Chapitre IV - ... je t'aimerai toute ma vie (2/3)

5 minutes de lecture

Dans ma fuite, j’avais senti son regard braquer mon dos. Était-ce un mauvais rêve ou un merveilleux cauchemar ? Je divergeais entre soulagement et mélancolie, troublée.

Le retour s’était fait plus rapide que son aller. Noyée par les vagues d’interrogations incessantes qui affluaient dans ma tête les unes après les autres, je n’avais conservé aucun souvenir du trajet jusqu’au moment où je m’étais retrouvée face à moi-même dans le reflet du miroir qui dominait l’entrée du rez-de-chaussée.

Appréciant la tranquillité environnante, l’ambiance était similaire à l’étage du dessus. J’appréciais d’autant plus que la température y était nettement plus agréable qu’à l’extérieur.

Délaissant l’étroitesse de mon collant pour le confort d’un large jogging après un passage éclair dans la salle de bain, je me glissais sous d’épaisses couches de couvertures avant que la vibration du portable ne me tire de mes songes. Je grommelais. Peinant à le saisir, la lumière de l’écran m’en fit mal aux yeux. L’image et son message suffirent à m’éveiller.

« Celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut être mon disciple (Luc, 14:27) »

Ma main se précipita à mon cou avant que je ne sois envahie par l’affolement. Mon collier. Je lui répondis instantanément.

« On devrait te couper la main pour ça. Comment as-tu eu mon numéro ? »

Je mordais dans mon oreiller pour étouffer un cri. Je me sentais nue et soustraite au dernier souvenir qui me reliait à ma mère. Si je peinais jour après jour à me remémorer le son de sa voix, je n’avais jamais quitté ce bijou au cours des huit dernières années.

« J’ai envie de jouer. Et toi ? »

Je devais résister à une implacable envie de lui arracher les yeux. L’ange sur mon épaule me poussa à attendre que mon interlocuteur termine son message.

« Si tu veux une réponse à ta question, et récupérer ta babiole par la même occasion, tu vas devoir te plier à quelques unes de mes volontés. »

« Je ne satisferai pas tes penchants pervers. »

« Bien sûr que tu le feras. Surveille tes messages. Bonne nuit, Odette. »

Comme pour lui donner raison, l’objet métallique perdit le dernier pourcentage de sa batterie. Quant à moi, j’étais rongée par Nicholas, et privée de tout repos, je ne trouva le sommeil que tard dans la nuit.

Onze heures, deux minutes. Je peinais à suivre la cadence. Mon corps, malgré la quantité de caféine ingurgitée depuis le levée, subissait les conséquences de la courte nuit passée. Pas même l’agitation matinale de Paul et Noah sur le chemin de l’école n’avait réussi à m’éveiller. J’étais restée insensible face à leurs jérémiades et les avaient abandonnés avec bonheur devant leurs écoles respectives.

Le ménage au restaurant ayant pris fin, il ne me restait qu’à terminer la mise en place de la salle, envahie par les agréables odeurs de la cuisine à quelques mètres dans mon dos. De cette dernière parvenait de fréquents bruits d’ustensiles, tandis que mon père s’était échappé de la porte battante pour inscrire à la craie le menu quotidien sur le tableau en ardoise.

Grâce à Madeleine, j’avais fait la rencontre de Tara, sa nièce. Détachée et en retrait, l’intéressée semblait plus introvertie que sa parente. Sous son bonnet et son épaisse doudoune, la jeune femme avait laissé entrevoir de belles boucles noires et dorées qui réchauffaient la froideur de ses traits pourtant si métissés. Nous nous n’étions pas montrées bavardes mais son installation définitive en ville assurait de prochaines entrevues.

C’est à l’instant où elle tourna les talons qu’une vibration se fit ressentir dans la poche arrière de mon jean.

« Theater District, Midtown West. A l’angle de la 47ème rue. Ce soir, 23H. »

J’eus un court moment d’absence. Le plan de Nicholas ne me disait rien qui puisse aller en ma faveur. Ce collier en valait-il la peine ? Cette babiole ? Dans mon égarement, je brisais un verre.

A l’instar de chaque midi, la fréquentation de l’établissement s’était mesurée, ce qui m’avait laissé un temps suffisant pour gérer l’intendance de la maison. Entre deux machines de linge et quelques gorgées de café, j’avais entamé une courte révision, vainement menée, avant le retour de l’école des garçons et mon départ pour la bibliothèque universitaire.

– Tu m’écoutes ?

Le regard dans le vague, mâchouillant la gomme de mon crayon de papier, je le repostais sur la petite brune qui quémandait mon attention.

– Pas vraiment, avouais-je, honteuse. Excuse-moi. Tu disais ?

Sofia fit une moue légère.

– Je te parlais du Juris Doctor. Je n’arrête pas d’y penser. On y est presque, Gabriela ! Tu te rends compte ? Je suis tellement stressée !

L’énergumène, dans son exaltation, manqua de se faire réprimander par la bibliothécaire.

– Je crois que je ne vais jamais y arriver… soupira-t-elle en replaçant son épaisse paire de lunettes sur son nez.

J’émis un rire moqueur avant de me pencher vers elle.

– Sofia Maria Diaz, tu en ressortiras Major de promotion et tu deviendras un grand professeur. Fais-moi confiance. Après tout, j’ai toujours raison. Non ?

Un doux rire enfantin lui échappa. J’avais fait la rencontre de ma camarade mexicaine lors de ma première année à la fac, et de par notre marginalité, notre binôme ne s’était jamais plus élargi.

Sofia avait un vécu difficile, migrant illégalement aux États-Unis à l’âge de ses treize ans, avec ses parents et son frère aîné, Diego. Entre deux révisions, elle s’était laissée aller à quelques confidences, m’avouant pudiquement que ses parents avaient dû être rapatriés sur le sol mexicain tandis que Diego, vivant de l’illégalité, s’était fait emprisonner durant l’été de sa première année d’études supérieures. L’argent du crime lui avait permis de financer une grande partie du cursus universitaire de sa petite sœur. Ainsi, elle s’était retrouvée seule.

Entre les murs et même au travers, les aiguilles de la grande horloge avaient déjà fait plusieurs tours complets. La nuit était tombée sur le campus, à l’instar de la neige, et les étudiants quittaient leurs sièges en masse, tandis que la petite lampe de bureau verte à mes côtés vacillait. Je ne tarda pas à abdiquer à mon tour, frissonnant de fatigue. Sofia, elle, s’y refusa, acculée par deux montagnes de livres.

Abritée sous mon parapluie, j’avais regagné ma voiture à la hâte. Ce soir là, je ne me rendis pas compte des kilomètres de route avalés, mécanique.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire PetitCygne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0