Chapitre 1 : Rebecca - La rencontre

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— Bonsoir !
— Excusez mon aplomb. Je vous ai aperçu de chez moi et je souhaitais me présenter. Êtes-vous le nouveau voisin ?
— Vous, vous devez être la voisine qui joue à la marelle.

Elle arbora un petit sourire mutin. Je rajoutai.

— Et non, je ne suis pas votre nouveau voisin. Je suis simplement de passage indéterminé pour le travail. Mon ami m’a gentiment prêté son toit.
— Mais... Comment êtes-vous entrée dans l'immeuble ?
— Nous avons accès au même garage en sous-sol. Ce n'était pas compliqué d'aller d'un côté à l'autre.
— Vu comme ça... Pardon, je manque à mes bonnes manières. Vous voulez entrer ?

Non sans hésitation, la jeune femme franchit le palier. Son attitude réservée contrastait avec ses exubérances de tout à l’heure.

— Je suis Rebecca.
— Enchanté, je m’appelle Alessandro.
— Vous devez sûrement me trouver un peu effrontée de venir chez vous sans invitation.

Elle baissa les yeux puis les releva dévoilant des éclats d’un bleu magnifique.

— Au contraire, vous avez fait preuve d’initiative et j'aime plutôt ça. Je profitais sereinement de ma soirée et il me semble que vous faisiez de même.

Elle me dévisagea.

— Non pas que je vous espionnais, loin de moi, mais dans un endroit aussi calme et reculé du centre, quelques lumières attirent forcément l’attention.

Elle se radoucit.

— Je vous ai aussi aperçu et vous sembliez apprécier le spectacle.
— Ce n’est pas tous les jours qu’une femme danse sous ma fenêtre.

Elle éclata de rire.

— Oui, c’est vrai, j’étais partie dans mes délires !
— Et vous avez bien raison !
— Vous n’étiez pas mal à vous dandiner vous aussi !

Mince, elle m’avait repéré elle aussi. Je fis semblant de ne pas relever sa remarque malgré un sourire en coin.

— Puis-je vous offrir un verre ?
— Avec plaisir. Je ne serai pas contre un peu de vin.

Ses yeux divaguèrent dans l’appartement et en appréciaient l’agencement. Puis elle se dirigea vers la fenêtre. Je la rejoignis.

— Qu’est-ce qu’un homme aussi loin de chez lui vient faire à Londres ? Dit-elle tout en trinquant.
— Qu’est-ce qui vous fait croire que je suis loin de chez moi ?
— Même si vous semblez maîtriser notre langue, votre accent vous trahit. Ensuite, je connais le propriétaire de ce charmant endroit,  souligna-t-elle.
— Ah ? Vous connaissez donc Archie ? Lui et moi sommes amis depuis l'Université. Mais vous avez raison sur un point. Je suis loin de chez moi. Cette ville m’avait manqué. J'y suis venu très jeune. Mais je n'ai plus trop le souvenir d'ici. Et je cherchais un lieu où je pourrai me lancer dans la vie active et me retrouver avec moi-même.
— Vous vous êtes perdu ? Un grand garçon comme vous !

Elle me scrutait non sans maladresse, mais avec un petit charme qui lui allait à merveille. Ce que je n’avais pu entièrement distinguer apparaissait au grand jour. Un visage de poupée encadrée par une coupe au carré qui agençait parfaitement ses cheveux blonds. Des yeux envahissants et rieurs. Une petite bouche aux lèvres vermeilles. Le tout dominant un corps dont j'approuvais les courbes.

Une fois de plus, j’avais éludé sa question. Je tentais de rebondir tant bien que mal.

— C'est étrange, j'aurais parié avoir vu de la lumière dans l'appartement d'en face.
— Ah oui ? Vraiment ? Pourtant, tout est si sombre. Lâchait-elle en rigolant.
— Et son occupant, vous l’avez vu aussi ? Enchaîna-t-elle.
—À vrai dire, j’ai l’ombre d’un soupçon. Je crois que c’était une femme… Ou peut-être un homme. La silhouette n’était pas très distincte et anormalement déformée. Disais-je en riant à mon tour.

Nous nous surprimes à passer un bon moment et les discussions allaient bon train, tandis que les verres se désemplissaient et se remplissaient à nouveau. Nos regards commençaient à couver des envies contenues tandis que nous parlions de nos vies. Elle travaillait pour Sotheby’s et gérait un portefeuille de clients passionnés d’art, sans compter les investisseurs immobiliers à la recherche de quelques demeures d’exception. Apparemment, cela lui plaisait, tant elle mettait de la ferveur dans ses discours.
— Et toi ?

Fini les mondanités. On se tutoyait.

— C'est varié. J’aide à la conception et je négocie la vente de yachts. J’ai toujours aimé les bateaux...

Puis ajoutant.

— Parfois, il m’arrive d’écrire.
— No way ? » dit-elle médusée, comme si cela relevait d'une révélation. Comme on dit chez nous, "Writer is the new sexy."
— J’ai toujours aimé écrire. J’aime le plaisir dans le maniement des mots, dans le langage, leur pouvoir. Mais ça reste un plaisir.
— Tu écris quoi ? Des romans policiers ? Des romances ? De la fantasy ? Des histoires sexy ?
— Cela dépend de mon humeur. En général, j’aime les histoires qui se finissent bien.

Je ressentais qu’une bulle affective était en train de se créer. J’ouvris la fenêtre, pris une bouffée d’air salvatrice puis allumais une cigarette. Rebecca m’avait rejoint. Elle s’était positionnée au plus proche de moi et il flottait dans l’air un parfum de romantisme dont je n’avais pas forcément besoin, mais qui ne me dérangeait pas.

Je n’avais nullement envie de sentiment d'amour, juste de fièvre érotique, de corps qui se déchirent dans les élans passionnels et pulsionnels. Et je restais persuadé que cette rencontre avec ma charmante voisine était purement instinctive. Nos peaux respiraient une attirance charnelle mutuelle, déclenchée par nos isolements du passé.

Elle saisit ma cigarette, en tira une longue bouffée et me regarda fixement de ses bleus éclats. J’avais l’impression de passer au scanner. Son regard s’attardait sur mes yeux, puis mon torse et revenait à mes lèvres. Il était intense. Je la laissais m’analyser sous toutes les coutures, mais ni l’un ni l’autre ne se laissait aller à ses désirs et emporter par ses instincts dans une tornade sensuelle.

Tout en retenue, elle déposa un baiser sur ma joue. Je n’y voyais qu’un geste d’affection entre deux personnes qui jouissaient de leur solitude, même s’ils étaient malmenés par leurs besoins respectifs. Assise près de moi, Rebecca reprit son interrogatoire.

As-tu un bateau ?
— Oui
— Quel type ?
— Oh, un Sunseeker que j’ai baptisé NEA MONI. C’est un petit yacht qui me permet de longer les côtes, de m’éloigner du rivage pour être tranquille. Il est ancré actuellement à Antigua pour un meeting annuel entre professionnels. Ensuite, je le rapatrierai quand je rentrerai à New-York. Je l’ai acheté d'occasion avec ma première prime. Mon rêve serait d'avoir un grand et beau voilier. Mais l’inconvénient, c’est d’avoir tout un équipage à gérer.
— Tu dois rentrer à New-York ? Questionna-t-elle, visiblement un peu inquiète.
— Pas maintenant. Mais cela fait sept mois que je suis ici. Le job est super, mais mes amis me manquent.
— J’ai quand du mal à croire que tu vendes des voiliers.
— Je ne fais pas uniquement de la vente. Je participe à la conception navire, je gère les assurances maritimes et bien sûr toute forme de litige. Je suis un courtier polyvalent en sorte.

Je rétorquais.

— Et toi que tu vendes des antiquités aux enchères.
— Ah bon ? Pourquoi dis-tu cela ?
— Peut-être parce que j’imagine probablement ces personnes comme des rats de bibliothèque, avec des uniformes et des blasons sur leurs vestes, quelque chose comme ça, très formel, mais sûrement pas comme des femmes sexy.

Elle éclata de rire.

— Tu me trouves sexy ?
— Et toi, tu voyais comment un courtier en yachts de luxe ?
— Comme tous ces armateurs qui viennent à la salle aux enchères. J'en vois tellement défiler. La plupart sont plutôt vieux, gros par l’embourgeoisement. Je les trouve un peu pervers, blasés de leur réussite, souvent accompagnés de filles beaucoup plus jeunes qu’eux. J’imagine très bien ces filles-là en bikini, se trémoussant sur le pont supérieur d’un de tes bateaux devant leur regard libidineux. Un peu comme dans ces clips de rap.

Le portrait était tout sauf flatteur. Mais l'habit ne fait pas le moine.
— Une chose est certaine : je suis loin d’être gros !
— Et toi, tu me trouvais sexy.

Décidément, elle ne lâchait rien. Dire le contraire serait mentir, mais surtout inconvenant.

— Je te trouve très jolie. Dis-toi qu’il y a deux heures, on ne se connaissait même pas, et voilà qu’on discute comme si on se fréquentait depuis longtemps. On est libres dans les propos, et ça me fait du bien, même si j’avais prévu une soirée très solitaire, en mettant des coups de pied dans les fesses de Cupidon.

— Que très jolie ? Tu n’es pas ravi de faire la connaissance de ta nouvelle et superbe voisine, aussi éphémère que sera notre proximité ?
— Je dois avouer que la rencontre est quelque peu fortuite, mais le contexte est des plus agréables.

Elle se leva et saisit ma main.
— Viens, suis-moi...

**********

Elle enfila son manteau et m’extirpa vers l’extérieur. Dehors, les rues étaient calmes. Nous étions à quinze minutes du centre. Rebecca semblait avoir une idée bien précise de l’endroit où elle voulait m’emmener. Tandis que nous sillonnions la ville, elle s’accrochait à mon bras et tentait, avec plus ou moins de réussite quelques facéties.

À mesure que nous avancions, nous avions changé d’environnement. Les rues devenaient plus bruyantes, animées par des couples qui sortaient de restaurants fêtant leur réussite, leur amour durable ou fugace. Nous étions au milieu de la City. Si, le week-end, le quartier financier est très calme et déserté des traders et autres manipulateurs de fortunes, l’endroit en n’était pas moins aisé à trouver. Elle m’invita à prendre l’ascenseur d’un immense bâtiment. Direction le cinquième étage.

— Où m’emmènes-tu ?

Pas un mot ne filtra. Finalement, les parois s’ouvrirent et je découvris avec admiration une salle de restaurant avec un bar immense.

— Bienvenue au Coq D’Argent ! C’est un restaurant français. Je pensais que ça te plairait.

J’étais conquis par cette petite attention.

— C’est touchant, Chère Voisine ! Mais j’ai déjà dîné.
— Ce n'est pas pour manger, je voulais te montrer quelque chose plus particulièrement.
Il n’y avait pas grand monde ce lundi. On pouvait cependant aisément imaginer l’endroit bondé du mercredi au vendredi. Elle me tira le bras alors que nous traversions la pièce tout en saluant les serveurs. Nous franchisâmes une nouvelle porte qui donnait sur une vaste terrasse avec vue de trois cent soixante degrés sur St Paul’s et les alentours. L’endroit était splendide, avec des allées arborées de verdure qui cerclaient la terrasse. La vue était absolument saisissante.

— Je nous commande un verre. Profitons du paysage.

L’attention était d’une fine délicatesse. La soirée, déjà bien agréable, devenait encore plus belle. Tandis que Rebecca s’adressait au barman, je me promenais de pavé en pavé les yeux fixant les lumières scintillantes de la capitale.

— J’aime me retrouver de temps en temps ici, dit-elle. C’est mon petit endroit à moi.

Elle me tendit un Old fashioned bien servi. Je la regardais marcher devant moi, le pas léger, se dirigeant vers une des bordures. Je la trouvais vraiment de plus en plus jolie dans sa robe noire ajustée à ses formes exquises. Et sa démarche appuyée par des talons aiguilles érotisait le balancement de ses fesses. Un régal. Elle prit une grande bouffée d’air, puis une lampée de vin et s’assit sur un banc. Je la rejoignis.

— Je suis contente de passer un moment avec toi. Je n’avais pas prévu la soirée ainsi. Et dire que je suis même venue frapper à ta porte.
— Quelle initiative salutaire !

Elle esquissa un léger sourire puis prit un ton un peu plus grave.

— Comment était-elle ? Tu sais, la fille qui t’a éloigné de chez toi, de tes amis, de ta famille.
— Qu’est-ce qui te fait croire que je fuis quelqu’un ?
— De ce que j’ai pu entrevoir, tu es un homme de goût, une classe certaine, avec une belle situation. Et tu t’enfermes dans un loft alors que tu pourrais t’amuser dans des endroits branchés, avec des filles peu farouches accrochées à tes bras, ou suspendues à tes lèvres…
— Ça fait très cliché ce que tu dis.
— Oui, déjà, que je ne t’imaginais pas en redoutable trader. Disait-elle en riant.
— Disons simplement que l’amour n’était pas ou plus au rendez-vous. Je suis parti pour avoir moins mal simplement.

Elle apprécia ma réponse brève, mais qui n’incitait nullement à approfondir le débat. Elle enleva ses chaussures, me saisit la main, me décolla du banc et m’invita à danser. Il se dit que les yeux sont les fenêtres de l’âme et dans les siens, je voyais des brasiers ardents. Que cherchait-elle à lire dans les miens ? Qu’espérait-elle trouver ? Une approbation, un réconfort ? Après tout, nous nous connaissions que depuis quelques heures et la relation courtoise voisin-voisine devenait plus intime. Et cette intimité se précisa quand ses mains audacieuses capturèrent ma nuque. Cette femme était sûre de ses envies et me le faisait comprendre. Elle me plaisait de plus en plus.

— Je ne suis pas du genre à tomber amoureuse facilement. Je te connais à peine Alessandro. Mais j’assume mes désirs. Et je dois dire que ta compagnie est loin d’être désagréable.

Elle renchérit.

— Tu sais ce qui va se passer, n’est-ce pas ? On va coucher ensemble. On va baiser sur les ruines de nos cœurs meurtris. Et ce sera facile. Car l'amour sans flambeau enflammera nos peaux et cicatrisera nos cœurs. Regarde-nous Ale ! Deux corps-aimants luttant sans conviction pour ne pas succomber, voilà ce que nous sommes.

Dit ainsi, je n’étais pas choqué. Car elle avait raison. Je n’avais pas besoin de connaître son histoire, mais j’avais trouvé un pendant féminin qui, comme moi, était à la croisée des chemins. Et nos chaos émotionnels nous avaient réunis ici, dans cette ville, afin de nous débarrasser de nos débris amoureux, de nos ruptures consommées, mais non effacées.

Rebecca chaloupa langoureusement dans mes bras. Peu importe le reste, il n’y avait que nous. Elle s’appuya contre moi et nous unit dans un profond baiser. Sa langue s’enroulait à la mienne, avec une violence sensuelle, intense, nous rappelant des sonorités que nous avions égarées. Entre sauvages morsures et douceur des lèvres, nous savions que cette attraction incontrôlable ne laissait pas de place aux sentiments. Nos vives émotions étaient charnelles et totalement incontrôlables. Et, dans nos fantaisies à cette mise en bouche, entre deux inspirations haletantes, elle ajoutait quelques éclats de rire. Puis elle me susurrait ses envies.

— Je veux t’appartenir ce soir.

Je ne l’attendais pas celle-là. Du moins, de cette manière. Sa confession faisait un vacarme dans ma tête, et je sentais mes dérives poisonneuses infecter mes veines en désirs venimeux. Mon regard prégnant et insolent ne l’intimidait plus. Les paupières mi-closes, elle continuait sa sérénade envoûtante. Pourquoi moi ? Quelle addiction avais-je créé en elle ? Je l’avais à peine effleurée du regard, mais j’avais incendié sa féminité.

**********

Avec un large sourire, je l’emmenais vers la sortie. Ne pas déclencher les hostilités dans l’immédiat. Nous aurons le reste de la nuit pour cela. Les rues londoniennes me convenaient parfaitement à cette heure avancée de la nuit. Marcher le long des monuments éclairés, croiser du monde. Je m’étais fait déborder par une invitation pour le moins étonnante, mais néanmoins salvatrice. Et j’avais envie de jouer, car je retrouvais des sensations que procurait mon sens tactile. Le petit vent m’envoyait des salves d’effluves capiteuses de son parfum et la chimie de mon cerveau les captait pour en tirer la quintessence sensuelle.

Rebecca s’était détachée de moi et s’assit sur un tabouret, les jambes croisant et se décroisant dans toute leur féminité. Elle me regardait comme si elle cherchait à sonder mon âme. Que devait-elle se dire ? Qu’elle était trop belle pour ma gueule d’amant fatigué, de gentleman buriné d’avoir trop bu ou trop fait l’amour ? Ce n'était pas le cas. Qu’importe, elle me voulait.

Elle fixait mes yeux obscurcis d’un halo ravageur et mes cernes séducteurs et intrigants. Elle créait une interférence dans un champ magnétique qui nous rapprochait irréductiblement l’un vers l’autre. Elle brouillait l’appel à l’amour et instaurait un mystère, comme si elle voulait fixer les règles du jeu.

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