Chapitre 4

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Le Dimanche suivant, le Myosotis hésitait devant la porte de Jocelyn. Il ajusta sa tenue pour la dixième fois, et vérifia que sa bouteille de vin était bien fermée. Après une grande inspiration, il frappa trois coups, s’efforçant de ne pas songer que c’étaient les trois derniers.

Jocelyn, qui l’attendait, lui ouvrit presque immédiatement. Son visage se fendit d’un sourire radieux. Pour l’occasion le jeune mage portait un trois pièce bleu sombre, avec un gilet de brocart gris et de ravissants boutons de nacre. L’ensemble soulignait sa taille, allongeait sa silhouette, mettant en valeur la courbe de ses reins et…

— Entre vite ! J’ai…

Le jeune mage se tut, devant la stupeur admirative de celui qu’il croyait être son amant. Le Myosotis rougit, et bredouilla en entrant :

— Splendide costume ! Tu me donneras l’adresse de ton tailleur ?

— Avec joie ! Oh, tu as pris du vin… Et mon préféré ! Charmante attention mais… ne devions nous pas travailler ?

— Je… si bien sûr mais je voulais me faire pardonner mon départ hâtif et… tout le reste.

Jocelyn lui prit la bouteille des mains en l’invitant à s’asseoir dans le petit salon, dans lequel il avait disposé une vaste table de travail. Une petite boîte en maroquinerie y trônait bien en vue. Le Myosotis s’approcha et remarqua les symboles hébreux gravés sur son couvercle. L’objet semblait aussi précieux qu’ancien.

Un bruit cristallin lui parvint de la pièce d’à côté. Le jeune mage revenait avec deux verres et une carafe de décantation, dans laquelle il entreprit de verser le vin.

— Comme je te l’ai dit, ta réponse est ici, l’ultime pièce de ce puzzle que tu cherchais à résoudre !

Jocelyn s’appuya contre la table, le regard plein de malice.

— Cette Ségoula que tu cherches, c’est mon héritage. Ma famille la possède depuis des générations. Nous avons pour devoir de la protéger. Pourquoi ? De qui ? Aucune idée, cette information s’est perdue au fil du temps… Je la savais ancienne, mais pas à ce point.

— Tu n’as donc aucune idée de ce dont il s’agit ?

— Nous avons quelques pistes… Mon oncle Lazare a fait quelques recherches, sans grand succès. Il a exhumé une vieille légende juive, disant que seuls les Grands Cohens pouvaient activer le pouvoir d’une Ségoula en prononçant le nom ineffable de dieu. Mais ils ont été exterminés par les romains, ainsi ce savoir s’est perdu…

Jocelyn faisait tourner la carafe, pour faire respirer le vin, appréciant son odeur.

— Tu crois vraiment que son pouvoir est si puissant ?

Cette légende, ce savoir perdu, ces Cohens exterminés… Tout cela ne disait rien de bon au Myosotis. Et si tout était vrai ?

— Je n’en doute pas ! Il me semble important de le comprendre, d’autant plus aux vues de ce que tu as trouvé. Pardonne moi mais… quand tu es parti, j’ai eu un doute à ton sujet, sur ton honnêteté.

Jocelyn s’approcha et saisit sa canne de mage, dont le pommeau était orné d’une thaumide couleur grenat.

— Tu étais si doux, si… je ne sais pas, plus tendre… Je suis tombé de nouveau amoureux ! C’est comme s’il y avait quelque chose de plus profond entre nous, de plus vrai.

Le Myosotis se mordit la lèvre. Il posa la main sur la joue du jeune mage, qui se laissa aller au plaisir de ce contact.

— Et tout était vrai ! Tes documents sont authentiques ! Tu ne mentais pas, tu étais là, pour moi… Cela m’a fait comprendre l’importance de mon héritage. Cette carte c’est mon passé, mais aujourd’hui je veux qu’elle soit mon avenir, avec toi.

— Tu es toujours aussi romantique… dit le Myosotis avec un sourire attendri.

— Ben voyons… Regarde plutôt.

Le jeune mage posa la main droite au-dessus de la boîte, et prononça une longue formule. La thaumide sur la canne dans sa main gauche s’éclaira d’un éclat rouge vif. En réponse, les symboles sur le couvercle s’illuminaient de blanc. Fasciné, le Myosotis se pencha en avant. Sous ses yeux, la lumière blanche s’étendit aux rainures du bois jusqu’au mécanisme d’ouverture, qui se débloqua dans un claquement sec. Le couvercle se souleva, révélant une carte dorée, à peine plus grande qu’un carton d’invitation.

Le cœur du changelin manqua un battement. Il ne voyait pas un trésor historique, mais l’objet de sa trahison.

— C’est elle la Ségoula de ta quête ! Regarde comme elle réagit à ma thaumide !

Le jeune mage approcha sa canne de la Ségoula. La thaumide s’illuminait de plus en plus à mesure que la distance diminuait, puis sont éclat se ternit progressivement, alors qu’il l’éloignait de l’artefact.

— Oh bon sang, la preuve est faite ! Il s’agit bien d’un objet magique datant de l’antiquité ! s’écria le Myosotis, abasourdi.

— Oui ! Et nous devons fêter ça !

Jocelyn leur servit deux verres de vin. Le vin de la trahison. Alors que le liquide sombre coulait contre le verre, le changelin sentit sa tête lui tourner et ses jambes lâcher. Il s’effondra sur le canapé.

— Armand, ça va aller ? s’inquiéta Jocelyn, J’imagine à peine ce que tu dois ressentir… J’ai tellement de questions ! Nous deux, tes recherches, comprendre mon héritage… Mais je t’assomme alors que tu es déjà estourbi ! Bois, tu le mérites !

Le Myosotis accepta le verre de bonne grâce. Comme au ralenti, il regarda Jocelyn boire le sien avec délice.

Non !

Le changelin se redressa d’un bond. Prenant Jocelyn de court, il chassa le verre d’un revers de main.

— Non ! Ne boit pas ce…

Mais il était trop tard, le jeune homme titubait déjà. Son regard brillant devenait terne, vitreux. Il vacilla avant de s’effondrer dans ses bras.

Tu n’es qu’un monstre. Tu ne vaut pas mieux qu’Armand. Pas mieux qu’Irvin.

Le Myosotis fondit en larmes et tomba à genoux, serrant Jocelyn dans ses bras, couvrant son front de baisers.

— Je suis désolé… Tellement désolé…

Un bruit de pas l’alerta. Le changelin leva ses yeux encore baignés de larmes, vers Joseph qui venait de passer la porte, Tortosa juchée sur son épaule.

— Félicitations, l’artiste ! C’est très touchant, mais il ne faut pas s’attarder !

Les sanglots du changelin redoublèrent d’intensité. Dans un soupir, la chatte ailée vint se poser en face de lui.

— T’en fais pas, il va s’en remettre, c’est sûr. Pi c’est pas vraiment de ta faute, c’est l’autre qui s’est barré qui lui a brisé le cœur…

Le Myosotis secoua la tête, abattu.

— Bon… Récupère la carte et on se fait la malle ! Tu sècheras tes larmes plus tard, l’artiste.

Comme un automate, le changelin prit les traits de sa victime, comme un ultime affront. La Ségoula le reconnut et se laissa déloger de son écrin. Il la présenta au colosse, qui la rangea dans une autre boite, moins ancienne et sans doute moins magique.

— Attends… Pourquoi Joseph est-il là ?

— Pour le p’tit. Le patron le veut aussi.

— Hors de question !

— Pas d’mage, pas d’paiement ! Qu’est ce que tu piges pas la d’dans l’artiste ?

— Ce n’était pas dans le plan !

— Eh bien il a changé, le plan ! On doit filer avant qu’il se réveille ! Tu feras quoi si ca tourne au grabuge ? Tu veux retourner en taule ?

— Je m’en fiche ! Je ne peux pas vous laisser faire ça !

— Que t’es pénible…

La chatte-ailée fit un léger signe de tête, et Joseph abattit son poing sur la tête du changelin, qui vit trente six chandelles avant que le monde s’assombrisse.

— Tu me remercieras plus tard, l’artiste… entendit-il avant de plonger pour de bon dans l’inconscience.

***

— On fait quoi maintenant ? C’est quoi cette histoire ?

— Qu’est ce que j’en sais, Lucette ! Le patron veut le gamin, je lui donne le gamin c’est barre ! Tu crois qu’on a fait tout ça pour tout abandonner ? Tous ces risques, pour rien ? Ce type, il plaisante pas, c’est lui ou nous !

La dispute avait réveillé le Myosotis, mais il préféra garder les yeux clos pour le moment. Le temps de se remettre, de comprendre.

— Il fait partie de notre famille, Tosa, tu ne peux pas faire ça !

— Bon d’accord je lui donne juste le gamin… Le patron se fiche du changelin.

La voix de Maurice s’éleva de plus loin.

— On peut pas faire ça ! On est des voleurs ouais, mais pas des kidnappeurs ou des meurtriers !

— Mais j’fais ça pour vous les gars ! Si on obéit pas…

Le changelin se redressa et observa son environnement quelques instants. Il se trouvait sur la banquette arrière d’une voiture. Les Monte-en-l’air étaient réunis derrière lui, devant la malle qui servait de coffre au véhicule. Jocelyn y gisait, heureusement indemne.

— Votre patron… Il ne pourra pas utiliser la carte sans Jocelyn ! Je sens qu’il va lui faire du mal ! Livrez moi à sa place, je me ferai passer pour lui, vous avez bien vu, la Ségoula n’y voit que du feu…

Les Monte-en-l’air restèrent cois. Ils le dévisageaient d’un air consterné. Il avait abandonné l’apparence d’Armand, ni repris celle du Myosotis. Il n’était que lui, triste, perdu. Tortosa s’envola et se posa sur ses genoux.

— Je vais pas te livrer ! T’es des nôtres l’artiste. T’es qu’un crétin au cœur d’artichaut, têtu comme une mule, mais t’es des nôtres. Je ne laisserai personne te faire du mal.

Le changelin considéra la chatte-ailée avec un air désolé. Il la caressa d’une main distraite, provoquant un ronronnement étrange et inquiétant.

— Je ne veux pas qu’on lui fasse du mal. Je refuse de me rendre coupable de ça. Il n’a rien fait de mal, moi si.

Agacée, Tortosa planta ses dents dans sa main.

— Tu veux pas faire ça ! Tu crois pas que t’as assez souffert comme ça ? Il est temps de penser un peu à toi !

— Non, Tosa…, intervint Lucette, Il a raison. Tu es la plus maligne d’entre nous. Tu sais comme moi que cette histoire est en train de tourner au vinaigre. T’aurais pas une idée…

Elle lui adressa un regard implorant, les larmes aux yeux.

— Une idée ! Si j’en avais qu’une je s’rais pas Tortosa ! siffla la chatte-ailée en se redressant crânement.

Elle se tourna vers le changelin.

— C’est bon t’as gagné, l’artiste. Prends ton mage et tire toi, loin ! Vite avant que je ne change d’avis !

— Tu me… Laisse partir ?

— Regarde cette bande de nigauds, avec leurs yeux tout humides ! Ils pensent avec leur coeur et pas avec leur tête, comme toi ! Ah j’vous déteste, bande de poux !

— Merci, Tosa.

Le Myosotis la serra dans ses bras, récoltant quelques griffures et crachats au passage. A force de coups de pattes, la chatte-ailée finit par échapper à son étreinte et s’envola pour se poser sur l’épaule de Lucette. Le changelin accorda un dernier regard à sa famille adoptive. Un au revoir, pas un adieu. Mais il devait s’assurer de mettre Jocelyn en sécurité d’abord. Il enjamba la banquette avant et s’installa à la place du conducteur.

Un instant plus tard, la voiture disparaissait dans la nuit, laissant les Monte-en-l’air seuls au milieu du petit chemin forestier, à une heure de marche de leur ferme. Maurice brisa le silence le premier.

— On n’a pas d’autre voiture… Comment on rentre ?

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