Chapitre 7 : Rachel - La réconciliation

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Le lendemain, les volutes d’alcool avaient laissé place à un brouillard de pensées plus confuses les unes que les autres. Mais les rayons du soleil dissipèrent rapidement ce halo négatif et redonnèrent un coup de fouet au moral. Mais cela ne résolvait pas la situation. J’attendis cinq jours avant d’envoyer un message à Rachel pour une entrevue.

Si seulement je pouvais lui dire tout ce que je n'avais pas pu ou su lui dire. Cette pensée repassait en boucle dans ma tête. Si je m'engageais dans ce sens, la discussion serait âpre, mais mon cœur serait apaisé de mille maux.

Mon café n'avait plus vraiment le goût de café. Mes yeux étaient absents et ne s'accrochaient à rien. Rachel me sortit de mon apathie.

—Ça va ?
—Ça peut aller, mais qu'importe... Je crois qu'il est nécessaire qu'on parle. Il y aura peut-être du beau dans ce que je vais te dire, mais il y aura aussi du laid.

Elle me fixa. Elle avait attendu autant que moi ce moment de vérité. Elle me saisit la main et m'invita à marcher un peu dans le parc. Je venais d'entamer la joute verbale calmement.

—Je me rappelle quand nous nous planquions dans un arbre. Tu te calais entre mes jambes et me lisais de la poésie. Je crois bien que c’est grâce à toi que je me suis mis à écrire.
—Tu es une ordure Ale ! » Me coupa-t-elle.

Quelle entrée en matière !

—Tu es la bouteille entamée que j'ai fracassée contre le mur. Tu es ce foutu SMS dont j'attendais la réponse. Comment as-tu pu m'abandonner ?

Une profonde inspiration plus tard, ce fut mon tour.

—Tu es la douleur dans ma poitrine, Rachel, le silence dans mes yeux, le soupir de ma tristesse, une insomnie répétée, mon énième verre d'alcool...
—Tu étais une pensée contre la vitre, Ale. À mes yeux, tu es une histoire inachevée. Tu es une idée devenue souvenir. Et là, je te revois et j’aie peur que tu redeviennes mon attente.
—Tu étais le souvenir d'une chaleur, mais tu es devenue mon froid soleil. Les premières semaines à Londres, tu veux savoir à quoi ça ressemblait ? Imagine un réveil en sursaut dans mes après-midi, des journées noires comme des nuits blanches, des visions qui me hantent. Puis un jour, j'ai compris que tu étais la fin de ma naïveté, de mon adolescence tardive... Et j'ai changé.

Rachel prit la pleine mesure de la conversation.

—Je n'avais pas vu que tu m'aimais Ale. Mais je n'aurai pas su t'aimer en ces temps-là. Je ne voyais que ton rire innocent, un visage illuminé par une musique, un être au-dessus de tous ces joueurs de foot, un équilibre dans ma vie, capable de rattraper mes erreurs...

Elle disait tout cela en serrant très fort ma main, puis continua.

—Tu étais une confidence, tu étais un ami...

Je l'interrompis net.

—Chloé était mon amie. Chloé est mon amie. Toi, tu étais l'amour que les autres pouvaient avoir, mais pas moi. Tu étais mon idéal mal placé. Tu étais la petite mort que j'ai eue cent fois. Tu étais un "je t'aime" devenu "je te hais". Tu étais mon ivresse quand je me saoulais...

Mentionner Chloé l'exaspéra. Mais elle ne fléchit pas.

—Tu étais l'épaule dans mes fatigues, mais sûrement pas la furieuse envie d'aimer de mes vingt ans. Tu étais le garçon qui aurait pu être dans le lit de toutes les filles sauf le mien. Tu étais mon secret public Ale. Et, l'unique personne qui m'aura fait plus de mal qu'Aaron même

Nos confessions éteignaient peu à peu les rancœurs. Mais aujourd'hui où cela nous menait-il ?

—Et maintenant ? Questionna-t-elle.
—Je n'en sais rien. Je pensais avoir le temps de me préparer à te revoir dans six mois et voilà que tu réapparais là sans préavis...
—Je suis tout autant surprise que toi, crois-moi, mais je pense que c'est mieux pour nous d'avoir eu cette discussion aujourd’hui.

Elle n'avait pas tort. Tout ce que j'ai fui, évité, voulu enterrer, avait ressurgi au bout d'une course-poursuite de bien trop d'années. Et elle prenait fin pour nous deux en cet instant. Rachel se nicha dans mes bras, en quête d’un réconfort maladroit que je n’avais nullement envie de lui offrir.

—Je pars quelque temps Rachel.
—À cause de moi ? Tu t'enfuis encore ? S'inquiétait-elle.
—Non quelques semaines de vacances amplement méritées. Nous verrons à mon retour. Il va peut-être falloir réapprendre à se connaître.

Mon sourire la rassura timidement.

—Je m'étais lassée de ton absence comme on se lasse d'une chanson. Ne me fais pas trop attendre...

Sur ce, elle prit congé. Je ne savais que penser. Tant de temps s'était écoulé et le miroir brisé se recollait. J'étais dépouillé de la hantise de la revoir, mais son départ avait créé une solitude dans la foule.

L’appartement était vide quand je revins. Les bagages faits, je m’apprêtais à repartir quand j’aperçus un mot accompagnant ce qui ressemblait à un cadeau. Le mot disait « Bonnes vacances et à l’abordage ! ». Je déchirai l’emballage et découvris une superbe boussole. Une petite attention qui illumina mon visage.

Finalement, je rejoignis la marina, prêt à naviguer en eaux douces. Mon bateau m’avait manqué. Il était l’instrument de mes envies de liberté. Ma main effleura le bois de Talajuba comme pour me rappeler les nervures de l’embarcation. Mes narines capturaient les ambres marines.

Ici, à bord, éloigné de la côte, je revenais quelques années en arrière. Je pouvais, à loisir, me mettre à nu, sans artifices. Mes cicatrices à vif, débraillé, simple, il n’y avait que la mer et moi, emporté tel un cerf-volant dans ses tempêtes. Mes mains tremblaient d’émotions tactiles. Charpente, quilles, membrures, rien n’échappait au passage de mes doigts. Cela me procurait des sursauts de vie incomparables. Au bout de quelques manœuvres, le voilier quitta Long Island et vogua céans vers un infini horizon.

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