Chapitre IV - ... je t'aimerai toute ma vie (1/3)

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Minuit, vingt-six minutes. Il était la pièce manquante du chef d’œuvre, volant la vedette à la lune. Me tournant le dos, Nicholas tint bientôt à me faire face. Derrière lui se dressait une grande étendue de glace qui, je l’avais vue il y a quelques heures, était en réalité faite d’eau.

– Bonsoir, petit cygne.

Les températures avaient dangereusement chutées, mais mon corps s’était littéralement embrasé à ces mots. Je ne ressentais plus l’effet des bourrasques glaciales sur ma peau, ni leur violence. Seuls mes cheveux, entortillés et en apesanteur, payaient le prix des secousses. Le temps s’était figé.

De la bouche de mon preux chevalier s’évacuait d’intenses nuages de vapeur mêlés à la nicotine. L’odeur parvint jusqu’à mes narines. Comme durant la veille.

– Te voilà bien loin de chez toi. Tu dois être effrayée.

La distance qui séparait nos deux corps s’amenuisait à son initiative. Sa silhouette, s’affirmait dans mon champs de vision, grande et imposante, tandis que je me concentrais sur les traits de son visage que l’obscurité prenait un plaisir sadique à dissimuler.

– Non ? poursuivit-il.

Il fit un pas supplémentaire vers moi. Celui-ci suffit à propulser son parfum dans l’air, brut et enivrant.

– J’ai l’air si empotée ?

Il s’amusa de ma réflexion et des fossettes creusèrent ses joues. Seigneur.

– Nicholas.

– Je sais, répondis-je, du tac au tac.

Sa dernière enjambée suffit à réduire à néant la barrière imaginaire qui m’en avait maintenue à l’écart. L’homme qui se tenait devant moi était hypnotique, et sa beauté, digne de Vénus. L’intensité de son regard était telle qu’il paraissait sonder mon âme. C’en était intrusif et les lumières extérieures, aux pieds des sapins, ne purent me ramener à la réalité lorsqu’on les alluma. Au contraire, puisqu’elles accentuaient le gris perle des yeux du fils Dark. Lui aussi aurait pu être peint par Botticelli.

– Tu sais ? Vraiment ?

Le dieu vivant était d’humeur joueuse.

– Tu es le frère du sorcier, repris-je, non sans mal. Tout le monde le sait.

J’esquissais un sourire à mon tour. A l’horizon, la soirée de Lily se prolongeait.

– C’est vrai. Pourtant, ce n’est pas l’impression que tu donnais, hier, lorsque tu t’es adressée à ton amie.

J’avais détourné le regard. Il était vrai que j’aurais pu être plus discrète. Nerveusement, comme une enfant, j’agitais mes pieds et les plantais dans le sol.

– Je connais la plupart des personnes que fréquente ma petite sœur. Tu n’a rien de chacune d’entre elles. Que fais-tu ici ?

– C’est si évident ?

J’émis un rire nerveux en me pinçant les lèvres.

– Je ne sais pas moi-même ! avouais-je en ramenant mes bras contre mes cuisses, exaspérée. Lily m’a invitée. Elle regrettait la façon dont s’était déroulée notre première rencontre.

Nicholas s’esclaffa, hilare.

– Empotée et naïve. Ça fait beaucoup pour une seule personne, Gabriela.

Il reprit son sérieux en croisant à nouveau mon regard. Je le dévisageais, dans l’incompréhension.

– Les regrets ne font pas partie du vocabulaire de

notre famille, s’expliqua-t-il avec une franchise profonde dans la voix. Et toi, très chère, tu t’es jetée à corps perdu dans la gueule du loup.

– Si j’avais vu ton frère, je m’en serais souvenu.

– Je ne parlais pas de Bastian.

Soudain, le croassement d’un corbeau tonna.

Perché sur la fontaine qui avait attiré mon attention depuis la demeure ancienne, l’oiseau nous scrutait. Je frissonnais devant ce spectacle qui faisait ressurgir les flash-back de l’incident dans la forêt deux soirs plus tôt. La structure était ornementée de figures angéliques en souffrance, broyées par le poids massif d’une hideuse gargouille ailée à l’étage supérieur. La présence de mousse trahissait sa vétusté mais n’engageait pas l’effroi du message qu’elle semblait refléter.

– Elle te plaît ?

Nicholas avait senti mon trouble.

– Que représente-t-elle ?

– Satan, reprit-il en en s’approchant d’elle. Quand Lucifer s’est fait bannir du Paradis par Dieu, il a entraîné avec lui une partie de ses frères. L’Enfer leur était dédié… avant qu’ils n’entraînent les hommes dans le pêché et qu’il ne devienne lui-même leur unique dieu.

– Jusqu’au jour où le Fils de Dieu et les siens descendront se confronter à eux.

Je n’étais plus qu’à un tout petit mètre sur ses talons.

– Dieu a abandonné les hommes, petit cygne.

Je refusais d’y croire et la croix pendue à mon cou avait atteint un poids plus lourd à porter que d’accoutumer.

– Tu te trompes.

Nous avions volontairement continué de nous perdre dans la profondeur de la nuit, coupés du monde, et j’avais fini par oublier l’épisode Blair Evans au milieu de l’indifférence générale de l’assemblée.

– Je n’ai pas eu le temps de te remercier, soufflais-je en brisant la glace. De t’être interposé entre Bastian et moi.

– L’entreprise de mon père est sur le point de décupler ses investissements en Russie et au Moyen-Orient. J’y ai des actions. C’est le travail de toute une décennie qui a longtemps été un sujet de discorde dans notre famille qui sera remis en cause, si une histoire de mœurs devait la ternir dans la presse. Je n’allais pas le laisser tout foutre en l’air.

Aïe. Il n’y avait donc aucune once d’humanité chez les membres de cette famille ? Je fulminais.

– Évidemment. La rentabilité avant la morale. Si cette notion vous est commune ?

L’assurance m’avait partiellement gagnée, ce qui avait mobilisé toute l’attention de ma nouvelle bête noire.

– Merci aurait suffit, eut-il pour seule réponse.

Je restais estomaquée.

– Je te crois suffisamment dérangé pour savoir où tu peux te le mettre. Crétin.

Blessée, je l’avais laissé planté là, bête et méprisant, avant de remonter le chemin qui nous avait portés jusqu’ici.

– Gabriela.

Je fis la sourde oreille. Il n’était plus question de discuter ou même de profiter du paysage, mais bien de quitter la propriété. Je tâtonnais mes poches pour en saisir mon téléphone.

– C’est ça que tu cherches ?

Dark m’avait suivi. Moqueur et affichant un air triomphant. Entre ses doigts gantés de cuir, le brun ténébreux pianotait sur l’objet, la luminosité de celui-ci agressant la perfection de ses traits.

– Donne-le moi, lui ordonnais-je. Tu as quel âge ?

Nicholas ne bougea pas d’un cil et toute tentative de lui ôter resta sans succès. Il devait mesurer un mètre quatre-vingt-cinq. Probablement plus, et était de bonne proportion, ce qui réduisait considérablement mes chances de réussite, moi qui ne dépassait pas le mètre soixante-dix.

– Tu es ridicule, murmura-t-il en empruntant un air navré.

Pour une fois, il n’avait pas tord.

– Et j’ai aussi pas mal d’adjectifs qui pourraient te convenir.

– Comme « crétin », j’imagine ?

– Ça commence par la même lettre, rétorquais-je en repoussant son torse musclé.

– Tiens, donc. Mais c’est qu’elle pourrait mordre en plus ?

J’étais au summum de l’exaspération, ce qui n’empêchait pas son rire d’être un délice pour l’ouïe. Aux abords du manoir, le tortionnaire maintenait son châtiment, se vouant volontiers à l’émission de commentaires lors de sa fouille.

Les poings sur les hanches, réprobatrice et excédée, je le maudissais devant son flegme légendaire, le souffle saccadé.

– Je suis déçu, lança-t-il, audacieux. Je reste sur ma faim.

– Ho. Navrée de te décevoir, vraiment. Et à quoi t’attendais-tu ?

– A quelque chose de plus… captivant.

Il haussa les épaules et me contourna en choquant l’une d’entre elles contre la mienne avec une pression calculée. Indolore mais suffisamment forte pour m’inciter à reculer. Entreposé en amont de la bâtisse, un engin métallique couvert de blanc m’avait accordé un temps de répit, mobilisant toute l’attention de l’enfant terrible. Subitement, un tiers vint à interrompre notre interminable tête-à-tête.

– Je vous ai vu arriver au loin. Je vais chercher la voiture, mademoiselle. Monsieur Dark, le salua William. Vous semblez être pleinement satisfait de votre nouvelle acquisition.

L’intéressé eut un sourire en coin.

– Une merveille.

C’était donc lui, le taré.

– J’aurais du m’en douter.

J’avais pensé à voix haute. Trop, hélas.

– Vous adorez ça, d’habitude.

– Vous ? répétais-je, un brin de surprise dans la voix.

– Les nanas dans ton genre.

Je marquais un temps de pause.

– Et c’est quoi, mon genre ?

Je ne perçu pas sur l’instant la tonne de métal sur quatre roues qui s’était haltée à quelques pas non loin de moi.

– Le genre qui veut s’en donner un, avoua-t-il en me détaillant de haut en bas. Sage quoiqu’un poil coincé.

Il coinça furtivement un pan de ma jupe entre son index et son majeur, grimaçant, alors que l’habitacle du véhicule, en retrait, me tendait chaleureusement ses bras.

– Bonne nuit, Gabriela.

Alors que le revers de sa main s’octroyait le droit de venir caresser ma joue, mon pied trouva appui contre la bécane en arrière plan, qu’il bouscula au possible à la renverse.

Fière quoi que paniquée par ce retour de bâton, je m’empressais de me glisser sur la banquette arrière de la voiture lorsque Nicholas m’agrippa fermement le poignet. La pression m’empêcha de me dérober et le sol glissa sous mes pieds.

Par chance, mon détracteur m’évita la chute.

Dans ses bras, je me retrouvais pétrifiée. Tant par la violence de l’échange que par l’intimité de la scène, j’étais démunie, dans la gueule du loup, mes lèvres à quelques millimètres des siennes qui cachaient – j’en étais sûre –, des crocs acérés. Y soufflant son air chaud, le prédateur mesurait son ascendance sur sa proie. Moi.

L’une de ses mains, maintenant ma nuque, avait amorti le choc crânien qui m’était prédestiné. La seconde, fougueuse, avait pris une direction plus au sud. Sous le tissu couleur sang, sa main emprisonnait ma croupe. En dépit de l’unicité du moment, je n’avais encore jamais rien ressenti de semblable. A cet instant, je brûlais.

– Donne-moi une bonne raison de ne pas te lâcher, menaça-t-il entre ses dents.

Sa main déferla en cascade le long de ma cuisse jusqu’à la pliure de mon genou. Il y maintint sa prise contre sa hanche.

– Tu ne m’aurais pas rattrapée si c’était ce que tu souhaitais.

Les doigts crispés au col de sa veste, je me préparais à anticiper sa prochaine réaction. Son visage s’était durci et la noirceur dans ses yeux trahissait la colère dans laquelle je l’avais volontairement plongé. Touché. Un nerf tressautait nerveusement de sa mâchoire.

En proie à un dilemme total, l’individu s’était redressé, me ramenant contre lui une dernière fois. Ses mains, quant à elles, ne s’étaient pas montrées moins assurées.

– Bonne nuit, Nicholas, le saluais-je à mon tour en me libérant de son emprise.

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