Chapitre III - Loin du froid de décembre... (3/4)

4 minutes de lecture

Vingt heures, cinquante-six minutes. Aly était rentrée chez elle tard dans l’après-midi, de grosses lunettes noires sur les yeux. Quant à moi, j’avais été à côté de mes pompes toute la journée. Jamais, je n’avais autant porté d’attention à ma penderie. Tout m’avait semblé fade et inadapté pour la soirée qu’organisait Lily jusqu’à ce qu’un torchon coincé sous ma table de chevet n’attire mon attention.

Postée devant le miroir, je me jaugeais. J’avais enfilé une jupe trapèze rouge sur un collant noir, allant lui même de paire avec un simple col roulé de même couleur. L’hésitation ne m’avait pas quittée, à l’instar de la culpabilité, cette dernière gagnant du terrain au même rythme que les aiguilles sur la pendule.

Le chauffeur t’attends.

- L.

Le texto provenait d’un numéro inconnu. Il n’était signé que d’une lettre mais la lecture de celle-ci avait suffit à nourrir la boule nichée au creux de mon estomac. En bas de la fenêtre patientait effectivement l’intéressé, stoïque et raide comme la justice.

Seule la voiture avait changé, l’anglaise laissant place à une luxueuse japonaise. Je fis signe de mon arrivée. Quittant la chambre à pas de loup pour ne pas attirer l’attention et les vagues de questions, William m’accueille avec la même habilité que précédemment dans la matinée. Le sourire n’y est toujours pas, mais l’homme dégage une douceur contrôlée et rassurante. Dans l’habitacle, l’air y est bon, réchauffé par un fond de musique jazzy.

Les vitres s’embuent et les arbres défilent, nous plongeant dans l’obscurité avec pour seules lumières, celles du tableau de bord et des phares avant du véhicule. Le moteur gronde, assurant sa puissance, tandis que je m’enfonce dans mon siège.

Le regard de William croise le mien dans le rétroviseur mais s’y attarde. Je n’en comprends la raison que lorsqu’un second grondement vint à couvrir le nôtre. A nos trousses, une moto rattrapait son retard à vive allure, remontant notre gauche avec contrôle quoi qu’avec inconscience avant de disparaître dans la nuit noire. Taré. Un rictus se dessina sur les lèvres du quinquagénaire.

- Nous arrivons dans dix minutes, mademoiselle.

Effectivement, l’allure décroissante annonçait une arrivée imminente à Kennedy Town. J’en reconnaissais certaines de ses zones avant de nous engouffrer dans un sentier forestier. Quelques minutes seulement furent nécessaires pour arriver au pied d’un gigantesque portail.

J’en étais déconcertée. Derrière lui se dressait une immense demeure, celle qui retenait toute mon attention lors de mes passages réguliers dans les environs côté ville : le manoir Dark. Comme un agneau, j’étais livrée au loup et je me rendais naïvement à l’abattoir. Mal assurée, je gagnais les marches de la maison. Leur ascension était interminable.

Je n’eus pas le temps de frapper à la porte que celle-ci s’ouvra sur une petite femme, le teint noir et les cheveux réunis en un chignon bas et autoritaire. Ses yeux étaient pourtant rieurs.

– Bonsoir, mademoiselle. Je suis Rosa, la gouvernante. Entrez donc.

Elle recula et ferma la porte sur mes pas.

– Mademoiselle Lily n’attendait plus que vous.

Elle me débarrassa aimablement de mes couches de vêtements superflues.

– Suivez-moi.

J’étais époustouflée. La décoration était purement baroque à l’extérieur comme à l’intérieur de la bâtisse. Un immense double escalier en fer forgé surplombait la pièce, imitant celui du Grace, et contrastant avec l’impeccable blancheur du carrelage en marbre. Les pièces se succédaient et rendait la précédente un peu plus ennuyeuse que la suivante à chacune de leurs traversées.

– Salut, Carter.

Au cœur de la pièce, ses convives gravitant autour d’elle, l’hôtesse de la soirée m’interpellait. Collé à son flanc, elle repoussa sèchement le minet qui s’était trop longuement perdu dans son cou.

– Contente de voir que tu as su trouver le chemin.

Elle se leva.

– Je vous présente Gabriela, les amis. Très jolie jupe.

Cinq paires de yeux me braquaient. Je ne connaissais aucune d’entre elles, ce qui ne semblait pas être unanimement réciproque.

– Ouais, je t’ai vue avec l’autre coureuse de rempart. Blair Evans.

L’invitée la plus isolée me toisait, un verre de scotch à la main. La blondinette avait fait référence à Alyssa. Cependant, je refusais que ma présence soit l’opportunité pour qui le désirait de se montrer méprisant envers l’absente de la soirée ou même d’en devenir le souffre-douleur.

– Blair ? murmurais-je en mimant la réflexion. Enchantée. Comment va Daniel ?

L’ambiance devint glaciale malgré le crépitement du feu à proximité des banquettes. L’attention s’était depuis mobilisée sur l’insolente, dans l’attente d’un renvoi à l’adversaire. Mais il n’en fut rien, les rires de ses amis venant briser le silence absolu. Le regard noir de Blair, lui, avait largement suffi à nous déclarer ennemies.

– Mieux depuis qu’il fréquente Alyssa, à n’en pas douter, lâcha une voix rauque.

Un jeune homme aux cheveux crépus avança sur ma droite, m’offrant une flûte de bulles. Blair lui dédia son majeur bagué pour seule réponse.

– Ravi, Gabriela. Je suis Victor Pierce et voici ma sœur, Eugenia.

Sur ses talons suivait une magnifique poupée noire dont la peau sublimait le vert forêt de la robe. Les Pierce, à qui les mauvaises langues prêtaient une relation incestueuse, étaient les enfants de Michael Junior Pierce, maire de New-York, et de Pearl Bedi Pierce, l’héritière d’une richissime famille de diamantaires africains.

– Tes cheveux sont magnifiques.

Eugenia enroula une mèche autour de son index.

– C’est un plaisir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire PetitCygne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0