« J’ignorais alors que c’était la dernière fois que j’embrassais ma fiancée. Je plaçai ses cheveux dans un médaillon que je garde toujours précieusement comme témoin d’une partie de ma vie que je regrette encore. Dès le lendemain, le petit galet posait sur ma table de nuit me rappela que je ne devais pas attendre immobile qu’un meilleur destin s’offre à moi. Je postulai comme scribe chez un Baron de Witerheim qui possédait des terres à Castillia et qui y passait le plus clair de l’année. Ne ménageant ni mon temps ni mon dévouement, il me prit rapidement en sympathie et me confia aussi la charge de la trésorerie de son petit domaine du bord de mer. Les jours s’égrainèrent tout d’abord lentement puis les mois devinrent années. Ce n’est qu’une fois assuré d’avoir parfait mon éducation dans mon domaine que je demandai au Baron une lettre de recommandation. Pour me démarquer des nombreuses candidatures que le Duc ne manquait pas de recevoir, je l’envoyai avec quelques reproductions de plantes rares dont j’étais certain que la Duchesse serait friande. Elle devait se languir de son pays natal et revoir ne serait-ce que des esquisses de bougainvilliers et de fleurs d’orangers lui ferait plaisir. Je n’ai jamais su si cela à réellement fait la différence mais je reçus une convocation quelques semaines plus tard. Le Baron en profita pour visiter son domaine de Witerheim et rendre ses hommages au Duc, son cousin. Il appuya ma candidature en expliquant à ce dernier que j’étais trop talentueux pour rester en province. J’intégra l’équipe des scribes le lendemain.

Je ne sais que bien peu de choses sur les quelques années qui précédèrent mon arrivée au château si ce n’est les quelques ragots que je pus glaner les rares fois où je dus me rendre dans le château principal du Baron qui surplombait la plaine confinant le royaume à son extrémité orientale. En tout cas, guère plus que ce que les historiens en ont écrits. Mais deux choses selon moi méritent d’être évoquées : la première est que le Duc Willem avait réussi à convaincre les barons de Castillia de l’utilité de les fédérer afin de mettre fin aux luttes intestines qui les affaiblissaient et de reconnaître son autorité grâce au mariage de la fille de l’un deux. Et la deuxième est l’attachement qu’il portait à sa femme. Dès qu’il la vit, il en tomba éperdument amoureux. Il faut rappeler que la fille du Baron avait non seulement de très jolis atours mais surtout, elle avait des manières si douces et si affables que chacun était sous son charme. Une des lettres que j’ai retrouvées dans un coffre après la mort du Duc en est selon moi la preuve.»

« Mère, par delà la mort je tiens à vous remercier. Vous avez fait de moi un guerrier accomplit fier de son armée et un Duc respecté par ses sujets. Mais en ce jour de fête, je tiens à vous remercier par-dessus tout de m’avoir ouvert les yeux et d’avoir su m’apprendre à ouvrir mon cœur. Ma promise m’attend dans la pièce voisine et mon cœur, comme un cheval fou, s’emballe dans ma poitrine.

Je n’ai qu’un regret, c’est de ne pouvoir vivre avec vous l’intensité du moment et la liesse partagée par tous. D’un seul sourire, elle a su conquérir tous les gens de Burvald. Pourtant, vous savez à quel point ils étaient réticents à l’idée d’accueillir la fille de notre ennemi de toujours. Aujourd’hui, elle incarne la promesse d’une paix durable et d’une coopération fructueuse.

Mes pensées volent vers vous dans l’espoir qu’elles vous rejoignent dans un endroit paisible et ensoleillé. Willem. »

« Les événements suivants eurent lieu alors que je me trouvais déjà à Burvald, mais je ne fus à connaissance de certains que bien des années après. »