Chapitre 8 - Le Gardien

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Hope traversait le manoir de long en large. Cela faisait des heures – supposait-elle – qu’elle parcourrait les couloirs labyrinthiques de la grande maison. Elle ne savait pas trop où elle allait, mais elle ne pouvait pas rester en place. Ses pensées tournaient en rond. Elle avait tant de questions et si peu de réponses que ç’en devenait frustrant. À tel point qu’elle aurait volontiers briser l’un des nombreux miroirs que la maison mettait sur son chemin si elle n’avait pas eu peur d’éventuelles conséquences ou réprimandes de la part du manoir comme de son gardien.

Penser à cet homme énigmatique ne faisait que frustrer davantage la jeune fille qui ne savait plus où elle en était. Comment pouvait-il la laisser seule à la recherche de sa mémoire, de son passé ? S’il la connaissait comme elle s’en doutait, pourquoi ne pas l’aider, lui expliquer ? Ou mieux encore, tout lui raconter ?

Hope s’arrêta. Son livre de conte à bout de bras, elle serra le poing de sa main libre. Elle fulminait de colère. En posant les yeux sur le vieux livre, elle sentit son estomac se retourner.

– Et toi, pourquoi tu ne me donnes pas plus de réponses ? cria-t-elle, folle de rage en jetant le livre de toute ses forces.

L’ouvrage percuta de plein fouet le mur en face d’elle avant de glisser lamentablement jusqu’au sol. La respiration sifflante, Hope reprit doucement son souffle. Puis ses épaules s’affaissèrent. Elle se frotta le front, là où cette étrange marque reposait, pleine de secret. Elle sentait déjà une affreuse migraine poindre entre ses tempes. Elle soupira et se pencha pour ramasser le livre.

Quand ses doigts effleurèrent la couverture, un éclat à sa droite attira son attention. Hope se redressa, son livre en main et regarda le mur à côté d’elle. En s’en approchant de plus près, elle remarqua un étrange scintillement, comme si un film plastique avait été déposé sur le papier peint du mur.

Elle fronça les sourcils et s’approcha de quelques pas supplémentaires.

Hope passa une main sur la surface lisse – trop lisse – du mur. Puis sa main heurta quelque chose de dur, lui arrachant une grimace de douleur. Elle repassa sa main, plus prudemment cette fois, et découvrit avec stupéfaction ce qui ressemblait à une poignée de porte. Elle l’agrippa, la palpa. Elle semblait en métal, et pourtant… pourtant Hope n’y voyait rien ! Il n’y avait rien mais elle pouvait sentir la forme de la poignée dans sa paume.

Perplexe, la jeune fille essaya de l’ouvrir. Il y eut un déclic, puis Hope bondit en arrière. La pellicule lisse et brillante qu’il y avait quelques instants semblait se désagréger, fondre comme neige au soleil. La stupéfaction se lisait sur son visage, elle n’en revenait pas.

À la place du mur au papier peint sombre se trouvait à présent une porte. Une porte en bois obscur, se fondant presque parfaitement dans le décor. La poignée aussi était apparue et Hope pouvait enfin la voir : ronde, d’une couleur bronze passée, elle brillait sous la lumière tamisée d’une vieille lampe accroché au mur juste à côté de la porte.

Une curiosité vorace s’empara alors de la jeune fille. Qu’y avait-il derrière cette porte ? Pouvait-elle y entrer sans problème ? Après tout, il s’agissait de son manoir, le gardien avait dit qu’il s’agissait de son esprit, son âme. Quelque part, se dit-elle, tout ici devait lui appartenir, ou du moins faire partit d’elle.

Alors, prenant son courage à deux mains, son livre toujours serré contre sa poitrine, Hope posa une main sur la poignée et ouvrit la porte.

Elle fut quelque peu déçue.

De l’autre côté se trouvait une chambre. Quasiment identique à la sienne, il y régnait toutefois une obscurité et un désordre peu commun. On aurait dit que son occupant – si occupant il y avait – avait cherché quelque chose avec frénésie. Elle s’approcha de quelques pas, refermant soigneusement la porte derrière elle, Hope découvrit des papiers recouverts de symbole inconnus. Elle pensa à un alphabet étranger au sien, mais ne correspondant à aucun dont elle avait la sensation de se souvenir. Il s’agissait là d’une langue qui lui était parfaitement inconnue.

Ce qui l’intrigua d’autant plus.

Mais elle n’eut pas la joie de s’y attarder plus longtemps. Les fenêtres de la chambre s’ouvrirent soudain, faisant sursauter la jeune fille qui, d’instinct, couru se cacher dans l’ombre d’un épais rideau dans un coin. À cet instant, elle se sentait comme une enfant qui n’aurait jamais dû se trouver là.

De sa cachette, Hope avait une vue panoramique de toute la pièce et put ainsi voir le gardien y entrer, comme il l’avait fait dans le salon quelque temps plus tôt. Le garçon se contenta de faire se refermer les fenêtres d’un geste vague de la main avant de se laisser tomber dans les couvertures, tout habillé. Même de là où elle se trouvait, Hope pouvait deviner la fatigue et l’épuisement qu’il ressentait. Il semblait aussi plutôt mal en point, ses vêtement plus élimé et abîmé qu’au moment de leur rencontre. Ses cheveux étaient aussi en bataille.

Au bout de quelques longues secondes, elle entendit sa respiration devenir plus calme, plus régulière. Il s’était endormi.

Incapable de résister plus longtemps à la curiosité, Hope sortit doucement de sa cachette et s’approcha à pas de loup du gardien. Elle se sentait presque comme hypnotisé par sa vision et une foule de questions supplémentaire vint s’ajouter au tourbillon déjà présent dans son esprit.

Qui était-il vraiment ? Pourquoi avait-elle cette impression persistante que lui aussi, lui était familier ?

Elle le détailla pendant ce qui lui sembla de longues minutes, essayant de se souvenir de quelque chose. Lui aussi avait dû compter dans sa vie, non ?

Sans y réfléchir, Hope passa les doigts dans ses cheveux. Ils étaient doux, les plus soyeux qu’elle eut jamais touché. Elle aurait pu passer sa vie à les caresser. Mais là encore, elle n’en eut pas le temps.

Le gardien ouvrit soudain les yeux, faisant sursauter la jeune fille qui retira aussitôt sa main. Trop tard. Il lui agrippa le poignet d’une main ferme et la tira vers lui. En quelques battements de cœur, Hope se retrouva étendu à moitié sur le lit, les yeux grands ouverts. Le gardien se trouvait juste au-dessus d’elle, la fixant de son regard encore brouillé par la fatigue. Il lui fallut quelques instants pour se souvenir d’elle. Mais au fond de ces prunelles embrumées, Hope aurait juré y lire une lueur de folie y danser.

Elle ne bougea pas d’un pouce alors qu’il semblait remettre doucement ses idées en place. Puis il soupira.

– Que fais-tu là ?

– Je ne sais pas.

Il fronça les sourcils, visiblement contrarié.

Hope ne pouvait détacher son regard du sien, elle avait l’impression de s’y noyer. Non… en réalité elle avait l’impression de s’y être déjà noyé. Mais alors… où ? Et pourquoi ne disait-il rien ?

Prise d’un impulsion soudaine, Hope posa une main sur la joue du garçon et la caressa de son pouce. Elle le sentit se raidir à son contact. Et pendant une seconde, elle crut qu’il allait s’écarter. Mais il n’en fit rien. À la place, il ferma les yeux et s’appuya un peu plus sur la paume de la jeune fille. Il lui semblait alors si… torturé. Il avait l’air de souffrir le martyre.

– Je te connais… n’est-ce pas ? demanda-t-elle finalement sans le quitter des yeux.

Il ferma plus fort encore les paupières et serra la mâchoire. Il semblait lutter contre lui-même pour l’empêcher de répondre.

Mais répondre quoi ? Que cache-t-il de si terrible ?

Il finit par se redresser, brisant le charme et ramassa le livre tombé à terre avant de s’écarter de l’adolescente. Hope se releva lentement, un peu perdue et le regarda se diriger vers la porte qu’il lui ouvrit.

– Non, asséna-t-il froidement les dents serrées. On ne se connait pas. Maintenant, retourne dans ta chambre et ne reviens pas.

Hope s’approcha de quelques pas. Il lui rendit un peu brutalement son livre avant de la pousser vers la sortie. Elle eut à peine le temps de se retourner qu’il referma la porte derrière elle. Le battant disparut presque aussitôt. La jeune fille eut beau chercher la poignée invisible, elle ne la trouva pas.

Elle était perdue.

Que venait-il de se passer ? Elle avait bien vu qu’il lui cachait quelque chose, elle le sentait. Comme elle sentait qu’ils se connaissaient tous les deux. Alors pourquoi le lui cacher.

De quoi avait-il si peur ?

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