Chapitre 3 - Le Manoir

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Cela faisait un moment maintenant qu’elle avait commencé sa progression dans ce long couloir et elle n’en voyait toujours pas le bout. Le plus étrange n’avait pas été de voir la porte de sa chambre claquer mystérieusement derrière elle une fois qu’elle en fut sortie, mais plutôt l’apparition soudaine de centaines de miroirs sur les murs qui l’entouraient. Ils la reflétaient à l’infini en train de marcher, sa lampe à huile à la main, comme pour lui rappeler que ce couloir n’avait pas de fin.

Quand elle passait devant l’un d’eux, elle avait une étrange sensation, comme si on l’observait à travers. Mais, outre le malaise qu’ils lui inspiraient, elle était heureuse de les avoir autour d’elle. La lumière de la lampe semblait rebondir de glaces en glaces et augmentait un peu son éclat, rendant le couloir un peu moins sinistre. De là où elle se trouvait, elle ne voyait même plus la porte de sa chambre, à présent complètement plongé dans les ténèbres.

C’était de plus en plus étrange. Chaque pas lui donnait des frissons, comme si tout son corps essayait de lui faire comprendre qu’il y avait quelque chose au bout du couloir qui pourrait lui apporter des réponses. Pourtant, une partie d’elle-même ne cessait de vouloir lui faire changer d’avis. Comme si elle ne devait pas savoir. Comme si, au-delà de ce couloir se trouvaient des secrets qu’elle ne devait pas connaître. Et son imagination – qui n’avait pas arrêter de mouliner depuis son départ de la chambre – n’arrangeait rien à lui montrer des scènes hypothétiques dans lesquelles un monstre surgissait soudain de l’un des miroirs pour la dévorer. Elle finissait par voir des ombres là où il n’y en avait pas et avait l’horrible impression qu’on la suivait, l’épiait. Elle commençait à se poser de sérieuses questions sur sa santé mentale. À croire que cet endroit était véritablement en train de la rendre folle.

Pourtant elle ne se sentait pas vraiment en danger. Elle avait l’impression de connaître ce lieu – aussi farfelu soit-il – sans toutefois s’en souvenir. Elle était bercée de sensations familières qui la poussaient à avancer envers et contre les images que son esprit inventait dans sa tête.

Au bout de quelques instants, un éclat étrange attira son attention. Elle s’immobilisa devant l’un des grands miroirs et l’observa à la lumière de la lampe. Pendant un moment elle ne vit que son reflet, éclairé par la flamme de la lanterne. Il y avait quelque chose d’étrange qui semblait émaner de la glace et, avant qu’elle ne s’en rende compte, elle avait posé une main à plat sur le verre.

Le miroir sous sa paume était doux et tiède. Elle avait presque l’impression de sentir un pouls battre sous sa surface plane. Elle sursauta et retira vivement sa main quand un éclat de lumière traversa le miroir de part en part. L’image qu’il lui reflétait se mit à onduler puis changea complètement, montrant à présent un salon lumineux et animé, décoré de ballons et de guirlandes en papier. Au centre de la pièce, entourée de jeunes de son âge et de membres de sa famille se trouvait une petite fille assise sur une chaise bien droite devant un immense gâteau au chocolat où trônait sept petites bougies colorées.

La fillette semblait ravie et souriait jusqu’aux oreilles en regardant autour d’elle. Et, quelque chose dans son regard, lui semblait familier. Où avait-elle vu ces prunelles déjà ?

L’enfant ferma fort les yeux et souffla de toute ses forces sur les bougies. En un rien de temps toutes les flammèches laissèrent place à des filets de fumée et un tonnerre d’applaudissement muet éclata autour d’elle. La joie débordait de tous les visages si bien qu’elle eut l’impression que ces personnes dans le miroir rayonnaient plus encore que la lumière du soleil qui leur parvenaient de l’extérieur.

En voyant cette scène, elle sentit quelque chose se serrer dans sa poitrine. C’était comme si on lui avait empoigné le cœur pour le serrer avec force jusqu’à l’écraser totalement. Ça faisait mal. Ça pesait lourd. Elle ne comprenait pas d’où provenait toutes ses sensations et pourtant elle avait l’étrange impression de les avoir déjà ressentis. Elle posa une main sur sa poitrine, son regard perdu dans le vague. Elle avait l’impression d’oublier quelque chose… Mais quoi ? Que pouvait-elle bien avoir oublié de plus que tous ses souvenirs, toute sa vie passée ?

Elle ne savait plus quoi penser.

Et, quand le miroir brilla de nouveau, elle ne fut même pas surprise de revoir son reflet apparaître. Mais, quand elle se regarda de nouveau dans la glace, elle remarqua que ses yeux brillaient dans la semi-pénombre du couloir. Des larmes ? Pourquoi ?

Alors qu’elle les essuyait, quelque chose à sa gauche attira son attention. Elle se détourna du miroir et leva la lanterne plus haut dans l’espoir de voir ce que c’était. Elle observa pendant de longues secondes les ténèbres qui baignaient la fin du long couloir et attendit. Mais une fois encore, tout semblait affreusement désert. Elle fronça les sourcils.

Du coin de l’œil, elle aperçut de nouveau quelque chose. Et cette fois, quand elle tourna la tête, elle vit distinctement une ombre se mouvoir dans les ténèbres. Surprise, il lui sembla que celle-ci se plaqua contre un mur non loin.

– Qui est là ?

Seul le silence lui répondit. Sur le moment, elle se sentit un peu bête d’avoir posé la question. Après tout, qui y répondrait ?

Pourtant, elle était certaine d’avoir vu l’ombre sursauté. Y avait-il donc quelqu’un d’autre dans cet étrange endroit ? L’espoir qui se frayait un chemin dans son esprit l’angoissa autant qu’elle lui donna du courage. Elle pinça les lèvres, se tourna une dernière fois vers son reflet avant de se tourner vers le couloir. Elle soupira et continua sa progression.

De toute façon, pensa-t-elle, c’est trop tard pour reculer.

Soudain, alors qu’elle s’approchait de plus en plus de l’ombre, celle-ci se détacha du mur et se mit à courir dans les ténèbres.

– Hé !

N’y tenant plus, elle se mit à courir à sa suite. Elle regretta soudain d’avoir enfilé cette robe : elle avait beau être sublime, elle peinait à courir. D’une main, elle dû tenir les pans de sa robe alors que de l’autre elle gardait toujours en l’air sa lampe à huile, essayant tant bien que mal de voir quelque chose dans l’obscurité ambiante. Devant elle, elle pouvait entendre les bruits de pas à peine étouffées de la personne qu’elle poursuivait. Il lui sembla même entendre un léger boitillement dans sa manière de courir.

Soudain, les bruits de pas disparurent dans un claquement sonore. Elle dû ralentir brusquement, manquant de peu de percuter une immense porte en chêne à double battant. Essoufflée par sa course, elle dû prendre quelques instants pour reprendre son souffle. Elle en profita pour étudier un peu la porte. Elle était magnifique. C’était sans nul doute un ouvrage de toute beauté – et qui devait coûter une vraie fortune ! Qui donc pouvait bien vivre ici ?

Elle hésita un moment, la main au-dessus de la poignée, puis soupira. C’était stupide. Elle voulait des réponses et elle n’allait pas en trouver à rester planté là. Pourtant, une part d’elle-même ne cessait de lui hurler de rester prudente et de faire demi-tour. Elle ne se comprenait plus elle-même.

Alors, après quelques instants à peser le pour et le contre, elle se décida à ouvrir. Peut-être que l’ombre qu’elle avait suivi pourrait lui donner des réponses, à commencer par qui elle était.

– Advienne que pourras, marmonna-t-elle pour se donner du courage.

Et elle appuya sur la poignée.

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