Prologue

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Je suis Marc Lacroix, un ancien militaire français.

J'avais à peine 17 ans quand les missiles sont tombés, réduisant les villes de la surface en poussiére. Nous sommes dans le Metro depuis 20 ans, luttant pour notre survie dans le sous-terrain, comme des rats.

En 2013, je rendais visite à mes grands-parents qui habitaient alors dans la capitale russe, Moscou.

À présent, les frontiéres au-dessus de nos têtes n'ont plus de sens, seul le Metro compte. Il est notre salut, notre seule raison de vivre.

C'est ce que me disait Dimitri, mon meilleur ami au poste de garde. Il est né dans le Metro, comme la majorité des gens d'Alexeivskaya. Je l'ai littéralement vu grandir, et c'est grâce à moi qu'il savait si bien tirer. Son pére s'était fait tuer quelques semaines aprés sa naissance, j'avais donc repris le flambeau de la figure paternelle, même si je n'étais pas vraiment proche d'Anastasia, sa mére. Ils étaient comme ma nouvelle famille ...

Il n'était pas rare que le "soir", Dimitri vienne jusqu'à ma chambre pour que je lui raconte une histoire sur l'ancien monde, ce qui calmait ses insomnies. Il avait du mal à prononcer mon nom, donc il m'appelait Markov ou simplement Mark. Mon accent français n'avait pas disparu, même aprés 20 ans de vie en territoire russe, à parler russe quotidiennement et l'amusant au plus haut point. Au fil des années, j'avais réussi à lui apprendre quelques chansons d'Aznavour et il n'était pas rare de l'entendre siffler la mélodie de "la Bohéme", résonnant à travers toute la station. Quand il le faisait, tout le monde se taisait et l'écoutait, rendant un peu de joie de vivre aux survivants de l'Apocalypse.

Mais depuis deux mois, on ne l'entend plus ...

Un bandit s'était permis de l'arracher à ce monde qui avait besoin de lui pour faire renaître l'humanité de ses cendres.

On ne l'entendra plus jamais.

Sa mére ne l'avait pas supporté. Elle avait plongé dans une sombre dépression qui semblait sans fin. Malgré mes efforts pour l'aider, on l'avait retrouvée pendue avec ses lacets dans sa chambre.

Je n'ai aucune photo des deux personnes qui avaient compté le plus pour moi et qui avaient disparu avec quelques jours d'intervalle. Chaque jour qui passe, leurs visages que j'avais gravé dans mon esprit s'effaçent petit à petit. Chaque fois que je vais prendre ma place au poste de garde, les gens me regardent avec leur air de pitié et de tristesse, ce qui m'insupporte.

Je ne veux pas des mots de soutien qu'ils glissent sous ma porte, ni des balles qu'ils déposent dans ma boite aux lettres.

Mais pourtant, je ne dis rien, je les laisse faire. Deux coups bien placés avaient suffit à la vie pour me briser les genoux et m'asservir.

Chaque heure, chaque minute qui passe me fait lentement glisser sur la pente qu'Anastasia avait connu avant sa chute.

Chaque cliquement de la trotteuse de ma montre me rappelle que je rampe à contre-courant vers une mort certaine et inévitable, mais libératrice.

Je ne lutte plus, j'ai compris que c'est inutile.

J'ai enfin ouvert les yeux.

24 février 2033, 8h32, à Alexeivskaya.

En retard, encore une fois.

Ce matin, je ne me suis pas levé à l'heure. Hier non plus.

Avant-hier aussi d'ailleurs.

Je suis resté allongé une demi-heure de plus.

Quelqu'un toqua à la porte, mais je ne répondis pas.

_Markov !

Je reconnus immédiatement la voix d'Andreï, le chef de la garde. À contre-coeur, je sortis de mon lit et ouvris la porte.

_Ca fait déjà trois fois cette semaine ! cria-t-il.

_Je sais ... répondis-je sans montrer beaucoup d'intêret à ce qu'il disait.

Même en face du visage furieux de mon supérieur, je ne faisais même pas semblant de m'impliquer. Peu importe mon comportement, tout ce qu'Andreï attendait de moi et des autres gardes était des résultats.

_Tu n'as pas intêret à ce que cela se reproduise une nouvelle fois, sinon tu passeras devant le commandant en chef et tu risqueras de perdre ton travail, tu comprends ?!

_Oui, monsieur ...

Ces deux simples mots avaient le pouvoir de calmer Andreï dans n'importe quelle situation. Même utilisés des milliers de fois, ils étaient toujours aussi puissants que la premiére.

_Bien. On se voit au poste de garde dans dix minutes, ordonna-t-il.

Je n'eus même pas besoin de prendre la peine de lui répondre et il repartit simplement là d'où il était venu.

"Abruti ... avais-je alors pensé."

Nonchalament, j'attachais ma montre à mon poignet gauche et mis mon holster vide à ma ceinture.

Je dus fouiller ma chambre de fond en comble pendant au moins deux minutes la clé qui ouvrait mon coffre-fort improvisé. Le morceau de fer taillé à la va-vite pendait au bout d'une fine chaîne, accompagné des plaques que j'avais à l'armée, les derniers vestiges de ma vie d'avant. Les charniéres grincérent quand le coffre s'ouvrit, dévoilant un vieux Glock 17 datant d'avant les bombardements.

Cette arme valait plus que n'importe quelle station du Metro. Les armes de l'OTAN y étaient extrémement rares et souvent bien plus effices que leurs concurentes fabriquées par les forgerons. Elles valaient une véritable fortune et leurs porteurs imposaient une forme de respect non-négligeable. J'entendais évidemment les murmures admiratifs de ceux qui voyaient mon pistolet, mais je m'en fichais.

Je pris également mes économies qui s'élevaient à 80 balles, au cas-où.

Aprés être sorti de ma chambre, je rejoignis rapidement l'armurie en passant par le bar qui était sur ma route.

_Markov ! On te voit pas souvent ici hein ! s'exclama le barman.

_Tiens tiens Vladimir, salut ! répondis-je en lui serrant la main. Il n'y a personne ce matin ?

_Nan, ça arrive de plus en plus souvent en ce moment ... J'te sers un verre ? C'est offert par la maison !

_Non, merci mais je garde cette proposition sous le coude pour une prochaine fois, sois-en sûr ! Je dois y aller, je suis en retard.

_Pas de probléme, à la prochaine fois !

Je sortis de l'autre côté du bar, entrant sur le marché d'Alexeivskaya qui était d'une taille relativement modeste.

Je le traversais rapidement pour ne pas me faire accoster par les commerçants et les sans-abris, laissant le vacarme des magasins derriére moi.

Je pénétrais ensuite dans l'armurie déjà vide à cette heure-ci. La porte de mon casier s'ouvrit avec le même grincement que mon coffre-fort et je pus récuperer mon AK-47 ainsi que deux chargeurs de 35 munitions et aussi ma lampe torche avec son chargeur universel. À côté du sélecteur de tir de mon fusil, Dimitri avait gravé un soleil et un nuage avec son prénom dedans. Autant dire que c'était mon dernier souvenir de lui.

Je mis un chargeur plein dans mon AK et rangeais l'autre dans mon gilet, à côté des balles de 9 mm.

Une fois à l'avant-poste, je pris ma place derriére la mitrailleuse lourde avec Vandol, mon équipier.

_Salut, me dit-il. T'as mis de la colle dans ton lit ?

_Ferme ta gueule.

Je tirais sur le levier d'armement du fusil lourd, ce qui fit sauter la derniére douille de la chambre et m'appuyais contre les sacs de sable, guettant le tunnel vide.

_Hé Andreï ! cria-t-il au poste cinquante métres derriére nous. On a besoin d'une boîte de balles de 12,7 mm !

_Vous pouvez pas la chercher vous même ? répondit notre commandant.

_On est servants de mitrailleuse, pas livreurs ! On a pas que ça à faire ! lui répondis-je d'un ton énervé.

Personne ne dit rien puis Andreï hurla finalement :

_On va vous ramener une caisse de 600 balles !

Quelques minutes plus tard, un soldat arriva à notre avant-poste et manqua de tomber.

_Ca pése une tonne votre truc ! dit-il, exténué.

_C'est pas du petit calibre hein ? rétorqua Vandol sur le point de mourir de rire.

Le soldat resta un peu avec nous le temps de se reposer. Il avait raison de se plaindre, même moi j'avais eu du mal à mettre les munitions à côté de la mitrailleuse.

Mon équipier commença à préparer les chargeurs.

_Ca va prendre des plombes ... dit-il.

_Tu viens à peine de commencer, répondis-je.

Je retirais le magasin vide et le donnais à Vandol.

_Une caravane doit arriver depuis VDNKh aujourd'hui, nous informa le soldat.

_Celle qui doit nous apporter du matériel ? demandais-je.

_Ouais.

En effet, une caravane était arrivée en fanfare quelques heures plus tard aprés avoir attiré une bonne vingtaine de mutants qui avaient été cramés au lance-flammes, mais je n'avais pas été autorisé à quitter mon poste de l'autre côté de la station. Il fallut attendre la rotation de quatorze heures pour que je puisse aller voir le lieu des combats.

_Andreï ! dis-je à mon commandant. Qu'est ce qui se passe ici ?

_Tu fous quoi Markov ? T'étais pas sur la liste des renforts, vérifia-t-il sur son bloc-notes.

_Je sais m'sieur. Je viens juste pour savoir ce qui est arrivé ce matin ...

_Il y a eu une attaque de mutants qui venaient de VDNKh et la caravane militaire a déraillé, c'est tout ce que tu dois savoir. Maintenant dégage, t'as rien à faire là.

_Je peux pas aider ? insistais-je.

_Nan, je t'ai dit de te barrer ! cria-t-il.

Répondre ne servirait à rien, je tournais donc les talons et rentrais chez moi, déçu par la décision de mon supérieur.

J'avais le droit de garder mon AK jusque 20 heures du soir avant de devoir la remettre à l'armurie. En entrant chez moi, je posais mon fusil, mon sac et mon casque sur ma table, à côté de mon vieux manuel militaire.

Alexeïvskaya commençait à m'emmerder pour être honnête ... Démissionner devenait une option qui prenait de plus en plus de place dans ma tête, mais il me fallait une bonne raison de quitter la station.

Youri Alekseï, le chef d'Alexeïvskaya, était un véritable connard. Un connard certes, mais quelqu'un de néanmoins juste. Il ne laissait personne partir sans raison valable, c'est pourquoi je détestais purement et simplement cet homme ... Mais son statut de commandant de la station le rendait intouchable ... Je n'avais pas envie de rester une seconde de plus ici.

Demain, à 11h20, cela ferait exactement un mois que les deux personnes que j'avais aimé le plus dans ce nouveau monde étaient parties à tout jamais. Cela ferait exactement un mois que rien ne me liait à cet endroit, à part des souvenirs qui me rongeaient petit à petit de l'intérieur ...

Je devais partir, changer d'air, voir de nouveaux visages et démarrer une nouvelle vie. C'était impossible rester ici désormais.

C'est comme ça que j'ai fui Alexeïvskaya ... J'ai prétexté devoir transmettre un message urgent à Rijskaya et je ne suis jamais revenu, devenant un paria et un déserteur à la station.

Et je n'y suis jamais retourné.

Ils sauront se débrouiller sans moi de toute façon.

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