Roger, chez lui

Il était assis dans son fauteuil et écoutait une musique d’ambiance lorsqu’un sifflement aigu le sortit de sa torpeur. Il se leva lentement et se dirigea vers lui.
De la vapeur s’échappait d’une cafetière. Il saisit sa poignée avec un torchon de cuisine et se versa une demi-tasse du liquide brunâtre. Au moment de reposer le récipient, il hésita pendant quelques secondes, puis passa sa main gauche sous le bec brûlant.

Quelques minutes plus tard, de retour sur son sofa, Roger songea de nouveau à l’échec du transfert. L’expérience auquel il s’était plus ou moins préparé avait échoué, et le module avait cessé son raffut au bout de quelques secondes. Sanders était réapparu devant sa vitre en plexi, le visage souriant.
— Quel est le problème ? avait-il dit de l’intérieur de son module.
— Aucun, monsieur Derky ! Vous avez réussi !

À sa sortie du module, on lui avait alors appris qu’il était parvenu à ramener Sam Starck dans leur monde. Sur le coup, cela ne lui était pas venu à l’esprit, même lorsqu’on lui avait montré le corps toujours endormi de Sam dans un caisson à proximité du sien. Ce fut bien plus tard, après la rencontre avec cet homme que son cerveau s’était remis à fonctionner correctement.

Il composa le numéro de Sanders.

— Allo !
À l'autre bout ce dernier hésita quelques secondes avant de répondre.
— Monsieur Derky ! Comment allez-vous ?
— Bien. Un peu déphasé, mais ça ira.
— C’est tout à fait normal, ne vous inquiétez pas. Que me vaut votre appel ?

Ailleurs

Sam observait sans vraiment la voir la rue déserte à travers la fenêtre fermée de sa chambre d’hôtel. Son esprit repassait en boucles les événements qui s’étaient déroulés quelques heures auparavant. Il se remémora son arrivée dans le bureau de Sanders ainsi que l’homme qui s’était levé de son fauteuil en sa direction. Il se savait dans le simulateur en ce moment-même. La vraisemblance des détails qui l’entouraient, le sol, les murs, l’air ambiant, les personnes présentes, tout était d’un réalisme à couper le souffle. Le plus éprouvant fut sa rencontre avec Roger, l’avatar conçu par Sanders et lui et dont il était censé occuper le corps dans cet environnement numérisé. Qu’est-ce qui avait foiré ? De plus, comment celui-ci pouvait-il avoir sa propre existence autonome ? Et que dire du récit provenant de cet assemblage de code lui relatant qu’il aurait, soixante-douze heures auparavant, tenté un test d’immersion afin d’évaluer un module de la compagnie. Suite à une défaillance du système, son cerveau aurait, paraît-il, été pris dans une sorte de stase artificielle d’origine inconnue. Sanders aurait fait appel aux services de cet… de Roger pour l’arracher de cette situation et le guider dans vers la sortie, dans ce monde ou il était un autre Sam Stark, travaillant pour CORTEX
Le Sam qu'il était avait écouté sans dire un mot pendant que des images de deux univers distincts se bousculaient dans sa tête, chacun essayant de se frayer un chemin vers une réalité qui commençait à s’effriter. Son plan ne s’était pas déroulé comme il le prévoyait.

Son téléphone vibra dans sa poche de pantalon. Le visage de Sander s’étala sur toute la surface de l’écran tactile. Sam soupira.
— Oui Mr Sanders !
— Sam ! Tu vas bien ?
— Ça va.
— Je sais que tu as besoin de temps.
— Vous me tutoyez !
— Pardon !...
— J’ai dit, vous me tutoyez !
Il y eut un silence de quelques secondes, puis Sanders reprit.
— C’est compliqué à expliquer. Pour le moment, Roger aimerait te rencontrer à nouveau.
— Pour quelle raison ?
— Il ne l’a pas précisé. Je t’envoie son numéro sur ta messagerie ?
— Faites donc.
— Sam ?
— Oui, répondit Sam avec lassitude.
— J’espère avoir de tes nouvelles au plus vite. Repose-toi bien.
Sanders raccrocha.