Chapitre 2

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CHAPITRE 2

Algérie 1922

Bou Hanifia – station thermale entre Sidi Bel Abbès et Mascara

— Carmencita ! Carmencita !

— Madré ?

— Carmencita ! Donde estas ? 

— Je suis ici maman !

— Oh là là, Carmen, je te cherche depuis presque une heure, tu étais où encore ?

— J’étais chez le pépé, madré. Je jouais avec Aziza et son petit frère, El Bandido.

— Yo té digo mille fois de ne pas traîner dans le quartier arabe quand la nuit elle commence à tomber !

— Mais madré, c’est mes amis. Et leurs parents ils sont tellement gentils avec moi. Ils m’ont encore offert le goûter. On s’est régalés de galettes, de Tchumbos (figues de Barbarie) et de bon lait de chèvre. La la la, j’ai la peau du ventre bien tendue, merci petit Jésus.

— Ça me fait pas rire, tu sais. J’ai passé du temps à préparer la polenta et à faire une bonne mouna comme tu aimes. Et toi, comme d’habitude, tu vas encore rien manger ! Ah Carmencita ! Carmencita tu m’en fais du souci, tu m’en fais… »

 

Poitiers, 1er janvier 2012

« Madré, je sais même plus à quoi tu ressembles. J’ai oublié ton visage madré… Papa, le padré, plus de souvenirs non plus de toi. Mes frères et ma soeur, les uns après les autres vous êtes partis les rejoindre tout en-haut. D’abord Gabriel, puis Marco et Therese, ma Theréssica…Et toi ma Carmencita ? Toi aussi tu es partie. Partie pour toujours. Où es-tu jolie et intrépide Carmencita ? Où es-tu toi qui aimais courir à perdre haleine dans les rues de Bel Abbés ? Où es-tu toi qui croyais ne jamais quitter ta belle terre d’Algérie ? Y a bien longtemps que tu l’as perdu ta fougue. Bien longtemps aussi que tu les as perdues tes douces illusions. »

— Martine ! Martine ?

— Oui mamy, se hâte-t-elle de me répondre en arrivant à pas pressés.

— Martine, vous voulez bien remonter mes oreillers avant de partir ?

— Bien sûr, soulevez la tête, avancez-vous un peu et voilà ! Ça va aller, je peux vous laisser maintenant ?

— Oh ben oui Martine, vous pouvez y aller, je lui dis en attrapant sa main pour la retenir encore un peu. Vous avez du travail et beaucoup de choses à faire.

— Eh oui mamy, j’ai un emploi du temps surchargé aujourd’hui, me répond-elle en riant. Bon, je vous souhaite encore un bon anniversaire et je vous laisse vous reposer en attendant que vos enfants arrivent. Vous allez voir, ça va être une belle journée !

— Oh, si vous le dites…

— Mais oui, mais oui. Et puis vous êtes toute belle. Vous êtes bien coiffée, bien pomponnée et votre maison est toute propre. Que demande le peuple ? »

Toute belle, toute belle… Elle exagère cette Martine. Enfin, elle est gentille à essayer de me faire croire que tout va bien et que je suis belle dans cette robe devenue trop grande pour moi. Elle est gentille à me dire tout le temps que j’ai de la chance d’avoir si peu de cheveux blancs pour mon âge, et une chevelure épaisse et abondante. Elle est gentille à essayer de me remonter le moral en affirmant mordicus que, vu le nombre de photos accrochées aux murs de ma maison, je suis quelqu’un d’aimé et d’entouré.

— À demain Carmen ! s’exclame Martine, claquant la porte d’entrée derrière elle et m’enfermant à double tours.

— Oui, à demain, je m’écrie en me redressant pour qu’elle m’entende lui répondre.

Partez pas Martine, me laissez pas toute seule avec mon désespoir. Revenez, revenez me faire un brin de causette. Revenez me faire rire. Revenez Martine, on reprendra un café toutes les deux et on mangera des madeleines.

 

En 1922 à Bou Hanifia

— Theréssica ? Theréssica ? On joue à la toupie toutes les deux ? 

…. La toupie que tient ma petite sœur entre ses mains, c’est du fait maison. Papa a récupéré le pommeau d’une ancienne rampe d’escalier en bois, a fiché à l’extrémité la plus étroite un gros clou venant de la forge, puis il a taillé une rigole tout autour à l’aide de son canif. Cette rigole permet à la ficelle piquante et effilochée, nouée avec une pièce de monnaie trouée qu’on appelle la "lianza", d’enrouler la toupie.

— Oui ! Je m’exclame en tournoyant sur moi-même. Porque la toupie, elle toupillonne !

— Hé si Carmencita, la toupie toupillonne. Et esta muy bien ! »

D’un geste habile, ma petite sœur tire d’un coup sec sur la lianza. La ficelle se déroule et donne de l’élan à la toupie qui virevolte sur sa pointe de fer déjà rouillée. En tournant, elle crée de petits tourbillons de poussières volatiles qui nous font tousser et nous donne encore plus soif. Il faut dire que les rues en terre battue de Bel Abbés sont extrêmement sèches en cette saison.

— J’ai la gorge comme une

— Yo tambien, me répond Thérèse en m’entraînant vers la fontaine du grand-hôtel.

Arrivée devant la fontaine où l’eau jaillit , nous mettons nos mains en coupelle, et nous nous désaltérons de cette eau chaude mais si agréable à déguster.

— Tu veux faire quoi quand tu seras grande, Carmencita ?

— No sabe Theréssica, j’aimerais bien courir, nager, faire des enfants. Et toi ?

— Pareil !

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