impression ? Terrible impression, en vérité.

Et cette histoire idiote d’alchimie ? Ce ne pouvait qu’être la complémentarité entre la gifle, qu’elle avait manqué de lui infliger quand il avait une nouvelle fois osé l’approcher et son visage. Parce qu’il n’y avait eu nulle symbiose elle et Raphaël ou une quelconque fonction imaginaire.

— Je lui ai avoué ma perplexité et confié que tu n’avais reçu qu’une formation des plus sommaire. Ce à quoi, il m’a répliqué qu’une formation n’était nullement nécessaire, qu’il s’attendait simplement à ce tu deviennes un facteur apaisant. En somme, il souhaite la présence d’une force extérieure et sous ordre du Grand Conseil, afin de pousser les comploteurs à une plus grande prudence. Il veut simplement gagner du temps. Ton manque de formation tout comme ton pouvoir, bien que puissant, te rendent parfaite pour le poste.

Vraiment ? Peut-être qu’elle était parfaite pour le poste, mais l’inverse n’était pas vrai. Accepter cette proposition la mettrait en danger et l’absence de formation qu’il louait avec tant de certitudes, ne la rendrait que plus impuissante face aux menaces. Parce qu’elle n’aurait pas appris à les reconnaître ou à y faire face. Qu’il puisse considérer son pouvoir comme un autre avantage à sa personne, n’avait rien pour la rassurer, parce qu’effectivement il ne lui serait pas d’une grande aide. Il perdrait considérablement en puissance en dehors de sa dimension et de l’influence de l’arbre de vie et de l’anima. Charmant. Absolument charmant !

— Et tu as accepté ? Comme cela ? Parce qu’il t’a dit que c’était une bonne chose à faire. Parce qu’il t’a dit que c’était le poste qu’il me fallait.

Depuis quand se laissait-il aussi banalement manipulé ? Emi n’avait jamais considéré son père comme un naïf. Mais elle se voyait dans l’obligation de revoir son jugement.

— Avoue que ces dernières années tu n’as pas fait le moindre effort pour te diriger vers une voie ou l’autre. Je désespère de te voir construire ton avenir, comme l’ont fait Ibuki et Aki avant toi. Au lieu de cela, tu végètes chez nous tous les jours.

Emi ouvrit la bouche pour vertement protester. Maintenant il dressait d’elle un portrait bien peu flatteur !

— Je sais bien que tu dispenses tes conseils aux jeunes en formation et que tu aides à la forêt. Mais ce n’est pas ce que j’appellerais faire un choix. Je t’ouvre de nouvelles portes, comme cela tu ne pourras pas dire que tu n’avais pas toutes les cartes en mains.

Ce n’est pas ce qu’elle aurait dit. Jamais.

Emi secoua la tête.

— J’avais raison, alors ? Tu as décidé de ma vie en te donnant des excuses pour garder bonne conscience, aboya-t-elle.

Dai leva les mains et la laissa quitter la pièce sans un mot.

[i]« ko » enfant « Emi » beauté bénie

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