Chapitre 2 - Le Miroir

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Elle ne savait pas quoi faire. Il lui était impossible de savoir combien de temps s’était écoulé depuis son réveil dans cet étrange endroit et elle commençait à s’ennuyer, assise sur le rebord de son lit. Il n’y avait rien à faire dans la chambre et le manque de lumière extérieur commençait à la rendre mélancolique. Tout était si sombre et silencieux ici… et elle ne parvenait toujours pas à se souvenir de quoi que ce soit.

Elle ne cessait de fixer cette cicatrice à son poignet. D’où pouvait-elle bien venir ? Se l’était-elle infligé jadis ? Était-ce dû à un accident ? L’avait-on sciemment blessé ? Tant de questions qui tournaient en rond dans sa tête et pas la moindre petite trace d’une éventuelle réponse. Si elle pouvait au moins se souvenir de son nom. Juste son nom.

Regarde…

Elle releva la tête et regarda autour d’elle. Avait-elle rêvé ? Non, elle avait bien entendu une voix. Mais d’où pouvait-elle provenir ? C’était une voix de femme. Sa voix ? Non, elle semblait plus ancienne, plus fatiguée. C’était comme un murmure tout proche de son oreille. Pourtant elle était seule. Elle ne pouvait pas avoir de la compagnie, il n’y avait aucune ouverture ici et elle avait déjà fait le tour de la pièce. L’armoire aurait-elle fait apparaître autre chose dans son ventre ?

Pour en avoir le cœur net elle se leva et ouvrit en grand les portes du placard. Rien. Elle fronça les sourcils et les referma, regardant autour d’elle sans comprendre. C’était bien beau de lui dire de regarder. Mais où ? Qu’était-elle censée voir de plus dans cette chambre ?

Le reflet…

Reflet ? Elle se tourna vers le seul miroir de la pièce, celui de la coiffeuse. Elle s’assit devant mais rien ne se produisit. Elle ne voyait que son propre reflet qui lui renvoyait son air interrogateur. Rien de plus, rien de moins que sa propre image qui la fixait sans comprendre.

Un grincement étrange s’éleva dans les airs plus loin. Elle se détourna de la coiffeuse et contourna le lit. Elle se retrouva alors au milieu des fauteuils et des étagères vides. La cheminée éteinte ressemblait alors à une bouche béante donnant sur le néant. Elle avait presque l’impression que quelque chose allait finir par en sortir.

Puis le grincement reprit, se muant peu à peu en un son effrayant de crissement, comme si on griffait du verre. Du coin de l’œil, il lui sembla apercevoir une forme claire et brillante non loin. Elle se tourna vers le mur à sa gauche et ouvrit grand les yeux, surprise. Devant elle, comme sortit directement du mur, se trouvait un immense miroir recouvrant une bonne partie du morceau de mur devant elle.

Elle pencha la tête de côté, imitée par son reflet et s’approcha de la glace. Elle pouvait enfin se voir tout entière et découvrit qu’elle était bien plus mince qu’elle ne le pensait. En y réfléchissant, elle sentit son estomac gronder furieusement. Elle avait faim. Depuis quand n’avait-elle pas mangé ?

Ses pensées défilèrent dans son esprit alors qu’elle fixait son image dans le miroir. La jeune fille de l’autre côté de la glace lui lançait un regard étrange, comme si elle essayait de comprendre quels secrets pouvaient bien se cacher derrière sa mémoire défaillante. Il lui fallut quelques instants pour comprendre que c’était son propre regard que le reflet lui renvoyait. Elle se fixait avec méfiance, comme si c’était un piège, comme si la fille que lui montrait le miroir allait soudain le traverser pour se jeter sur elle. Avait-elle fini par devenir paranoïaque ? L’avait-elle été un jour ?

Elle se massa les tempes. Une affreuse migraine commençait à poindre. Elle commençait à avoir la tête qui tourne et dut s’appuyer sur l’immense miroir pour ne pas perdre l’équilibre.

Après quelques instants à reprendre son souffle, elle se redressa et planta son regard dans celui de son image. La fille devant elle semblait souffrir le martyre, comme elle. Elle soupira. Bien sûr qu’elle avait aussi mal qu’elle, c’était son reflet !

Pourtant, quand elle releva de nouveau les yeux sur la glace après s’être écarté, elle fut surprise de constater que celle-ci se mit à luire. Une étrange lumière émanait du miroir et semblait pulser, éclairant par vague la chambre tout entière. Elle dut fermer les yeux pour ne pas être ébloui. Quand elle les ouvrit de nouveau, ce qu’elle vit la surprit plus encore que l’armoire qui se remplissait et se vidait toute seule.

Il y avait un monde de l’autre côté du miroir. Un vrai monde, avec de vraies gens qui discutaient, bougeaient, vivaient. Derrière eux, elle pouvait apercevoir un long couloir éclairé par la lumière éblouissante du soleil. Dans un coin elle vit des casiers alignés et dans un autre des portes numérotées. Ce devait être un lycée ou tout du moins une école.

Elle avait l’étrange sensation de la connaître. Peut-être y était-elle déjà allée une fois ? Peut-être avait-elle fait ses études là-bas ? Peut-être les faisait-elle encore ? Mais alors… où était-elle maintenant ? Et pourquoi personne ne semblait la voir ? C’était comme une fenêtre sur le monde mais une fenêtre… à sens unique. Elle vit quelques personnes passer devant elle et dut se rendre à l’évidence : personne ne s’arrêtait pour la fixer elle. Ils semblaient la regarder un moment, mais ne la voyaient pas. Alors, pour en être sûre, elle agita d’abord la main, pour leur faire signe. Aucune réponse. Elle se glissa de côté, pour voir si leurs regards la suivraient. Mais là encore leurs yeux restaient fixes. Puis ils se détournaient, tout simplement.

C’était comme si elle était…

Invisible.

Déstabilisée, elle recula de quelques pas. C’était un spectacle étrange, mais aussi douloureux. C’était comme si elle n’existait pas, comme si elle n’avait tout simplement jamais existé. Comme si on reniait jusqu’à son existence, sa vie. Elle en venait presque à douter. Vivait-elle ? Existait-elle ?

Si c’était là une punition pour quelque chose qu’elle avait fait et dont elle ne se souvenait plus, alors ils avaient trouvé la méthode de torture ultime, pire que tout, pire que la mort. Être regardé sans être vu, voir un monde se mouvoir alors qu’elle était enfermée seule… Se demander si elle était quelqu’un…

C’était cruelle, très cruelle.

Une violence sans marques ni coups, mais à laquelle elle n’était pas préparé.

Et ça faisait mal, atrocement mal. Plus mal encore que cette migraine qui lui faisait tourner la tête. Plus mal que de ne pas réussir à se souvenir.

Le verre du miroir commença soudain à se fissurer. Elle le regarda, paniquée, alors que l’image du monde extérieur s’effaçait doucement à mesure que la glace se lézardait. La fissure grandit, se rependit jusqu’à former une immense toile d’araignée sur toute la surface du miroir.

Une toile d’araignée, encore ?

Le silence plana un instant, pareil à une menace muette. Puis le miroir vola en éclat. Elle se protégea comme elle put alors que les bris de verres traversaient la pièce et s’enfonçaient dans les murs et les meubles. Elle resta immobile un instant, les yeux fermées, la peur au ventre. Tout semblait s’être soudain figé, et le silence l’enveloppa de nouveau, comme si de rien n’était.

Quand elle ouvrit les yeux, elle se rendit compte que les fragments de miroir l’avaient épargné. La moitié de la pièce était recouverte de bris de verre, mais pas un n’avait ne serait-ce qu’entaillé un bout de sa robe de velours. C’était un véritable miracle. C’était comme si une force ou quelque chose l’avait protégé, déviant intentionnellement les morceaux de verre tranchant. Mais c’était impossible. Elle était seule, sans défense. Et sans pouvoir.

Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait plus.

Son regard parcourut la pièce un instant, puis s’immobilisa sur le morceau de mur qui avait porté le grand miroir. Elle découvrit avec stupeur que la glace avait laissé place à une porte de bois vernie à la poignée dorée. Un peu hésitante, elle regarda autour d’elle. La chambre était dans un désordre total. L’explosion du miroir avait déchiré les tentures du lit, abîmé la moitié des meubles présents et avait recouvert le sol d’une mer de bris de verre. Elle ne pouvait pas faire un pas sans marcher sur un morceau de glace brisée.

Cet endroit commençait sérieusement à lui faire peur.

Alors, maintenant qu’elle voyait enfin une porte – peu importe où elle pouvait mener – elle décida de ne pas y réfléchir davantage. Avec un peu de chance elle serait ouverte et elle pourrait enfin sortir de cet endroit. Peut-être même qu’elle pourrait trouver de l’aide et se souvenir de quelque chose. Il fallait qu’elle tente le coup. Elle craignait de devenir folle à rester enfermée dans un endroit sans fenêtre ni signe du temps qui passât.

Alors elle s’approcha de la porte et posa la main sur la poignée. Elle fut plus que soulagée en découvrant qu’elle n’était pas fermée. Elle l’ouvrit en grand, découvrant un long couloir traversé par un tapis pourpre sans fin. Elle n’en voyait même pas le bout, plongé dans l’ombre, tant il semblait infini. Un rapide coup d’œil et elle soupira. Toujours aucune trace de la moindre fenêtre à l’horizon. Cet endroit ne semblait pas vouloir la laisser voir le monde extérieur. La seule lumière présente était ce qui ressemblait à une lampe à huile assez ancienne posé sur une petite table dans un coin non loin. Elle s’en approcha et la souleva pour éclairer devant elle.

– Quand faut y aller…

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