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— Vas-y, appelle-la maintenant ! Elle est là, on le sait. Gueule un coup, allons, petite teigne, obéis !

La petite chieuse secoua sa trogne toute renfrognée, bien déterminée à fermer son clapet et ne pas mettre en danger weltma. La grande bestiole tout en poils lui tordit le bras de sa poigne de monstre.

— Appelle-la, je te dis !

La petite chieuse glapit de douleur. Elle se rebiffa d’un feulement sec, s’essaya à un coup de griffe pitoyable qui lui rapporta un coup de savate bien placé. Elle se recroquevilla, geignit, rouge de honte et verte de rage. Les zoommes ricassaient derrière leurs masques pour cacher leurs grandes babines de chevals assoiffés pleines d’écume.

La grande se figea au cri de fauve. Elle aurait reconnu le miaulement d’une de ses chieuses parmi cent autres. Cinq silhouettes sortirent de l’ombre du perron, quatre brutes et une petite monstre. La petite vivait.

Elle sortit de l'ombre, se dressa sur ses deux pattes, rugit de toute sa hauteur. Derrière elle, le portail grinça. Des hommes débusquaient de toutes parts, quittant leurs nids comme des rats surpris. Ils l’encerclaient, la détaillaient de leurs petits yeux noirs saturés de peur, la tenaient à distance raisonnable, une distance de sécurité, une distance de respect. Pas fous, les hommes.

Le plus grand d'entre-eux empoigna la merdeuse. Il s’avança dans la lumière, immense comme un ogre, avec son museau caché sous son masque de monstre.

— Gardez vos distances et soyez prêts à intervenir ! grogna-t-il. Celle-ci est dangereuse !

Les rats reculèrent tous d’un pas.

Le capitaine observait la femme à l’allure féroce. Sous le capuchon, il pouvait entrevoir ses yeux. Ces foutus yeux réfléchissaient par instants le soubresaut d’une flamme, hypnotique. Une brève lueur glaçante qui lui remuait les peurs oubliées. Ces yeux, et ce visage inquiétant autour. À moitié éclairé. D’une pâleur morbide, presque bleue. Elles étaient toutes flippantes, même les petites, surtout les petites, mais celle-ci… celle-ci dépassait de loin toutes les autres. La voir ainsi à quatre pattes, tapie dans les cendres radioactives, le nez retroussé pour mieux traquer sa proie, ça lui avait retourné le bide. Il avait bien failli vomir. Mais l’idée de gerber dans les filtres de son masque, d’avoir à le retirer, d’inhaler le pollen infectieux et risquer de finir comme les autres, là-derrière sur le charnier, ça l’avait calmé direct.

Le toubib répétait à qui voulait l’entendre que l’infection modifiait plus la perception que le jugement. Une histoire de phéromones, d’hypothalamus hypertrophié et d’androstérilone… ou quelque chose dans le genre. Tout ça pour dire que ca ne tuait pas, bien que c'eût été préférable. Surtout pour les mâles… bien plus sensibles, plus fragiles. Qui l’eut cru ? Un filtre qui déconnait et ils se réveillaient un matin au cri brutal du rappel des instincts. Surveiller. Chasser. Sécuriser. Baiser. Fuir. Des besoins comme des obsessions, à en perdre le sens de la raison. Ils fuguaient comme des bêtes en chaleur. Et ça empirait, jour après jour, respiration après respiration. À moins d’être rattrapés, ce qui arrivait rarement, ils ne revenaient jamais. Les femmes résistaient mieux, elles. Elles pétaient moins les plombs, disons. Mais fallait voir le résultat. Une aversion viscérale à tout ce qui reniflait le mâle de près ou de loin. À s'ébouriffer du dos jusqu’au crâne et bondir sur tout ce qui bouge avec la ferme intention de l’achever. Du pollen et des hormones. Du sexe et le goût du sang. Il est con, le toubib. Perception ou jugement, le résultat était foutrement le même.

Le capitaine en avait vu d’autres, mais celle-ci puait tout particulièrement la mort. Une prédatrice rompue à la traque. Ça n’aurait tenu qu’à lui, il l’aurait achevée. Mais le toubib voulait des spécimens, des adultes, enceintes si possible. Il sait pas ce que c’est le toubib, de traîner son cul la nuit dans les bas-quartiers, entouré de furies psychopathes et de barges délirants, la bite à la place du cerveau. Il se serait chié dessus, ce con. Mais c’était le seul à en avoir dans la caboche. Et ni lui ni ses hommes ne réussiraient à se sortir de ce merdier tous seuls. Alors, ils l’écoutaient. Même s’ils tombaient comme des lapins myxomateux. Même s’ils n’étaient plus qu’une poignée à présent. De toute façon, à quoi bon vivre dans ce monde de cinglées ? Plutôt clamser en essayant de sauver les meubles que de se retrouver comme tous ces pauvres bougres. Tantôt affamés, en quête de chattes à brouter, tantôt attroupés, pour ne pas se faire étriper par des détraquées mysandres. Des ombres d’ombres d’hommes… Tu parles d’une vie ! Il en arrivait parfois à se demander comment ça se passait, avant. C’était tellement lointain, tellement différent. Mais peut-être que le toubib réussirait, qu’il finirait par maîtriser quelques-unes de ces furies, et qu’ils pourraient se construire un semblant de vie tranquille dans un coin à l’abri du vent. Mais il avait un tout autre problème à régler là, maintenant. Gérer cette louve. La contraindre et la museler. Sans l'esquinter, il avait précisé. Complètement déconnecté ce toubib. Il haussa les épaules. Qui sait ? Elle ferait peut-être une mère potable une fois dressée. Il se rinça la gorge à grands coups de raclements.

— Sois la bienvenue, weltma, décimeuse de zoommes ! Elle bave, la petite, quand elle ne mord pas. Elle en raconte et n’a pas froid aux yeux ! Mais je ne t'apprends rien sans doute. Nous sommes les derniers, isebbukbâk, les restes… Me comprends-tu, femme ?

Le nez de la louve dessina une grimace de dégoût. Il poursuivit.

— Oui, tu comprends… Nous t’observons depuis quelques temps déjà. Un sacré spécimen ! Tu veilles sur les tiennes et ne lésine pas sur les moyens. Je respecte ça ! Combien de vies as-tu retiré ? Non, ne dis rien. Tu ne les comptes plus depuis longtemps. Nous ne sommes pas si différents, toi et moi. Nous détestons perdre notre temps et nos ressources. Nous attendions ta venue suite à notre passage. Comme tu le vois, nous sommes bien plus nombreux que toi. Que dirais-tu de déposer les armes et de te rendre ? Il est inutile que tout ceci finisse en bain de sang, n’est-ce pas ?

La louve ne décrochait pas un mot. Sa tête inquiétante dodelinait de droite à gauche en le fixant. Son regard le faisait transpirer. Il laissa échapper un petit rire nerveux. Il perdait son temps. Les femelles à ce stade ne pouvaient plus être raisonnées. Tant pis pour le toubib. Une fois celle-ci supprimée, il lui rapporterait les petites protégées de cette louve. Autant en finir avant que ça ne dégénère. Il leva la main pour donner l’ordre d’attaquer.

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