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Son rire d’ogre avait tonné dans la nuit. Il s’était répercuté sur les murs de l’enceinte et dans les gueules patibulaires des rats qui la cernaient. Elle secouait sa face de hyène exaspérée. Il n’en arrêtait plus de braille,celui-là. Les sales hommes et leurs blablas d’hommes… De la vermine, tous ! Ils allaient fondre sur elle. Elle sortit sa flissa, l'œil mobile, alerte au moindre mouvement. Elle devait gagner du temps, les acculer dans un recoin de peur pour les dominer.

— Ne sois pas plus homme que tu ne l'es ! cracha-t-elle. Tu vas crever. Vous allez tous crever ! Ce n'est qu’une question de temps. Le chergui révèle la bête en vous. Vous vous comportez comme des animaux ! À votre habitude. Lâches et fourbes. À prendre la vie et semer la mort où que vous passiez. Des sales hommes. La vieille peau en a fait les frais, et mes sœurs aussi… Où sont-elles ? Rends-les moi !

Ainsi, elle parlait. Et l’entendre était encore moins supportable que de la regarder. Pire que des mâles dégénérés. Eux étaient vides, des corps creux sans âme, comme des veaux tétanisés devant le couteau. Celle-ci, c'était autre chose. Une chienne enragée. Oui. C'était ça. Comme s’apitoyer sur un clébard enragé sombrant peu à peu dans la folie. Un merdier de sentiments mêlés de colère et de pitié. Il n’y avait plus rien d’humain en elle, mais l’entendre parler suffisait à créer l’illusion. Pourtant, il lui semblait bien avoir perçu des mots au milieu de ses aboiements de folle. Elle avait sifflé le chergui entre ses crocs, il l’aurait juré. Il hésita, pensa au toubib, il est con ce toubib, et baissa le bras pour retenir ses hommes.

— Le chergui, tu dis. Le chergui transporte les pollens à-demi homme. Leur parfum — il renifla deux fois bruyamment sous son masque pour accompagner son geste — trompe les sens. Il réveille nos natures anciennes. Il vous rend sauvages comme des lionnes, et nous fait régresser au rang de bête, fait de nous des moutons stupides tout juste bons à fuir. Mais tu le sais tout ça, n’est-ce pas ? Tu le vois comme je le vois. Pourtant, il y a une chose que je ne suis pas capable d’expliquer. Et puisque tu parles, réponds-moi ! Pourquoi nous chassez-vous avec autant de férocité ?

Pathétique. Il geignait comme un animal blessé. Elle se massa la gorge, se détendit les lèvres pour articuler le plus clairement possible afin qu’il puisse la comprendre.

— Pauvres, petites, choses, brutales… rejetées par celles, qui vous ont portées, bercées, nourries… À réclamer la survie, comme si c’était un dû ! Vous me dégoûtez ! À quoi bon vivre vos vies pitoyables ? Vous êtes des ogres ! Insatiables ! Jamais satisfaits ! Avides d’avoir ! Et vides d’être ! Vous avez provoqué ça ! Vous méritez tout ça !

La peau rouge de sa gueule tremblait sur ses mâchoires. Elle souffla. Détendit ses épaules tendues. Reprit.

— Ma mère, chantait la lumière des hommes… puis pleurait leur noirceur lorsqu’elle me croyait assoupie. Ma mère… nos mères ont fait le choix qui s’imposait ! Je n’étais pas née quand vos bombes ont tapissé le ciel, quand vos pères ont imposé leurs lois, rétabli leurs règles au nom de l’ordre naturel, du patriarcat et de la sainte virilité de leur dieu mâle. Mais on raconte que nos mères ont pris leurs paroles au pied de la lettre. Que si la nature voulait leur imposer un ordre, alors elles avaient choisi d’imposer le leur ! Ma mère disait que les femmes avaient créé les ademïomes, qu’ils scellaient notre union avec la terre, et qu’ils réconcilieraient un jour femmes et hommes avec leur nature. Elle répétait beaucoup de choses mais ne les comprenait pas, je crois…

L’ogre explosa de rire.

— Tu divagues, femme, et tu refais l’histoire ! Les pollens à-demi homme sont un accident, le fruit d’une expérience qui a mal tourné. Chacun sait que ces plantes ont été créées pour répondre aux besoins de nourriture et palier à la disparition des insectes. Les bombes ont été lancées par désespoir, bien plus tard, pour tenter d’empêcher leur prolifération.

Elle ricana doucement.

— Il n’y a que des hommes pour croire qu’il s’agit d’un accident ! La culpabilité vous aurait-elle finalement rattrapés pour imaginer pareille bêtise ? Des bombes pour éradiquer des plantes ? Des plantes capables d’engrosser les femmes et de débiliser les hommes ? Je te sens troublé… Je ne sais pas quand elles l’ont fait, ni comment elles l’ont fait. Et je m'en moque. J’ai longtemps pensé que les ademïomes étaient des foutaises de bonnes femmes aux cerveaux trop irradiés. Qu’elles contaient ces sornettes pour apaiser les gamines en larmes. Qu’elles aimaient surtout se les raconter à elles-mêmes pour s’empêcher de penser qu’elles allaient toutes crever. Puis j’ai vu comment vous nous traitiez. Comment votre nature ajourée révélait le fond de vos pensées toutes noires. Que vous nous avez toujours considérées comme de vulgaires animaux de compagnie, des chiennes utiles, serviles à souhait. J’ai compris qu’hier appartenait aux hommes. Qu’il n’y avait plus de lendemain qui tienne. Qu’il ne restait qu’un présent sans fin par votre faute. Et qu’il devait appartenir aux femmes. Et puis j’ai aperçu un avenir. Un avenir sans vous. Un avenir que nos mères ont imaginées quand vous ne pensiez qu’à détruire et imposer. Un songe accouché par nos mères et composé de leurs filles. Une fémanité. Tu vois, l’ogre, tout ça ne peut pas être un accident ! Il ne reste plus qu’à supprimer les derniers représentants de votre race mal déterminée. Juste quelques traces à nettoyer pour que tout soit parfait.

— Tu nous méprises comme si nous étions nos pères !

— Vous êtes à leur image. Vous perpétuez la violence au nom de la survie.

— Nous sommes ce que vous avez fait de nous ! Fils de nos mères, frères de nos sœurs !

— Vous êtes pathétiques… à chercher des justifications, à jouer les victimes éplorées et vous asseoir tranquillement sur votre morale lorsqu’il s’agit de la mère ou de la soeur d’un autre ! Qu’on vous donne un semblant de pouvoir ou de légitimité, et vous voilà transformés en monstres ! Vous tuez au nom de vos beaux projets vertueux, sans comprendre qu’ils ne sont qu’excuses pour assouvir votre nature meurtrière ! Des prédateurs, tous ! se permettant de prendre et de disposer comme bon leur semble sous prétexte que c’est possible ! Vous êtes dangereux, et inutiles…

— Tu sembles oublier un détail, femelle !

La grande fauve ricana de son rire de hyène. Elle toisa le groupe de rats comme une bande d’hommes répugnants.

— Qu’est-ce qui t’amuse ainsi ? lança-t-il outré.

— Où sont vos fils, hommes ?

— Encore une preuve de votre folie ! Vous vous en débarrassez certainement…

— Pauvre idiot. Nous ne portons que des filles. Votre sexe est devenu flasque et faible ! Sec et stérile ! Ce n’était qu’une question de temps avant que vous ne disparaissiez. Les ademïomes ont seulement précipité les choses. Vous ne serez bientôt plus qu’une anomalie génétique que nous saurons écarter !

— Nous sommes l’humanité ! Toi et ces filles sans père n’êtes que des monstres, des aberrations !

Elle souriait de tous ses petits crocs affûtés de monstre.

— Ce monde vous a retiré le port de bite. Oui… les anciennes gentilles sont devenues détraquées. Mais entends leurs voix ! Elles chantent le lendemain des femmes, le lendemain des hommes sans avenir !

Un long silence pesa de tout son poids mort sur la foule de rats abasourdis. Plus haut, dans le ciel noir étoilé de cendres, le chergui sifflait une plainte muette que personne ne releva. En bas, pelotonnée au plus près du sol, la petite chieuse tremblait comme un chaton détrempé.

Hier, les hommes. Elle leva sa garde haute, glissa ses appuis bas sur le sol, et fit signe d’approcher à la brute interdite. Maintenant, les femmes. L’ogre rugit l’ordre d’attaquer. Demain, les femmes. Ils fondirent sur elle comme des rats enragés.

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